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Intervention de Patrick Braouezec

Réunion du 18 janvier 2011 à 15h00
Garde à vue — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Braouezec :

Monsieur le président, avant de commencer mon intervention, je tiens à signaler que j'aurais préféré défendre la motion de renvoi en commission, mais elle a été prise par le groupe SRC. Nous ne rejetons pas a priori un projet de loi sur la réforme de la garde à vue, tant il y a à faire. La défense de cette motion de rejet sera donc un prétexte, je l'avoue, pour défendre divers arguments et évoquer ce qui manque à ce projet et ce qu'il serait nécessaire d'y introduire pour qu'il corresponde aux obligations que différentes instances nationales ou européennes nous ont demandé de respecter.

J'en viens maintenant au projet de loi lui-même. Monsieur le garde des sceaux, il faut bien convenir que, trop longtemps, le régime de la garde à vue a été considéré comme faisant partie des moeurs ordinaires. Il aura fallu ce chiffre hallucinant de 792 000 gardes à vue en 2009, dénoncé depuis un certain temps par de nombreuses associations et des professionnels des métiers de justice, pour que cette procédure se trouve dans l'oeil du cyclone.

Ces chiffres obligent à rompre avec la pratique qui, quoi qu'en dise le Gouvernement, fait du nombre de gardes à vue prononcées un indicateur de la performance d'un service de police ou de gendarmerie. Certains syndicats de policiers ne se sont-ils pas plaints de cette politique du chiffre sévissant au ministère de l'intérieur ?

Il aura ensuite fallu la condamnation claire de la Cour européenne des droits de l'homme, notamment dans l'arrêt du 27 novembre 2008 qui a condamné la France pour la violation de l'article 5 de la Convention en raison du régime de garde à vue, puis de la Cour de cassation, dans ses arrêts du 19 octobre dernier, qui a confirmé la non-conformité de la garde à vue à la française avec le droit européen et la Cour européenne des droits de l'homme, pour que le Gouvernement se décide enfin à proposer une réforme.

Autre signe d'un dysfonctionnement, la déclaration du Conseil constitutionnel du 30 juillet dernier a affirmé contraires à la Constitution les articles régissant la garde à vue de droit commun parce qu'ils n'instituent pas les garanties appropriées à l'utilisation de la garde à vue dans son acception actuelle et qu'ils ne concilient pas suffisamment l'équilibre entre les exigences de l'enquête et l'exercice des libertés constitutionnellement garanties. Dès lors, il était plus qu'urgent de remédier au fait que les dispositions actuelles concernant les gardes à vue de droit commun n'encadrent pas suffisamment les conditions du placement et de la prolongation, et qu'elles ne prévoient pas de garanties suffisantes pour l'exercice des droits de la défense et, notamment, du droit à l'assistance effective d'un avocat.

Certes, l'on peut se satisfaire de quelques-unes des dispositions de ce projet, comme le renforcement du droit à l'information de la personne gardée à vue, la notification de son droit de garder le silence et la possibilité de consulter un avocat dès le début de la garde à vue ainsi que de bénéficier de sa présence pendant toutes les auditions, sous réserve des restrictions concernant l'application de circonstances particulières et, pour les régimes dérogatoires, de raisons impérieuses. Toutefois, il faut dénoncer le caractère ambigu et lacunaire de certaines dispositions qui portent atteinte aux droits des personnes et regretter que le texte maintienne des règles encore plus restrictives s'appliquant aux personnes en garde à vue soupçonnées de crimes et délits liés au crime organisé, de trafic de stupéfiants ou d'infractions ayant trait au terrorisme.

Le Gouvernement, dans sa présentation du projet, revendique deux objectifs : accroître de façon significative les droits des personnes gardées à vue, notamment le droit à l'assistance d'un avocat ; maîtriser le nombre des gardes à vue, en constante augmentation depuis plusieurs années. Si l'on peut se réjouir de cet objectif, l'on ne peut que regretter que le Gouvernement ne dise rien quant à la limitation des gardes à vue.

Aujourd'hui, le code de procédure pénale ne fixe aucune condition de fond au placement en garde à vue, qui est laissé à la pure appréciation de l'officier de police judiciaire, pour les nécessités de l'enquête, comme le précise l'article 63 du code de procédure pénale, et qui n'est limité par aucune condition légale, ce qui agit comme un facteur important de l'accroissement du nombre des gardes à vue. À cela s'ajoutent les effets de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui impose à l'officier de police judiciaire de placer en garde à vue une personne qu'il souhaite entendre immédiatement lorsque celle-ci a fait l'objet préalablement d'une mesure de contrainte.

L'une des façons de contribuer à une limitation sensible du recours à la garde à vue serait d'instaurer une procédure de validation par le procureur de la République. L'enjeu est de taille, qui consisterait à remettre l'autorité judiciaire au centre de la garde à vue : on sait que la hiérarchie policière s'y oppose, à telle enseigne qu'à Clermont-Ferrand, Melun, Belfort, Montluçon mais aussi à Saint-Pierre de la Réunion, des juges d'instruction ont été obligés de donner des directives aux officiers de police judiciaire pour qu'ils respectent les droits des gardés à vue, ainsi que les y oblige la Convention européenne qui, je le rappelle, s'applique en droit interne et a une valeur supérieure à la loi nationale.

