Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Patrice Paoli

Réunion du 16 février 2011 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Patrice Paoli, directeur d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient du ministère des affaires étrangères et européennes :

Notre action dépend en grande partie des moyens qu'on nous alloue. En tant que fonctionnaire, je n'ai pas à voter le budget, mais je regrette qu'il baisse alors qu'on nous demande d'accomplir des tâches de plus en plus importantes. Notre métier a considérablement changé en trente ans. Il n'est pas toujours facile d'expliquer à la représentation nationale le travail discret qu'accomplissent les ambassades. Les contacts avec des associations ou des mouvements d'opposition, la lutte contre la peine de mort et la défense de nos valeurs n'appellent pas nécessairement de publicité. Mais, puisque la loi organique relative aux lois de finances renforce le contrôle des assemblées sur le budget, j'aimerais qu'elles se manifestent en donnant au Quai d'Orsay les moyens d'agir. Nous préparons actuellement un plan sur la Tunisie en raclant les fonds de tiroirs. Que ferons-nous pour l'Égypte, quand les moyens manquent cruellement ?

L'Élysée et le ministère travaillent en interaction pour définir une ligne. Les fonctionnaires formulent des propositions, mais la décision incombe aux politiques. Chacun, à sa place, doit assumer ses choix. Cependant, il faut garder un regard acéré sur le rôle que l'on veut voir jouer aux experts. L'expertise du Quai d'Orsay est forte et légitime. Le réseau est organisé et structuré. Il travaille bien. On doit le reconnaître pour ce qu'il est, et le défendre.

Certains d'entre vous éprouvent le sentiment amer que nous ne défendons pas certaines valeurs. Posons la question de manière non polémique mais technique : quand une mission parlementaire se rend dans un pays, par exemple en Syrie, son premier rôle est-il de se battre pour les droits de l'homme, au risque d'hypothéquer tout le bénéfice qu'une visite d'amitié pourrait avoir en termes d'influence ? Nous consacrons nombre de démarches aux prisonniers politiques. Il est déjà important d'écrire ce que nous pensons. C'est ainsi que nous manifestons notre intérêt pour cette blogueuse de dix-huit ans que les autorités locales accusent absurdement d'espionnage. Le problème du positionnement de tout visiteur reste posé, et dépasse largement le cadre de la diplomatie. Une mission, qu'elle soit le fait de parlementaires, d'hommes politiques ou d'hommes d'affaires, n'a pas à porter en premier lieu un message subversif. Il n'est pas facile de trouver un équilibre entre le principe de non-ingérence, auquel nous sommes attachés, et la défense de nos valeurs.

La diaspora peut être un prisme déformant. En Irak, les Américains ont eu tort de s'appuyer sur Ahmed Chalabi, notoirement corrompu, dont la banque a fait faillite en Jordanie. La diaspora, qui a son mérite, a aussi ses inconvénients. Ceux que la presse française présente comme les porte-parole de l'opposition tunisienne sont considérés par les acteurs de la révolution comme non représentatifs et non légitimes.

Si nous ne rendons pas publics tous nos contacts, nous nous entretenons avec certains opposants tant à Paris qu'en poste. Mais, sur place, le pouvoir tunisien avait mis en place un système extrêmement inhibant. Il se manifestait chaque fois que nous rencontrions quelqu'un. Ce travail de sape a porté ses effets.

Je partage le point de vue de M. Bauchard sur les services américains. Si ceux-ci étaient aussi bons qu'on le prétend, les politiques auraient agi plus tôt et non a posteriori.

En Tunisie, nous avons eu la chance que l'armée se dissocie du pouvoir. C'est ce qui lui a permis de prendre ses distances vis-à-vis d'un régime policier et de jouer un rôle important.

Il est douloureux pour nous que l'Union ait du mal à trouver sa voie, en dépit de réformes successives. Il faut rester vigilant en la matière, car le Parlement européen a un rôle important à jouer pour maintenir l'attention sur la rive sud de la Méditerranée. Ce que nous ne pourrons pas faire dans le cadre de l'UPM, nous le tenterons avec les moyens que nous avions prévu de lui allouer. Argent, structures et programmes existent. Les États doivent les faire fonctionner. Le rôle d'orientation du Parlement européen s'est développé. Nous disposons d'un laboratoire, mais il faut trouver une voie.

Nous devons aussi modifier notre regard sur le rapport entre l'armée et les forces religieuses. Longtemps, nous avons soutenu des dictatures qui se présentaient comme le meilleur rempart contre l'islamisme, dont elles ont en fait favorisé le développement en le dispensant de se positionner de manière politique. Les Frères musulmans continuent à prétendre que l'islam est la solution sans décliner un vrai programme. Voici venue l'épreuve de vérité. Sommes-nous prêts à considérer que les pays ont acquis une maturité suffisante pour ne pas leur donner de leçons ? Les Tunisiens et les Égyptiens de la place Tahrir nous disent qu'ils vont se colleter avec les Frères musulmans. Ne soyons pas naïfs : les islamistes sont plus structurés que les autres, mais devrait-on leur préférer un Ben Ali sans la famille Trabelsi ou un Moubarak plus jeune ? Il faut trouver un nouveau positionnement, en considérant qu'il n'y a pas de fatalité.

L'armée n'est pas non plus un garant, et les manifestants qui lui font une confiance aveugle pèchent par naïveté. Il n'est pas certain que cette force qui avait maintenu Moubarak au pouvoir puisse se réformer. Comme l'ensemble de l'état-major, le maréchal Tantaoui est très âgé. La jeune génération prendra-t-elle le relais ? L'armée jouera-t-elle en Égypte le rôle qu'elle avait tenu en Turquie ? Nous savons peu de chose à son sujet.

Les Américains ne sont pas mieux informés que nous à cet égard. D'ailleurs, dans bien des pays, ils se sont montrés incapables d'orienter la situation dans le sens de leurs intérêts – à moins qu'on ne considère qu'ils ont fait exprès de s'en remettre à des êtres aussi insaisissables que M. Karzai en Afghanistan ou M. Maliki en Irak.

La force politique des manifestants de la place Tahrir reste un sujet d'interrogation. Six mouvements sont apparus, représentatifs du monde des blogueurs, des internautes et de certains jeunes Frères musulmans. Ils tentent de s'agréger pour créer un parti représentant différents courants, mais les Égyptiens eux-mêmes ne voient pas le mouvement se cristalliser.

On n'explique pas davantage le miracle tunisien de ce choeur d'internautes invisibles mais suffisamment présents pour affirmer que le Gouvernement ne convient pas et l'amener à changer. Les décisions ont été prises sans qu'un rapport de force matériel ou physique ait été créé. L'ancien système a été balayé grâce à une ouverture, un esprit bon enfant qu'on ne rencontre pas en Égypte où l'armée reste aux commandes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion