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Intervention de Christine le Bihan-Graf

Réunion du 9 mars 2011 à 10h00
Commission des affaires économiques

Christine le Bihan-Graf, directeur général de la CRE :

La Commission de régulation de l'énergie est très engagée dans la réflexion sur le développement des smart grids. Elle avait organisé, en 2010, le premier colloque international sur ce thème.

L'ensemble des orateurs ici présents me paraissent d'accord sur l'essentiel.

Les réseaux sont certes déjà intelligents, mais ils ne le sont jamais assez. Nous avons, en la matière, un grand défi à relever. Le pilotage des réseaux se complexifie, car ceux-ci sont soumis à de fortes contraintes : l'intégration des énergies renouvelables, la gestion de la consommation de pointe, l'augmentation de la consommation et l'apparition de nouveaux usages. En l'état, les réseaux ne peuvent répondre à l'ensemble de ces défis. Comme il serait déraisonnable de dimensionner un réseau en fonction du pic de consommation, il faut l'optimiser, ce qui implique de le rendre plus intelligent.

Cette intelligence implique convergence et complémentarité – nullement leur concurrence, pas plus que leur substituabilité – entre, d'une façon générale, les nouvelles technologies d'information et de communication (NTIC) et la gestion électrique. On pourrait, en effet, pousser le raisonnement jusqu'à son terme et se demander si l'on ne peut pas se dispenser de Linky, le compteur intelligent, en exploitant au mieux les réseaux de communication électronique.

L'intelligence des réseaux signifie seulement qu'ils peuvent communiquer entre eux, échanger de l'information, étant bidirectionnels et numériques. Aujourd'hui le pilotage des réseaux se fait en aveugle puisque le pilote ne bénéficie pas de remontées d'informations sur ce qu'il advient dans le réseau. En disposer est désormais une nécessité. C'est bien pourquoi l'ensemble des pays européens a développé – l'Italie depuis plus de dix ans – ou développe, des systèmes de comptage intelligent.

Mais, pour que le concept de smart grid ne se limite pas à son aspect de marketing, il faut revenir aux fondamentaux, qui apparaissent clairement si l'on distingue l'amont de l'aval.

L'amont s'applique au monopole régulé, l'aval concerne ce qui fait l'objet d'une concurrence, domaine dans lequel la France compte des entreprises énergéticiennes championnes comme Alstom, Schneider Electric, Legrand, et bien d'autres. Elles sont le fer de lance de l'excellence française dans le domaine des applicateurs et des démonstrateurs. Nous n'en sommes plus au stade de la recherche-développement, mais déjà à celui de la mise en oeuvre. Derrière le smart grid, se dessine un projet industriel français au service de notre économie et de l'emploi local.

En amont du compteur, le smart grid offre, pour la première fois, la possibilité de compter réellement la consommation effectuée. Aujourd'hui, le consommateur ne compte pas vraiment : à la différence du plein du réservoir de sa voiture, dont il connaît le montant, il ne sait pas à combien s'élève sa consommation électrique mensuelle, étant soumis à ce qu'on appelle « le profilage ».

De plus, on ne comptera plus seulement l'énergie consommée, mais également celle que l'on injecte dans le réseau, ce qui est fondamental en matière d'énergies renouvelables pour le pilotage de l'équilibre entre l'offre et la demande.

Le compteur est d'abord un capteur. Si on les multiplie, ils pourront communiquer entre eux. Nous saurons dès lors sur quel point du réseau existe éventuellement un facteur de stress, une faiblesse, une anomalie qu'il convient de pallier.

Les smart grids constituent un premier élément permettant de déterminer les investissements prioritaires afin de renforcer ou d'améliorer les réseaux.

Le capteur permet également de détecter les pannes. Plus vite elles sont détectées, plus vite elles sont réparées, sans déranger le consommateur chez lui, grâce notamment aux dérivatifs dits autocicatrisants.

Les smart grids permettent non seulement d'améliorer la qualité du service – réaliser de la télé-relève sans solliciter le consommateur, changer le niveau de souscription de puissance par exemple –, mais aussi celle de l'alimentation en détectant et en réparant plus vite les pannes, réduisant d'autant la durée des coupures, indicateur fondamental de la qualité du système.

Il ne faut pas opposer trop rapidement le coût des investissements dits de qualité et celui des investissements dits de développement, car les smart grids relèvent des deux catégories. Ils représentent une manière habile de renforcer la qualité en optimisant le fonctionnement plutôt qu'en démultipliant les investissements sur les réseaux.

En amont, les smart grids reviennent donc à mieux compter, à optimiser l'équilibre entre l'offre et la demande, enfin à améliorer la qualité des réseaux et des services. Leur développement doit être jugé à l'aune de ces trois grandes finalités.

En aval, il faut laisser aux entreprises innovantes la possibilité de présenter des offres, aujourd'hui beaucoup plus complexes que celles auxquelles les énergéticiens classiques étaient habitués. Auparavant, on vendait un produit, en réfléchissant seulement à sa problématique tarifaire. Demain, on vendra aussi des services, tels que ceux proposés par la boîte multiservices. Certaines entreprises offriront, par exemple, des services énergétiques associés à des services de maintien à domicile des personnes âgées ou handicapées, ou encore à des services de domotique.

En aval du compteur, s'ouvre donc toute une réflexion sur les services complémentaires, par l'intermédiaire d'un gestionnaire d'énergie permettant de faire évoluer la finalité des réseaux électriques autour de la maîtrise de la demande d'énergie, de la « décarbonation » de l'énergie, de « l'effacement diffus », du « passage de la pointe », qu'elle soit locale ou nationale. Se dessine de la sorte un champ d'innovations extrêmement riche pour les industriels. La gestion de l'installation électrique de l'habitation cesse d'appartenir à un distributeur en situation de monopole, dont la compétence s'arrête au compteur, pour être ouverte à la concurrence.

