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Intervention de Frédéric Mitterrand

Réunion du 15 février 2011 à 15h00
Prix du livre numérique — Ouverture de la discussion

Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication :

La régulation proposée par ce texte contribuera, par ailleurs, à préserver une assiette stable pour la rémunération des ayants droit, en particulier les auteurs qui doivent pleinement bénéficier de cette nouvelle frontière du monde de l'édition.

La proposition de loi contribuera, enfin, à créer les conditions du développement d'une offre légale abondante, mettant fin à l'incertitude juridique qui pénalise le marché français du livre numérique. La montée en puissance de l'offre légale est d'autant plus importante que le téléchargement illégal prend de l'ampleur, ainsi qu'on l'observe dans des proportions préoccupantes sur le marché américain. Ne nous méprenons pas. L'objectif n'est pas de maintenir en l'état la chaîne du livre ni de figer des positions ou intérêts établis. Il est probable que l'arrivée du numérique s'accompagnera de transferts de valeurs à l'avantage d'acteurs nouveaux. Pour autant, il convient de veiller à ce que cette transformation n'aboutisse pas à une baisse globale de la valeur produite, comme ce fut le cas pour la musique. Il convient d'éviter que des détaillants en position de force n'imposent des conditions défavorables à toute la chaîne du livre. Dans cette perspective, cette loi d'accompagnement de la transition numérique privilégie une approche simple et souple. C'est une loi qui régule, mais c'est une loi qui est attentive à la réalité du marché, tout en respectant les nouveaux modèles qui pourront apparaître.

En premier lieu, elle ne s'applique qu'au livre homothétique, c'est-à-dire au livre qui peut être imprimé sans être dénaturé, sans perte substantielle de sens, en dépit d'enrichissements accessoires éventuels propres à l'édition numérique. Bien entendu, le développement du livre numérique ira au-delà du livre homothétique, mais l'objet du texte, aujourd'hui, n'est pas de réguler ce qui n'existe pas encore. Du reste, il est probable que le marché du livre numérique sera pour l'essentiel un marché de livres homothétiques dans les quatre à cinq années à venir. C'est bien l'horizon de la loi : elle ne prétend pas réguler le marché pour le très long terme et assume une forme de modestie raisonnable en présence d'une économie en pleine construction.

Le texte s'applique essentiellement au commerce du livre à l'unité qui constituera sans doute l'essentiel du marché à moyen terme. Mais les bouquets ne sont aucunement interdits et peuvent se développer dès maintenant, dès lors qu'il y a accord entre éditeurs et opérateurs sur les conditions commerciales.

La loi s'appliquera aux seuls acteurs établis en France. Sans doute ce champ d'application inquiète-t-il les acteurs français de la vente de livres. Ils craignent que les grands opérateurs de l'internet, établis hors de notre territoire pour des raisons essentiellement fiscales, bénéficient de conditions commerciales plus avantageuses. Je souhaiterais répondre à ces acteurs, car leurs préoccupations sont légitimes. Il est, à mes yeux, tout à fait normal et tout à fait souhaitable que les éditeurs soient en mesure de contrôler la valeur du livre quel que soit le lieu d'implantation du diffuseur, préservant ainsi une concurrence équitable entre ces derniers.

Je rejoins donc entièrement l'objectif que les distributeurs établis en France puissent jouer à armes égales avec ceux établis hors de nos frontières. Il nous faut pourtant adopter l'approche la plus pertinente, la plus habile, pour atteindre cet objectif qui est partagé, j'en ai encore eu la confirmation aujourd'hui même, par une grande partie de la filière.

Comme vous le savez, ce sujet est suivi avec une grande attention par la Commission européenne, qui a rendu deux avis très réservés sur la proposition de loi française et pour qui l'application extraterritoriale de la loi serait un élément dirimant.

Après avoir transmis à la Commission européenne les différents états du texte, je me suis longuement entretenu de ce sujet avec les commissaires les plus concernés, en allant notamment les voir à Bruxelles. Je crois les avoir convaincus de l'intérêt de légiférer en France sur le prix du livre numérique, et ce n'était pas facile. Je pense aussi qu'en allant au-delà de notre territoire, nous nous exposerions très certainement à un recours de la part de la Commission devant le juge de l'Union en manquement de nos obligations communautaires, notamment le respect de la liberté de prestation de services dans l'espace de l'Union européenne.

