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Intervention de Philippe Gosselin

Réunion du 18 janvier 2011 à 15h00
Garde à vue — Discussion d'un projet de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gosselin, rapporteur :

de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est un sujet important qui nous réunit aujourd'hui : la très attendue réforme de la garde à vue. L'Assemblée nationale est saisie en première lecture d'un projet de loi, déposé le 13 octobre 2010 pour tenir compte de jurisprudences récentes, et adopté par notre commission des lois le 15 décembre dernier.

Mesure policière d'enquête prévue par le code de procédure pénale, la garde à vue constitue une mesure privative de liberté, au cours de laquelle une personne soupçonnée d'avoir commis ou tenté de commettre une infraction est retenue par les enquêteurs. Je reviendrai sur cette définition qu'il est nécessaire de préciser. Pendant toute sa durée, les enquêteurs peuvent accomplir un certain nombre d'actes d'enquête, et notamment procéder à l'audition de la personne gardée à vue.

La garde à vue connaît aujourd'hui une crise double, liée, d'une part, à une explosion quantitative et, d'autre part, à un encadrement juridique devenu progressivement insuffisant et qu'il convient d'améliorer.

La garde à vue a connu un développement très important au cours des dix dernières années. Alors que le nombre de gardes à vue décidées était de moins de 340 000 en 2001 – s'il est convenu de prendre cette année comme référence, je citerai tout de même 1999 où il s'élevait à 436 000 –, il est indiscutablement passé à près de 800 000 en 2009, dont 175 000 environ motivées uniquement par des infractions au code de la route.

Les raisons de cette augmentation se conjuguent. J'en vois au moins trois principales. La première tient en grande partie à l'augmentation de certaines formes de délinquance quotidienne, mais aussi de criminalité organisée. Sans doute une deuxième explication peut-elle être trouvée dans l'introduction d'une culture du résultat dans le fonctionnement des services de police, ce qui a pu conduire, pendant quelques années, à retenir le nombre de gardes à vue comme indicateur d'activité. Mais une troisième raison majeure de cette hausse importante est juridique : depuis 2000, la jurisprudence constante de la Cour de cassation impose le placement en garde à vue de toute personne devant être entendue dès lors qu'elle a fait l'objet d'une interpellation sous contrainte. Voilà pour les éléments quantitatifs.

Quant aux éléments qualitatifs, certains ont parfois défrayé la chronique, notamment l'inadaptation de certains lieux. Oui, parfois les locaux sont indignes, mais de là à généraliser, il y a un pas que je ne franchirai pas. En tout cas, j'hésiterai à parler, comme d'aucuns, de barbarie, terme qui me semble totalement impropre et, pour tout dire, déplacé.

Deuxième facette de la crise de la garde à vue, son encadrement, qui est devenu insuffisant au regard de l'évolution des exigences constitutionnelles et conventionnelles.

L'encadrement de la garde à vue en France est relativement récent. Ce n'est qu'en 1958 que le législateur consacre la mesure en l'inscrivant dans le code de procédure pénale, tout en l'entourant d'un minimum de garanties. Aujourd'hui, le régime de la garde à vue résulte essentiellement de trois textes législatifs : les lois du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale et du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence, et la loi du 9 mars 2004. Les premières ont institué les droits dont dispose aujourd'hui la personne placée en garde à vue. La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a instauré, en matière de criminalité organisée, un régime de garde à vue dérogatoire, tant sur le plan de la durée maximale que des droits de la personne gardée à vue.

Cet encadrement se révèle aujourd'hui insuffisant au regard de ce que sont devenus, en 2010, les standards constitutionnels et européens. Le régime français de la garde à vue a ainsi été déclaré contraire à la fois à la Constitution, par une décision rendue le 30 juillet 2010 par le Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité, et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, par trois arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation, rendus le 19 octobre 2010. Le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation ont toutefois prévu que leurs décisions ne prendraient effet qu'à compter du 1er juillet 2011. Je n'évoquerai pas ici le détail de ces décisions, nous y reviendrons au cours du débat.

Je n'évoquerai pas davantage le contenu des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme. Ceux-ci nous imposent un cadre fort que nous devons certes respecter mais qui n'est pas incontournable pour autant. Il me semble ajustable sur certains points. Une question sur la place du droit dans notre société me semble très indirectement posée ici.

D'ici au 1er juillet, il appartient au législateur de faire la bonne réforme de la garde à vue, celle qui prendra acte des différentes contraintes juridiques, mais tiendra compte, aussi, des contraintes pratiques. Si l'effectivité de la réforme n'est pas assurée, celle-ci n'aura pas de sens. Un principe ne vaut que s'il peut être appliqué, et rien ne sert de se draper dans une dignité qui n'apporte rien.

Il est indispensable de concilier les trois objectifs majeurs de toute réforme de procédure pénale. D'abord, nous devons garantir les droits des personnes mises en cause, dans le respect du principe de présomption d'innocence. Ce respect des droits de la défense est sans doute le sens de l'histoire. Ensuite, parce qu'il n'y a pas de démocratie sans la sécurité qu'ils contribuent à assurer, nous devons préserver aux services enquêteurs leurs capacités d'investigation. Depuis quelques années, les taux d'élucidation se sont réellement améliorés, et il ne faudrait pas casser une machine qui fonctionne. Les forces de l'ordre doivent avoir confiance dans le système que nous leur proposons, et, de notre côté, nous devons faire confiance aux forces de l'ordre. Je profite d'ailleurs de l'occasion pour leur dire qu'elles ont toute la confiance de la représentation nationale.

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