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Intervention de George Pau-Langevin

Réunion du 19 janvier 2011 à 15h00
Garde à vue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeorge Pau-Langevin :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il est heureux que nous soyons enfin parvenus à débattre sur le fond de ce sujet avec une perspective d'aboutir car, depuis plusieurs années, diverses propositions de loi ont souligné la nécessité pour notre pays d'avancer.

Il ne s'agit pas d'entrer dans ce débat à reculons, de mauvaise grâce, soucieux uniquement de ne pas nous faire tancer par la Cour européenne de Strasbourg. Un constat doit nous guider : la garde à vue s'est développée de manière tellement exponentielle que, dorénavant, chaque citoyen se sent exposé à cette déconvenue et que l'image de notre démocratie en est affectée.

Nous avons en tête des exemples repris un peu partout, comme celui de ces personnes âgées qui avaient utilisé par erreur un chéquier que leur banque leur avait envoyé et qui, répondant à une convocation au commissariat, ont été traitées comme de véritables malfaiteurs.

Citons encore la mésaventure de ce cadre qui, rentrant chez lui après une longue journée de travail, a eu le malheur de ne pas attendre que le petit bonhomme passe au vert avant de traverser dans les clous. Il a été interpellé et traîné au commissariat, subissant tous les désagréments qu'on imagine.

Dans ma circonscription, j'ai été saisie du cas d'un contrôleur des impôts – quelqu'un qui a donc l'habitude de faire respecter la loi – qui a eu le malheur de faire une réflexion à des agents, concernant une contravention qu'il jugeait injustifiée. Quelques instants plus tard, il se faisait arrêter devant ses voisins et traîner au commissariat, surpris qu'une mésaventure pareille puisse lui arriver.

Divers cas sont aussi rapportés par la CNDS qui, hélas, risque de bientôt disparaître – j'espère que ce n'est pas à cause de son objectivité. Un rapport de la CNDS mentionne ainsi le cas d'une personne qui téléphonait au volant – certes, ce n'est pas bien – et qui s'est retrouvée en garde à vue parce qu'elle avait une petite bombe lacrymogène dans sa voiture.

En effet, le drame de la garde à vue ne tient pas simplement au fait d'être entendu au commissariat, mais à tout le cortège d'humiliations qui accompagne bien souvent cette mesure – fouille à corps, quolibets, confiscation des lunettes ou du soutien-gorge – et dont les gens se remémorent longtemps après.

Je me souviens aussi de cette militante de France terre d'asile qui a été interpellée à son domicile un matin. Après la fouille de sa chambre, elle fut emmenée au commissariat de Caen où elle subit elle-même une fouille, pour délit de solidarité qui, selon M. Besson, n'existe pas.

Il faut, bien entendu, changer la loi, mais ne serait-il pas possible de prendre déjà des mesures simples : par exemple rappeler, par instruction ou circulaire, aux fonctionnaires concernés qu'il n'est pas indispensable d'humilier des citoyens pour aboutir à la manifestation de la vérité, qu'il n'est pas indispensable de se livrer à des atteintes insupportables aux libertés individuelles ?

Rappelons que la chambre criminelle de la Cour de cassation l'a dit et redit : pour entendre une personne sur des faits qui lui sont reprochés, si elle accepte d'être entendue, il n'est absolument pas indispensable de la mettre en garde à vue, à condition qu'aucune contrainte ne soit exercée sur elle et qu'elle ne soit gardée au commissariat que le temps strictement nécessaire à son audition.

L'an dernier, Mme Alliot-Marie se disait d'accord avec la proposition de loi sur la présence de l'avocat en garde à vue, présentée par notre collègue André Vallini. Cependant, elle s'y était opposée, arguant que la modification des règles de garde à vue impliquait une révision totale de la procédure pénale. Par conséquent, elle avait renvoyé à une réforme ultérieure de toute la procédure pénale. C'est un peu dommage car nous avons perdu un an.

Aujourd'hui, nous avons conscience que changer les règles de garde à vue supposera de revoir les méthodes de travail de toutes les parties à l'enquête. La garde à vue est un moment clé dans une enquête qui doit permettre la manifestation de la vérité. C'est parfois à ce moment que l'on peut faire craquer le coupable et que certains faits sont reconnus – ils peuvent ensuite être contestés. Pour les enquêteurs, le danger est de voir la personne mise en cause revenir sur des aveux trop rapides. L'expérience montre que, dans ce cas, c'est parfois toute l'enquête qui s'en trouve fragilisée, au risque d'empêcher la manifestation de la vérité ultérieurement. Il faut donc que cet important stade de l'enquête soit consolidé.

Sans doute les conditions de travail des policiers seront-elles modifiées. Précisons que nous ne remettons pas en cause la loyauté et la compétence des policiers. Les dysfonctionnements qui sont à déplorer dans ce type d'enquêtes découlent souvent d'une procédure, de méthodes de travail, voire d'instructions qui leur sont données.

