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Intervention de Émile Blessig

Réunion du 19 janvier 2011 à 15h00
Garde à vue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉmile Blessig :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le présent projet de loi sur la garde à vue apporte incontestablement des progrès décisifs par rapport à la situation actuelle, avec la définition légale du champ de la garde à vue, les modalités de décision et de prolongation de la garde à vue, les nouveaux droits de la personne soupçonnée : nature et date de l'infraction poursuivie, droit au silence, autorisation d'alerter un proche et son employeur, droit à être vu par un médecin. Je pense aussi à l'assistance d'un avocat pour organiser sa défense, au délai de carence ainsi qu'à l'assistance d'un avocat aux côtés de la victime en cas de confrontation. Le texte précise aussi certaines mesures exceptionnelles.

Tous ces points ont été analysés par nombre d'orateurs dans la discussion générale. Pour ma part, je souhaite évoquer une particularité de l'examen de ce texte, le fait que nous légiférons sur l'injonction du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation, ce qui, à mon sens, arrive pour la première fois et marque donc une véritable innovation.

En effet si la non-conventionalité de notre régime de garde à vue était prévisible dans la continuité d'une série de décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, la transcription de cette jurisprudence par le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation est plus récente et assortie d'un délai enjoignant au législateur de « régulariser le régime de notre garde à vue d'ici au 1er juillet 2011 ».

L'autre fait marquant est, à mon sens, le fait que la décision du Conseil constitutionnel résulte d'une question préalable de constitutionnalité, soit de la mise en oeuvre du contrôle de constitutionnalité par voie d'exception, voulue par la réforme de la Constitution adoptée le 23 juillet 2008. Cela démontre l'utilité et l'efficacité de cette mesure.

Dans sa décision du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré le régime de la garde à vue non conforme à la Convention européenne des droits de l'homme, dans la mesure où il n'y avait pas d'équilibre satisfaisant entre la recherche des auteurs d'une infraction et l'exercice de la liberté, c'est-à-dire une non-conformité à l'article 6 de la Convention qui pose le principe du droit au procès équitable.

Dans ses arrêts du 19 octobre 2010, la Cour de cassation a confirmé la non-conventionalité du régime actuel de la garde à vue en vertu de l'article 6 de la Convention. Cependant, Cour de cassation et Conseil constitutionnel ont décidé de suspendre les effets de la décision jusqu'au 1er juillet 2011, dans le dessein de sauvegarder la sécurité juridique, principe nécessairement inhérent au droit de la Convention européenne des droits de l'homme, et en fonction de l'objectif de valeur constitutionnelle de la bonne administration de la justice.

À mon sens, les apports du projet de loi sont de nature à lever la non-conventionalité du régime de la garde à vue au regard des dispositions de l'article 6 de la Convention et du droit à un procès équitable. L'arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre 2010 pose le principe qu'une garde à vue de courte durée, contrôlée par le seul parquet, est parfaitement compatible avec les exigences de la Convention européenne des droits de l'homme. Cette solution est, par ailleurs, conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Cet arrêt précise aussi clairement que le ministère public n'est pas une autorité judiciaire au sens de l'article 5-3 de la Convention européenne des droits de l'homme parce qu'il ne présente pas les garanties d'indépendance et d'impartialité requises par ce texte et qu'il est une partie poursuivante. Cet attendu introduit un élément de fragilité dans notre texte, source de censure future par la jurisprudence européenne.

Je voudrais pourtant souligner ici que, dans notre système français de contrôle de la garde à vue, le parquet, s'il n'est pas indépendant de l'exécutif au sens de la Convention, est indépendant des enquêteurs. De plus, le parquet est saisi dès la première minute de la garde de vue, contrairement à d'autres systèmes où, si le contrôle dans un délai raisonnable est confié à un juge du siège, la première partie de la garde à vue est laissée à l'initiative et à la discrétion des enquêteurs. Les mesures prises par le parquet au cours de la garde à vue font l'objet d'instructions écrites et motivées soumises au contrôle du juge, certes a posteriori, mais avec des conséquences sur la validité de toute la procédure.

La particularité de notre système du parquet « à la française » tient au fait que, magistrat et membre de l'autorité judiciaire, le procureur est le premier intervenant dans le domaine des libertés individuelles au cours de l'enquête initiale, le garant de l'efficacité de l'enquête et des libertés individuelles. À l'issue d'une durée de quarante-huit heures au maximum, il lui appartient soit de mettre un terme aux restrictions de liberté, soit de saisir un magistrat du siège.

Par conséquent, je suis d'avis qu'il convient de saluer ces avancées, mais aussi de mettre un terme à la fragilité inhérente à notre texte, liée au statut du parquet, même si nous ne pouvons pas y répondre ici, ce statut relevant d'une loi constitutionnelle. Ceux qui nous disent qu'il faut réformer en six mois l'ensemble de la procédure pénale se trompent. Soyons clairs : en maintenant la situation actuelle, les pouvoirs du parquet seront peu à peu amputés au fil des décisions de la jurisprudence que nul ne pourra maîtriser. Or les missions du parquet ont beaucoup évolué ces dernières années, interférant même, au gré des réformes, sur les prérogatives du juge.

Le parquet est chargé de la protection des personnes vulnérables. Il est compétent en matière de comparution sur reconnaissance de culpabilité, de composition pénale, d'ordonnance pénale et d'alternatives aux poursuites. Il est donc un élément fondamental de notre système judiciaire et de la mise en oeuvre de notre politique pénale. Il serait regrettable et dommageable que, en ce qui concerne son statut, nous soyons contraints d'envisager une régularisation législative d'ordre constitutionnel. Nous nous devons d'anticiper et de résoudre la question de l'évolution du statut du parquet qui demeure posée depuis la loi constitutionnelle du 18 novembre 1998, votée en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat, mais jamais soumise à l'approbation du Congrès. Il nous appartient de défendre, de promouvoir et de stabiliser notre conception de l'organisation judiciaire et, ainsi, de rassurer les magistrats du parquet sur leur fonction, leur mission au service de la loi et de l'intérêt des justiciables. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

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