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Intervention de Jacques Valax

Réunion du 19 janvier 2011 à 15h00
Garde à vue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Valax :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, mes chers collègues, je commencerai par quelques observations préliminaires avant de vous dire ce que je pense réellement de ce texte relatif à la garde à vue.

Une fois encore, force est de constater que le Gouvernement a tardé, reculé, tergiversé avant d'accepter enfin de prendre en compte les recommandations et les mises en garde de l'opposition. Depuis plus d'un an, celle-ci demandait avec force la mise en place d'une nouvelle procédure en matière de garde à vue.

Dés février 2010, le groupe socialiste avait en effet déposé une proposition de loi visant à modifier le régime de la garde à vue et qui avait essentiellement pour objectif de demander au Gouvernement de prendre en compte les recommandations européennes. Permettez-moi de citer son exposé des motifs : « Les incidents se multiplient. Les tensions sont vives entre policiers et magistrats autour de deux lectures différentes de la jurisprudence de la Cour européenne. » D'ailleurs, à l'époque, le président de la Cour européenne des droits de l'homme, Jean-Paul Costa, avait déclaré que les États ne devaient pas attendre que les justiciables déposent des recours à Strasbourg pour réviser leurs droits en matière de garde à vue.

Il était donc urgent, voire impératif, de modifier la législation française afin qu'elle se conforme au principe du procès équitable énoncé par les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Que de temps perdu, monsieur le ministre ! Combien d'oppositions larvées ont fait naître ces atermoiements ! Je veux parler des oppositions larvées entre, d'une part, les services de police et de gendarmerie, et, d'autre part, le corps des magistrats, dont les premiers ne cessaient de critiquer le prétendu laxisme. Je veux parler, aussi et surtout, des avocats, dont le rôle était sans cesse stigmatisé.

Les atermoiements du Gouvernement n'ont donc fait qu'aviver ces tensions et provoquer des oppositions qui – je le regrette – ne manqueront pas, à l'avenir, de laisser des stigmates dans les différents corps que je viens de citer.

D'autre part, à l'époque, le temps parlementaire ne nous manquait pas, mais, au cours des mois précédents, le Gouvernement a préféré flatter bassement l'opinion et nous faire travailler sur des sujets subalternes, déjà couverts par une législation relativement savante, au lieu d'affirmer haut et fort les valeurs de la République.

Vous avez préféré – voici le fin mot de l'histoire – laisser de côté les lois nécessaires, indispensables, qui auraient rendu la justice plus efficace, plus juste et plus sereine, pour privilégier des lois superficielles, redondantes, mais dont vous saviez pertinemment qu'elles flattaient le populisme de certains électeurs que vous souhaitiez gagner à votre cause.

Enfin, alors même que chacun reconnaît que la garde à vue telle qu'elle était conçue jusqu'à aujourd'hui, était absolument « traumatisante » – c'est le mot que vous avez employé dans un récent article –, anachronique, révélatrice d'un état de droit quelque peu passéiste, vous avez préféré courir le risque de voir un certain nombre de procédures annulées au lieu de vous ranger à l'avis univoque de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Celle-ci, depuis 2008, et même avant, n'a cessé de rappeler que la présence de l'avocat devait être obligatoire dès la première heure de la garde à vue et que – corollaire logique – l'avocat devait pouvoir accéder au dossier du mis en cause. Quelqu'un – je crois que c'est M. Perben – n'a-t-il pas dit qu'il fallait que l'avocat soit utile ?

Il s'en est suivi une longue période d'incertitude, marquée par plusieurs décisions, notamment celle du 28 janvier 2010 du tribunal correctionnel de Paris, qui a annulé cinq gardes à vue, cette décision étant ensuite confirmée par le Conseil constitutionnel le 30 juillet 2010. Enfin, et de façon claire et précise, la Cour européenne des droits de l'homme a rendu le 23 novembre 2010 l'arrêt Mme France Moulin contre France. C'est l'occasion pour moi d'ouvrir une petite parenthèse sur le cas personnel de France Moulin, que j'ai eu, dans la région toulousaine, le plaisir et l'honneur de connaître. Je peux vous assurer que cette personne a vécu un véritable calvaire. Son nom a été jeté en pâture dans la presse. Elle a été critiquée, vilipendée, psychologiquement brisée, professionnellement démolie. C'est la réalité des conséquences d'une garde à vue mal préparée, menée de façon quelque peu subjective, et qui a mis en lumière les limites aujourd'hui insupportables de la conception qui était la vôtre des droits de la défense.

Ces remarques générales étant faites, passons au texte lui-même. Votre projet de réforme est très loin de remplir la triple exigence d'une procédure pénale résolument moderne, respectueuse des droits, mais également attachée à assurer la protection des citoyens et la répression des infractions. Le respect de cette triple exigence doit incontestablement conduire le Parlement à davantage d'audace, en adoptant une réforme qui respecte vraiment les droits, à commencer par ceux de la défense.

