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Intervention de Jean-Paul Moisan

Réunion du 12 janvier 2011 à 14h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

Jean-Paul Moisan, professeur de génétique médicale, PDG de l'Institut génétique Nantes Atlantique :

Merci d'avoir accepté de m'entendre. Je suis professeur de génétique médicale et, en tant que tel, très sensible à l'importance des lois de bioéthique, d'autant que notre discipline a été reconnue comme telle par M. Mattei, qui est à l'origine de ces lois. Il s'agit d'une discipline qui a engendré beaucoup de progrès et d'espoirs en médecine, mais aussi suscité beaucoup de questions.

J'ai créé les premières empreintes génétiques de France en 1988, au sein du CHU de Nantes, dont j'étais le chef du service de génétique. En 2003, en accord avec le CHU et l'université de Nantes, j'ai créé une société spin off du CHU, l'Institut génétique Nantes-Atlantique (IGNA), qui est devenue le leader en France en matière d'empreintes génétiques demandées par la justice – elle est également devenue le leader en Europe en 2010. Nous employons maintenant une centaine de personnes, et notre activité recouvre notamment les tests de paternité.

L'encadrement juridique des tests de paternité n'est actuellement pas satisfaisant, tant sur le plan de l'efficacité des examens que d'un point de vue éthique. Les lois de bioéthique prévoient que les tests de paternité ne peuvent être faits qu'à la demande de la justice – il s'agit surtout de tribunaux civils, parfois de magistrats de l'instruction. On ne peut donc demander à titre personnel un test de paternité. Mais les lois de bioéthique ont été pensées à la fin des années 1980. Depuis, avec Internet, on peut demander un test de paternité depuis son salon : il suffit d'avoir un numéro de carte bancaire pour recevoir un kit de prélèvement salivaire. La loi est donc contournée massivement. Pour 3 500 à 4 000 tests de paternité officiels par an en France, il y en aurait, selon les professionnels, 15 000 faits par d'autres voies – soit en ayant recours à Internet, soit en allant à l'étranger. La loi n'est donc pas appliquée. Pire, on en est arrivé à l'opposé de ce que souhaitait le législateur : ces tests de paternité sont effectués par des laboratoires à l'étranger qui échappent à tout contrôle. Certains sont de qualité, d'autres notoirement insuffisants. J'ai vu sur M6 des reportages qui montraient combien il est facile de faire un test de paternité, avec notamment cette société espagnole qui a 80 % de clients français et qui sous-traite ses analyses au Panama. Si je faisais mes analyses de la même façon en France, je vous assure que j'irais en prison !

Quant à l'éthique de la pratique, elle est aussi déplorable, dans ce cas, que la qualité des prestations. En France, on ne peut procéder à une analyse génétique qu'avec le consentement de la personne. Si l'on passe par Internet, il suffit de récupérer une petite cuillère ou un mouchoir utilisée par une personne pour faire réaliser une enquête de paternité sur celle-ci. On est donc très loin de ce que souhaitait le législateur. Celui-ci a refusé la libéralisation des tests de paternité par crainte d'une explosion des drames familiaux ; or, les pays occidentaux où ces tests de paternité ont été libéralisés n'ont pas connu ce genre de débordements – la France non plus d'ailleurs, malgré l'augmentation du nombre de tests de paternité sauvages. Bref, cette loi est contreproductive.

Par ailleurs, et sans vouloir faire de provocation, j'estime que les tests de paternité ne relèvent pas de la bioéthique mais relèvent plutôt d'un problème de société, un peu comme le divorce par exemple.

En tant que médecin, généticien, j'ai conscience de l'importance des lois de bioéthique. Pour autant, on ne peut pas mettre au même niveau le trafic d'organes, les manipulations sur les embryons, les mères porteuses et les tests de paternité ! Au reste, le citoyen moyen fait la différence. Mme Morano, lorsqu'elle était secrétaire d'État à la famille, s'est opposée à la libéralisation des tests de paternité en prétextant qu'ils deviendraient des tests de fidélité – je précise que, dans la pratique, l'infidélité est de loin le cas minoritaire ! Son propos montre bien que la question relève plus, comme celle du divorce, de l'équilibre familial que du problème de l'essence de la vie. Les tests de paternité ne relèvent donc pas, comme d'autres pratiques médicales, de l'encadrement moral mais plutôt d'une politique de transparence dans une société de plus en plus ouverte et demandeuse de vérité. Ce qui me semble très important, c'est que le législateur encadre la manière dont cette vérité est dévoilée.

Enfin, il ne faut pas oublier l'aspect économique des choses – car je suis aussi chef d'entreprise. Il est important que nos sociétés de biotechnologie créent de la richesse pour la France, tout comme il est important que je puisse assurer les salaires de mes employés. Or l'état actuel de la loi provoque une grande distorsion de concurrence.

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