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Intervention de Christian Ménard

Réunion du 12 janvier 2011 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Ménard :

Je remercie la commission pour son invitation à rendre compte de la mission d'observation que j'ai conduite au Kosovo, avec notre collègue sénatrice Marie-Thérèse Bruguière. Il faut souligner que seuls neuf parlementaires originaires de pays européens figuraient parmi les observateurs de ce scrutin : sept membres du Parlement européen et nous deux, seuls parlementaires nationaux. Des questions de délai d'organisation de l'élection anticipée et la non-reconnaissance du Kosovo par de nombreux Etats membres de l'OSCE avaient empêché celle-ci de jouer le rôle de surveillance qu'elle remplit souvent en pareil cas. Je rappelle que 73 Etats ont à ce jour reconnu le Kosovo, dont 22 membres de l'Union européenne.

Le parlement kosovar est constitué de 120 membres, dont vingt représentent les minorités. A l'issue des élections de novembre 2007, les principaux partis ayant des élus au parlement étaient le PDK (Parti démocratique du Kosovo) qui détenait 37 sièges, la LDK (Ligue démocratique du Kosovo) avec 25 sièges, et l'ARK (Alliance pour un nouveau Kosovo) avec 13 sièges. M. Fatmir Sedju avait été élu président du Kosovo en 2006, après le décès de M. Ibrahim Rugova, puis réélu en 2008. Le gouvernement reposait sur une coalition entre le PDK et la LDK. C'est à la suite d'une plainte déposée par 32 députés devant la Cour constitutionnelle que le président a été amené à démissionner : le cumul de ses fonctions de président et de chef de la LDK avait en effet été jugé contraire à la Constitution. Un désaccord est alors apparu entre les deux partenaires de la coalition sur la durée du mandat de celui qui serait désigné pour lui succéder : devait-il s'achever en 2013, à l'instar du terme normal du mandat de M. Sedju, ou en 2015, à l'issue de la durée d'un mandat présidentiel complet ? La LDK a décidé de quitter la coalition et l'ARK a déposé une motion de censure contre le gouvernement. Elle a été adoptée par 66 voix et le parlement a été dissous. Une commission électorale centrale (CEC) a été mise en place, dont nous avons rencontré la présidente, Mme Valdete Daka, une magistrate, membre de la Cour constitutionnelle. Elle a été chargée de l'organisation du scrutin.

L'inscription sur les listes électorales étant automatique, 1,6 million de Kosovars étaient appelés aux urnes, sur 2,1 millions d'habitants dans le pays. Le nombre d'électeurs inclut en effet les membres de la diaspora. Ces derniers n'ont pas beaucoup voté car ils n'avaient que quinze jours pour demander à bénéficier de la possibilité de voter par correspondance. Dans le pays, les électeurs pouvaient voter sur simple présentation d'une pièce d'identité, même périmée. Il était possible de voter hors de son bureau de vote, ce qui a certainement constitué une source de fraude.

L'élection s'est effectuée à la proportionnelle, le territoire kosovar constituant une circonscription unique. Les électeurs étaient appelés à choisir un parti puis, s'ils le souhaitaient, à désigner cinq de ses candidats, le tout par l'intermédiaire de numéros à cocher. 30 % des sièges sont réservés à des femmes si bien que des hommes ayant obtenu davantage de voix peuvent être écartés de manière à ce que le nombre de femmes nécessaire soit atteint.

2 280 bureaux de vote avaient été organisés dans l'ensemble du pays. Devant l'impossibilité de les installer dans des lieux publics au nord de l'Ibar, 14 bureaux de vote mobiles, installés dans des camionnettes, et 8 bureaux fixes, installés dans des lieux privés, avaient été mis en place. Mais le nombre d'électeurs a été très faible dans cette zone à forte majorité serbe. Si les autorités de Belgrade avaient appelé les Serbes du Kosovo à boycotter le scrutin, huit partis serbes ont accepté d'y participer, contre un seul en 2007. Du côté des albano-kosovars, toutes les grandes formations politiques sont favorables à l'intégration européenne, à l'exception du Mouvement pour l'autodétermination, récemment créé, qui prône le départ des forces internationales et le rattachement à l'Albanie.

A l'exception du mitraillage d'un bureau de la KFOR inoccupé dans le Nord du pays, à Zubin Potok, et d'un assassinat sans motivation politique, la campagne puis le scrutin se sont déroulés dans des conditions correctes du point de vue de la sécurité. Au niveau national, la participation s'est établie à 47,8 %. Elle a été très basse dans le Nord : entre 1,5 % et 6,27 % selon les municipalités, mais remarquablement élevée dans les enclaves serbes : 41 % à Gracanica, 48 % à Stepce, 50 % à Partes, 50,32 % à Novo Brdo. 171 plaintes ont été déposées à l'issue du scrutin.

A la mi-journée, la mission d'observation avait le sentiment que le scrutin se déroulait sans problème ; je me suis d'ailleurs exprimé en ce sens dans les médias locaux. Mais nous sommes ensuite allés à Skenderaj, fief électoral du Premier ministre sortant, où nous avons constaté des fraudes à grande échelle. Ainsi, dans certains bureaux, le nombre de votants dépassait celui des inscrits ; le numéro des députés à élire était noté sur des papiers disposés dans les isoloirs ; des pannes d'électricité suspectes ont été constatées ; pendant le dépouillement, des bureaux étaient fermés aux observateurs ; dans d'autres, les scrutateurs cochaient eux-mêmes des cases sur les bulletins… Des fraudes du même type ont aussi été observées dans d'autres municipalités, conduisant la CEC à annuler le scrutin dans cinq d'entre elles. Des nouvelles élections se sont tenues le 9 janvier, et une autre aura lieu le 26 janvier suite à l'annulation du scrutin à Mitrovica-Sud par la Cour constitutionnelle.

Selon les résultats proclamés le 13 décembre par la CEC, le PDK avait obtenu 33,6 % des voix, la LDK 23,5 %, le Mouvement pour l'autodétermination 12,2 %, l'AAK (Alliance pour l'avenir du Kosovo) 10,8 %, l'ARK 6,5 % et les autres partis 13,4 %. Après le nouveau scrutin du 9 janvier, le PDK devrait perdre de l'ordre de 2 à 3 points. Cela ne change pas fondamentalement les données du problème : le parti arrivé en tête devra former une coalition, vraisemblablement avec l'ARK et des partis représentant les minorités. L'exercice du pouvoir sera certainement difficile, dans un contexte rendu encore plus délicat par les accusations relatives à l'implication du Premier ministre sortant dans un trafic d'organes.

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