Dans ces conditions, et en l'état actuel du droit communautaire, appliquer le présent texte au-delà de nos frontières irait frontalement à l'encontre de l'objectif recherché. Cela reviendrait, non pas à établir un cadre juridique serein pour la filière, mais à créer, au contraire, un contexte d'insécurité juridique. Au demeurant, la loi Lang elle-même n'a été validée par le juge européen que pour autant qu'elle ne s'imposait pas aux opérations d'import et d'export de livres français sur notre territoire.

L'objectif qui est le nôtre doit donc être poursuivi selon d'autres modalités s'agissant des opérateurs non établis sur le territoire national. Ces modalités existent désormais, elles ont démontré leur pertinence et leur efficacité.

En effet, l'application en France du prix unique du livre numérique n'exclut pas les rapports conclus entre nos éditeurs et les diffuseurs étrangers sur le modèle du contrat de mandat, comme cela se pratique outre-Atlantique et outre-Manche avec les grands opérateurs de la vente de livres numériques.

Cet outil contractuel, qui assure une maîtrise des prix par l'éditeur, est en voie de généralisation sur les marchés américains et anglais du livre numérique, où les éditeurs ont fini par l'imposer aux grands distributeurs en ligne, ce qui a mis fin à la politique de prix au rabais pratiquée pour les livres numériques.

Le contrat de mandat a certes pour effet de réduire l'autonomie du détaillant. C'est précisément ce qui conduit à privilégier pour notre territoire la voie législative débattue aujourd'hui, seule à même de garantir le rôle de médiation culturelle des libraires. Pour autant, ce modèle fait ses preuves, aux États-Unis notamment, où il donne satisfaction aux grands opérateurs de l'internet. Pour ce qui concerne la France, il a été validé dans son principe par l'Autorité de la concurrence dans son avis de décembre 2009. La Commission européenne, dans les deux avis qu'elle vient de rendre sur la proposition de loi, ne remet nullement en cause sa validité.

Il y a donc toutes les raisons de penser que le contrat de mandat permettra l'égalisation des prix de vente des livres français, quel que soit le diffuseur. Il y a aussi toutes les raisons de considérer que la relation entre, d'une part, les éditeurs français, qui sauront, je n'en doute pas, présenter un front uni, parce que tel est bien leur intérêt, et, d'autre part, les grands opérateurs établis hors de France se fera sur un mode équilibré. Les éditeurs m'ont donné toute assurance à cet égard.

Je voudrais, enfin, souligner l'importance de la clause de rendez-vous prévue à l'article 7 de la proposition de loi.

Sur un sujet d'une telle importance, et s'agissant d'un texte dont l'élaboration a bénéficié des efforts de l'ensemble des acteurs nationaux de la politique culturelle, le dialogue le plus régulier et le plus approfondi entre le Parlement et le Gouvernement est assurément la meilleure des choses.

Mesdames, messieurs, vous avez manifesté toute l'attention que vous portez à la politique du livre numérique, mais aussi, à plusieurs reprises, une très forte réactivité, par exemple en matière de TVA applicable au livre numérique. Je sais que vous ferez preuve de la même attention et de la même réactivité dans le suivi de l'application de la loi, en particulier pour les conditions de la concurrence entre diffuseurs.

Face aux interrogations qui se sont manifestées sur le champ d'application de la loi, je veux dire aussi l'attention très forte qui sera celle du Gouvernement sur ce point. Je ferai entendre notre voix au plan politique, auprès de la Commission européenne mais aussi des parlementaires européens. Il faut en effet faire évoluer le cadre européen sur ce point, mais par un véritable travail de conviction et non par un affrontement devant la Cour de justice.

Sachez que le Gouvernement sera également attentif à ce que la rémunération des acteurs de la chaîne numérique du livre évolue favorablement. Je veillerai à ce que l'instauration d'un prix unique serve cet objectif.

Dans cette perspective, le Gouvernement apportera son soutien aux amendements déposés qui, sans se substituer au domaine de la négociation entre les professionnels, vont dans le sens d'une rémunération « juste et équitable de la création et des auteurs ».

Cette proposition de loi trouve sa place, une place éminente, dans la stratégie globale sur le livre numérique que je mets en oeuvre et dont je voudrais vous rappeler brièvement les grandes lignes.

L'abaissement de la TVA sur le livre numérique en constitue l'une des premières priorités. Comme vous le savez, le livre numérique, analysé comme un service fourni par voie électronique, ne peut actuellement bénéficier du taux réduit dont bénéficie le livre lorsqu'il est commercialisé sur un support physique. Il est clair pourtant que le taux de TVA d'une oeuvre devrait être identique, quel que soit le support utilisé ou la voie retenue pour la transaction, dès lors que l'oeuvre est pour l'essentiel identique.

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