Le coût du projet des smart grids est très difficile à chiffrer. Très complexe, mais pas davantage que ne le furent Internet ou le téléphone portable, il implique une multitude d'acteurs. European electricity grid initiative a estimé, pour la seule France, le montant des investissements nécessaires à 15 milliards d'euros, dont 4 milliards pour le déploiement des compteurs intelligents du projet Linky. Ce coût doit être appréhendé en valeur relative, car il faut en déduire les frais qui, de toute façon, auraient été engagés en raison de l'obsolescence des compteurs actuels : la nécessité de remplacer les vieux compteurs bleus et les compteurs communicants anciens. Un compteur Linky coûte 20 euros de plus qu'un compteur électronique blanc, or un compteur s'amortit sur vingt ans, soit une charge supplémentaire d'un euro par compteur et par an. Il nous faut raisonner non en coûts pleins mais en différentiel de coûts.

Le développement des smart grids apporte aussi des bénéfices non monétisables, notamment en terme de qualité de services. Son coût est moindre que celui qui ressortirait d'un renforcement global de la qualité des réseaux existants. Enfin, il faut comparer celui-ci aux coûts annuels supportés par les gestionnaires de réseaux qui, pour RTE et ERDF, s'élèvent à 4 milliards d'euros cumulés par an.

Existe-t-il une alternative, technique et financière, au moyen des systèmes que nous connaissons, au déploiement des smart grids ? On pourrait penser à une substituabilité des systèmes de télécoms aux systèmes électriques. Au stade actuel de notre réflexion, il apparaît que c'est une fausse bonne idée.

D'abord parce que les technologies de télécoms, dont Internet, ne permettent pas d'offrir les mêmes fonctionnalités que le comptage évolué et que le réseau intelligent, notamment la plus simple, à savoir que le compteur doit compter et facturer de l'énergie. Or, c'est sur la base de ce comptage et de cette facturation en temps réel que l'on peut placer des espoirs quant au changement de comportement des usagers vis-à-vis de leur consommation électrique.

Ensuite, le gestionnaire de réseaux ne dispose pas de la maîtrise de l'infrastructure de communication. Pour recourir aux technologies correspondantes, il lui faudrait donc payer la location de fibres optiques ou du boîtier Internet, ce qui représente un coût extrêmement important, bien sûr répercuté sur le consommateur, la loi imposant aux tarifs de couvrir les coûts.

Par ailleurs, s'agissant de la protection des données personnelles, les technologies de type fibre optique offrent moins de garanties que les technologies telles que le CPL, car le gestionnaire de réseaux devrait partager des informations avec les opérateurs de télécoms. Et plus on partage d'informations, plus il est difficile de les protéger contre des esprits malveillants.

Enfin, une étude réalisée par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (ARCEP) intitulée « Développement de la fibre optique et coût par utilisateur », a chiffré celui-ci à 2000 euros, soit 70 milliards d'euros pour 35 millions de foyers, à comparer au coût du développement des smart grids tel que nous l'avons évoqué.

La problématique de sécurisation de l'information est essentielle pour la conduite du projet de smart grids et de comptage évolué. Elle représente un point crucial dans les discussions avec les consommateurs car les nouvelles technologies ne s'acclimateront que si elles bénéficient de la confiance de celui-ci dans la fiabilité des systèmes de protection des informations qui le concernent. Cette préoccupation s'intègre dans le projet Linky tel que mené avec Atos Origin.

1 commentaire :

Le 19/03/2011 à 17:32, Justine (juriste) a dit :

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« La Commission de régulation de l'énergie est très engagée dans la réflexion sur le développement des smart grids »

Effectivement elle a même créé un site qui en fait ouvertement la promotion, avec le concours de ses partenaires industriels http://www.smartgrids-cre.fr/index.php

Pourtant elle a pour mission principale de concourir «au bénéfice des consommateurs finals, au bon fonctionnement des marchés de l’électricité et du gaz naturel. » http://www.cre.fr/fr/presentation/missions

Quand on lit le plaidoyer ci-dessus, le bénéfice pour les consommateurs paraît bien éloigné. Prenons quelques exemples :

Le réseau intelligent doit permettre de faire face aux « fortes contraintes : l'intégration des énergies renouvelables, la gestion de la consommation de pointe, l'augmentation de la consommation et l'apparition de nouveaux usages ».

Ces contraintes sont celles du gestionnaire. De plus anticiper une augmentation de la consommation est contradictoire avec la nécessité d’économiser l’énergie.

« Derrière le smart grid, se dessine un projet industriel français au service de notre économie et de l'emploi local ».

C'est évident : on avait bien compris que le projet intéressait plus les entreprises que les consommateurs. Quant à l’argument sur l’emploi local, il est souvent invoqué mais les résultats restent à évaluer, et à quel coût sont-ils obtenus ?

Le but est de vendre au consommateur des services complémentaires, en plus de l’électricité, de lui proposer des offres « beaucoup plus complexes », dans un marché ouvert à la concurrence. Le problème c’est que la plupart des gens n’en ont pas besoin et/ou n’en ont pas les moyens.

La qualité du service serait améliorée par la télé-relève : en fait cela permet de faire des économies de personnel (ce qui risque d’ailleurs de contrebalancer sérieusement la création d’emploi promise ci-dessus).

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