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Intervention de René Frydman

Réunion du 16 décembre 2010 à 9h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique

René Frydman, professeur des universités, gynécologue :

La question la plus importante pour les médecins et les chercheurs demeure celle de la recherche sur l'embryon, dont il faut redéfinir le cadre général. Je suis de ceux qui pensent qu'il faut distinguer la recherche de l'innovation clinique et thérapeutique, et l'exemple de la vitrification des ovocytes est précisément l'un de ceux qui peuvent le mieux illustrer mon propos.

Les premières congélations d'ovocytes ont été réalisées, grâce à la méthode dite de congélation lente, pour préserver la fertilité de femmes soumises à des traitements anti-cancéreux et leur conserver l'espoir d'enfanter un jour. À partir de 1985, est apparue dans les publications étrangères une nouvelle technique, pratiquée notamment par des équipes japonaises, la vitrification, qui semblait donner de meilleurs résultats. Souhaitant la tester, nous avons déposé des projets de recherche comparative auprès des instances habituelles, l'Agence de la biomédecine (ABM), l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et le ministère. Ces trois projets en sont restés au stade de l'étude juridique. En effet, l'interprétation faite des textes aboutit à assimiler nouvelle méthode de conservation et création d'embryons pour la recherche.

Aujourd'hui donc, en France, et contrairement à ce qui se passe dans les pays voisins, la vitrification d'ovocytes n'est toujours pas pratiquée. Cet exemple montre que l'innovation est impossible : dès que l'on souhaite apporter des modifications en amont, aux milieux de culture ou aux techniques de conservation, c'est assimilé à de la recherche, donc interdit. Et, en l'occurrence, il y a paradoxe puisque la méthode n'est pas condamnée : en juin, l'ABM, qui ne s'est jamais prononcée sur la vitrification des ovocytes, a autorisé cette même technique pour les embryons déjà constitués, dans le cadre d'un projet parental !

Il faut donc distinguer la recherche de l'innovation. La recherche, dont les visées sont cognitives, ne s'inscrit pas dans un projet parental. Elle doit satisfaire à un certain nombre de conditions, en termes d'objectifs, de recueil du consentement, etc., pour être approuvée. L'innovation consiste à apporter des modifications pour améliorer un résultat. Elle s'appuie sur des recherches, déjà effectuées en France ou ailleurs, sur des données cliniques ou sur l'expérimentation animale, tous pré-requis pour passer à l'application chez l'homme. Elle pourrait faire l'objet de démarches particulières, de demandes d'autorisation spécifiques, dans le cadre d'une procédure transparente. Mais elle serait identifiée comme telle, distincte de la recherche, dont les objectifs sont différents. Cela permettrait d'éviter des blocages tels que ceux que nous connaissons aujourd'hui.

En quoi cette nouvelle technique de vitrification est-elle intéressante ? Vous savez que la France connaît une pénurie de dons d'ovocytes, avec 4 000 demandes annuelles pour 250 recueils d'ovocytes en 2008. Les demandes augmentent à mesure que s'élève l'âge de la procréation et que se multiplient les familles recomposées : nombre d'entre elles proviennent désormais de femmes dans la quarantaine. Or plusieurs mesures permettraient de faciliter ces dons. La première consisterait à mener de larges campagnes d'information. La deuxième serait d'accorder une véritable reconnaissance aux donneuses et de faire en sorte qu'elles soient mieux indemnisées – elles ont souvent à faire l'avance de leurs frais de médication et de transport – sans entrer pour autant dans un système de rémunération dont je pense, après réflexion, qu'il serait délétère.

La congélation des ovocytes, dont l'efficacité a été démontrée par une publication espagnole établissant que, sur 300 ovocytes vitrifiés, les résultats en termes de fécondation et d'implantation étaient identiques à ceux obtenus grâce à des ovocytes « frais », serait un autre élément facilitant les dons. Elle permettrait de préparer et d'effectuer le transfert d'ovocytes dans le calme, en le déconnectant du don. Dans la pratique, la concomitance des deux actes crée une tension difficile à gérer pour les receveuses comme pour les équipes médicales. L'avenir sera sûrement à la création de banques publiques d'ovocytes, soumises aux règles habituelles d'anonymat – si celui-ci est maintenu – et de non-commercialisation. L'évolution serait identique à celle que nous avons connue pour le don de sperme : avant la création des Centres d'études et de conservation des oeufs et du sperme (CECOS), l'insémination artificielle se pratiquait dans le cabinet du médecin, immédiatement après le passage d'un donneur « furtif ».