Permettez-moi de faire quelques remarques sur certains éléments constitutifs de la garde à vue, à commencer par l'avis de garde à vue. Tel qu'il se pratique actuellement, il procède d'une certaine hypocrisie. Il est le plus souvent réalisé par télécopie, le magistrat du parquet n'en prenant connaissance que plusieurs heures après sa réception, ce qui ne lui permet pas d'apprécier l'utilité de la mesure. Seules la nature de l'infraction et l'identité de la personne lui sont communiquées. Le projet entend ne rien changer à cette situation qui a pourtant largement montré ses limites.

La loi devrait, au contraire, instaurer une procédure de validation explicite de la mesure par le procureur de la République, dans les trois heures suivant l'interpellation. Cela permettrait de soumettre la question de l'opportunité du placement en garde à vue à l'autorité judiciaire elle-même, ce qui apparaît logique dans la mesure où la garde à vue sera désormais conditionnée à des modalités précisément définies.

Une autre façon de réduire le nombre des gardes à vue serait d'en limiter la durée. Pourtant, le projet de loi reste quasi muet sur les mesures qui permettraient de limiter efficacement la durée des gardes à vue, même s'il pose le principe suivant lequel la durée de la garde à vue ne peut excéder vingt-quatre heures. La prolongation demeure possible dès lors que les motifs initiaux du placement en garde à vue perdurent et que la peine encourue est supérieure ou égale à un an.

Ainsi, l'effet de seuil censé limiter le nombre de prolongations ne jouera qu'à la marge. Les infractions pour lesquelles la peine encourue est inférieure à un an sont rares. Il s'agit, pour l'essentiel, d'outrages à personnes dépositaires de l'autorité publique, de filouteries et de menaces de commettre un délit contre les personnes sans circonstances aggravantes. Or, dans sa décision du 30 juillet dernier, le Conseil constitutionnel a déclaré la garde à vue inconstitutionnelle, notamment parce qu'elle peut être prolongée « sans que cette faculté soit réservée à des infractions présentant une certaine gravité ». Il paraîtrait équilibré, si le placement en garde à vue était réservé, dans les conditions explicitées plus haut, aux infractions punies de trois années ou plus d'emprisonnement, de ne permettre la prolongation de la mesure que pour les infractions punies au moins de la même peine, sans aucune exception, cette fois.

Venons-en aux droits des gardés à vue. Si le projet de loi prévoit le maintien de l'entretien avec l'avocat pendant une demi-heure au début de la garde à vue de droit commun, il faut remarquer que sa durée, confrontée aux exigences d'une véritable défense posées par la Cour de Strasbourg, est insuffisante et pourrait être augmentée à une heure. Par ailleurs, manque aussi la possibilité pour l'avocat de s'entretenir avec son client entre deux auditions. Le projet de loi instaure la possibilité pour le gardé à vue de demander que l'avocat assiste à ses auditions, sans préciser cependant quel pourra être le délai d'attente imposé au conseil, délai pourtant évoqué dans l'étude d'impact à l'occasion de la mise à disposition pour les avocats de salles d'attente et de travail.

Toutefois, saisi par l'officier de police judiciaire qui souhaitera ne pas faire droit à cette demande, et lorsque cette mesure apparaît indispensable en considération des circonstances particulières de l'enquête, soit pour permettre le bon déroulement d'investigations urgentes tendant au recueil ou à la conservation des preuves, soit pour prévenir une atteinte imminente aux personnes, le procureur de la République pourra, par décision écrite et motivée, décider de différer pendant douze heures la présence de l'avocat aux auditions.

Plusieurs critiques peuvent être adressées au projet dans ce domaine. En premier lieu, le report de l'intervention de l'avocat ne paraît pouvoir se justifier que lorsqu'une audition ou une perquisition doit être réalisée dans une urgence telle que l'arrivée matérielle de l'avocat n'est pas possible dans ce délai. Toute autre dérogation doit être explicitement proscrite, à moins de vouloir jeter une suspicion inacceptable sur les avocats dont il n'est pas inutile de rappeler qu'ils sont responsables disciplinairement et pénalement. Comme il s'agit d'une décision portant directement atteinte aux droits de la défense, il importe qu'elle ne puisse être prise que par un magistrat du siège.

Deuxièmement, il est regrettable que le texte n'ait pas envisagé, dans cette hypothèse exceptionnelle où il aurait été décidé de reporter l'intervention de l'avocat, que les auditions fassent l'objet d'un enregistrement audiovisuel, y compris, en matière délictuelle, pour les majeurs. Cette précaution permettrait au moins un contrôle a posteriori de cette phase de l'enquête.

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