À cet égard, il n'est pas indifférent d'observer une multiplication des gardes à vue, cette mesure étant devenue un critère d'évaluation de l'activité des policiers.

La refonte des règles à laquelle nous allons procéder va revaloriser la garde à vue pour en faire quasiment une phase de confrontation entre les parties, mettant l'accent sur les raisonnements plutôt que sur le simple aveu. Personnellement, je crois profondément que cette réforme sera plutôt de nature à revaloriser le travail des officiers de police judiciaire : il s'agira plus d'un travail intellectuel de déduction que d'un simple recueil d'aveux.

De même, lorsque nous réfléchissons au statut du parquet, il ne s'agit pas de mettre en cause la qualité et l'intégrité de ces magistrats – généralement de très bons juristes qui, de surcroît, exercent un métier aux sujétions importantes. Cela étant, ils ne peuvent être à la fois juges et parties. À partir du moment où ils ne sont pas totalement indépendants, puisqu'ils appartiennent à un corps hiérarchisé, et où ils exercent en outre le pouvoir de poursuite, ils ne peuvent pas, en même temps, contrôler leur travail.

Ce grief n'est pas spécifique à la France. Certains ont mal vécu l'interpellation de la CEDH, comme si nous étions les mauvais élèves de la classe, mais la Cour impose cette même exigence à tous les pays de l'espace européen. Il n'est pas indifférent pour nous de savoir que c'est davantage une manière d'appréhender la justice qu'une mise en accusation.

Par conséquent, il ne s'agit pas de dire que la CEDH a tort ou raison. À partir du moment où cette instance supérieure et la Convention existent, il nous appartient de mettre nos textes et nos méthodes de travail en adéquation avec les demandes de cette institution. C'est extrêmement simple à comprendre et à faire.

La CEDH dit expressément que toute personne arrêtée doit être « aussitôt » traduite devant un juge. Il nous appartient donc de faire en sorte que la personne mise en cause soit traduite devant une autorité judiciaire, au sens de la Cour de Strasbourg, sans chercher à finasser sur le mode : c'est pratiquement une autorité judiciaire, quasiment un magistrat.

Essayons de faire les choses de manière simple et claire. Recherchons, y compris dans notre texte, la façon la plus rapide de déférer la personne mise en cause devant un magistrat, considéré comme tel par la Cour de Strasbourg.

En modifiant le mode d'intervention de l'avocat, cette réforme offrira peut-être aux enquêteurs une occasion de porter un autre regard sur celui-ci. À la lecture de certains textes, on a en effet l'impression que, pour une partie des enquêteurs, voire des autorités, l'avocat est une sorte de malfrat, complice des assassins ou des délinquants : le mettre trop tôt au courant de certains éléments pourrait lui permettre d'informer des complices à l'extérieur.

Il faut bien reconnaître que, si l'avocat a pour fonction de défendre la personne mise en cause – et n'a donc pas à aider l'accusation –, ce n'en est pas moins, en même temps, un auxiliaire de justice, qui exerce sa profession dans le respect d'une déontologie. Les procès d'intention que l'on a pu entendre sont donc tout à fait injurieux. Rappelons d'ailleurs que l'arrivée de l'avocat dans les commissariats en 2000, qui avait donné lieu à une levée de boucliers tout à fait similaire, n'a pas empêché la poursuite des arrestations et des condamnations. Pourquoi en irait-il autrement à la suite de cette réforme ?

Les barreaux devront consentir les efforts nécessaires et l'aide juridictionnelle devra être réévaluée, tout le monde l'a dit. Sans doute, l'effort sera particulièrement important pour des barreaux tel celui de Bobigny : les personnes déférées au tribunal de Bobigny sont nombreuses et généralement pauvres. Il ne faudrait pas que cette réforme se traduise par l'asphyxie de certains cabinets d'avocats dont le fonctionnement est assuré, pour une large part, par l'aide juridictionnelle.

Enfin, je ne vois rien dans ce texte qui permette de mieux protéger les mineurs ; c'est pourtant important. L'année dernière, deux collégiennes de ma circonscription avaient eu la mauvaise surprise de se retrouver en garde à vue après avoir été cueillies le matin chez elles. Leurs parents étaient évidemment dans tous leurs états. Or je ne vois rien, dans ce texte, qui préserve nos enfants du risque d'une aussi grave mésaventure.

En définitive, nous sommes tous conscients de ce que les plus hautes autorités de notre pays et les juridictions européennes nous obligent à avancer. Ne réformons cependant pas contraints et forcés, faisons une vraie réforme, qui corresponde aux aspirations d'une société moderne et qui soit fondée sur le respect des gens. Tout le monde en sortira grandi.

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