N'en déplaise à certains, l'exigence de la présence de l'avocat dès le début de la procédure me paraît devoir être la norme en la matière. Je me souviens que, au début de ma carrière, il y a vingt ou trente ans, le jeune avocat que j'étais à l'époque était, entendez bien, terrorisé d'assister son client devant le juge d'instruction, tant les pouvoirs de ce dernier étaient forts et sans limite.

Il faut donc aller sans retenue aucune vers une garde à vue telle que nous la concevons.

La seule présence de l'avocat ne serait pas suffisante si elle était enserrée par un certain nombre de contraintes qui reviendraient à l'empêcher d'accomplir sa mission de façon pleine et entière. L'assistance effective de l'avocat implique nécessairement l'accès à l'intégralité des pièces du dossier mettant en cause son client, et ce dès le début de la garde à vue, dans toutes les procédures, et quelle que soit la nature de l'infraction. Ce sont là deux mesures – la présence de l'avocat et son accès à toutes les pièces du dossier – qui permettront d'assurer une véritable sécurité juridique au justiciable.

Au-delà du problème de la réforme de la garde à vue, et parce que l'une et l'autre sont intimement liées, nous devons aussi procéder à la réforme du parquet. Le Conseil national des barreaux soutient depuis longtemps, à juste titre, que la réforme du ministère public est inévitable. Les conditions de nomination des membres du parquet doivent être modifiées pour être au moins alignées sur celles des magistrats du siège. Dans l'attente de cette réforme, tout le processus de la garde à vue, de la décision qui l'instaure à celle qui la prolonge, en passant par toutes les phases de son déroulement, doit être contrôlé par le juge du siège, qui devra nécessairement être saisi sur demande écrite et strictement motivée du procureur de la République.

Enfin, il faut dégager de vrais moyens pour mettre en place cette nouvelle façon de faire vivre la vérité – j'ose espérer, monsieur le garde des sceaux, que vous en êtes déjà convaincu. Dans la mesure où nous allons passer – même si l'expression est quelque peu galvaudée – de la culture de l'aveu à la culture de la preuve, chaque professionnel devra accepter de faire un véritable effort de formation. Officiers de police judiciaire, magistrats, médecins, avocats, interprètes même, tous devront renoncer aux prérogatives qui étaient les leurs, oublier leur ethnocentrisme professionnel, pour reconnaître que sans l'effort de tous, aucune évolution positive ne sera possible. Parce qu'il est nécessaire et indispensable que les conditions matérielles de la garde à vue correspondent au standard européen, il faudra modifier les comportements, la perception de l'enquête, pour que la vérité policière ne pèse plus comme aujourd'hui sur la phase judiciaire. La garde à vue devra être recentrée sur son véritable objet, c'est-à-dire la démonstration tendant à établir l'existence d'indices qui font présumer qu'une personne a commis ou tenté de commettre une infraction.

La police judiciaire devra donc revenir à l'essentiel : la recherche d'éléments sur les infractions et sur leurs auteurs présumés. À cette fin, un membre du Conseil national des barreaux a rappelé qu'il devient nécessaire de « mettre le paquet » sur les filatures, sur les écoutes et sur les moyens techniques et scientifiques ; mais tout cela ne pourra être réalisé dans un contexte budgétaire serré et sans respecter les règles que j'ai évoquées.

Enfin, parce que je suis convaincu, monsieur le garde des sceaux, que, comme moi, vous ne souhaitez pas que la privation de liberté reste aléatoire, parce que vous voulez assurer une véritable sécurité juridique au justiciable, parce que vous voulez que les tribunaux retrouvent indépendance et impartialité, et que la France dispose d'une procédure pénale moderne, efficace et protectrice des droits, je suis certain que vous savez qu'il faudra mettre en place les crédits indispensables au bon fonctionnement de la justice. L'aide juridictionnelle est et doit rester la principale préoccupation de votre ministère. Pour que les avocats puissent être présents dans le cadre des gardes à vue, dont nous avons décortiqué le fonctionnement, et parce que leur présence doit être obligatoire, il faudra fournir les moyens à cette profession pour que, quelles que soient l'heure, les distances et les vicissitudes du dossier, l'un de ses membres soit présent lorsque la procédure sera déclenchée. Cela veut dire qu'il faudra prévoir des tours de rôle, des moyens de couvrir les frais de déplacement, notamment dans les territoires ruraux, et qu'il faudra, pour que chaque justiciable soit à égalité devant la loi, que le Gouvernement fasse un effort indiscutable en matière d'aide juridictionnelle.

Le débat reste ouvert. La discussion va commencer. Elle doit être empreinte de générosité, pour que la dignité et l'égalité des justiciables restent des valeurs républicaines intangibles. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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