Par ailleurs, il faudrait mener une réflexion sur l'âge et la maturité exigés des donneuses. La loi de 1994 impose qu'elles soient déjà mères, le dispositif ayant été calqué sur celui des CECOS dans lequel l'homme, pour donner son sperme, doit être père et avoir obtenu l'accord de sa compagne. L'un des arguments avancés pour justifier ce choix était qu'une jeune femme pourrait se trouver dans une situation difficile si, après avoir donné ses ovocytes, elle devenait stérile sans jamais avoir enfanté. Ce point, à ma connaissance, n'a pas été réexaminé lors des débats sur la révision de la loi. Abaisser l'âge du don permettrait de disposer de davantage d'ovocytes et aurait un autre avantage : plus la donneuse est jeune, plus le transfert a de chances de succès. Mais cela supposerait de lever la crainte qui a inspiré le choix de 1994 et je pense qu'une des façons d'y parvenir – en même temps d'ailleurs que d'inciter au don – serait d'offrir à ces jeunes femmes l'assurance de pouvoir disposer pour elles-mêmes, en cas de nécessité, d'une partie de leurs ovocytes ainsi congelés. C'est une clause qui n'existe pas dans les pays voisins, et qui, je crois, vaut la peine d'être examinée.

Pour en revenir à la question de la recherche sur l'embryon, je pense que le régime actuel est très préjudiciable. Dans la pratique, il aboutit à ce que les jeunes chercheurs se montrent réticents à s'engager sur un terrain considéré comme « sulfureux » et où, de surcroît, ils risquent de se heurter à un butoir, le moratoire expirant en février 2011.

Il peut être nécessaire de regarder ce qui se passe au niveau de l'embryon, voire d'analyser un certain nombre de ses composantes, avant de le transférer chez la femme et d'obtenir une naissance. Ainsi, les débuts de la fécondation in vitro (FIV) en France ont nécessité que l'on observe la façon dont se développaient les embryons dans les trois premiers jours suivant la fécondation. Il y a donc eu des études sur des embryons hors projet parental. Le paradoxe, aujourd'hui, est que l'on interdit la recherche sur l'embryon, mais que l'on autorise la recherche sur l'enfant né. C'est ainsi que des recherches ont été menées sur les enfants issus d'une injection intracytoplasmique de spermatozoïde (ICSI), méthode développée dans le doute, faute d'avoir pu en analyser toutes les étapes.

Les innovations, en particulier pharmaceutiques, supposent que l'on effectue d'abord des recherches sur l'animal mais, même si les résultats de celles-ci se révèlent positifs, le passage à l'homme comporte toujours un risque. Nombre de médicaments ont ainsi dû être retirés du marché en raison de leurs effets constatés, comme le Distilbène. Il peut donc être nécessaire, je le répète, de réaliser des études sur les embryons, et sur des embryons qui ont tous les attributs de la vitalité embryonnaire – étant bien entendu qu'elles en requièrent un très petit nombre et qu'elles doivent, à chaque fois, être justifiées.

Les règles actuelles créent surtout un climat de méfiance, dont les conséquences sur le dynamisme de la recherche, sur le progrès scientifique et sur le développement de brevets n'ont pas été bien mesurées.

J'en viens à la question des mères porteuses, qui renvoie à l'éternel débat sur les rapports entre science et éthique : toute découverte scientifique ne doit pas forcément être exploitée, toute nouvelle technique ne doit pas forcément être appliquée. Cela fait dix ans que l'on sait reconnaître le sexe du foetus dès la septième semaine, sans geste invasif, par une prise de sang maternel. Pour autant, comme le veut la loi, il n'est fait usage de cette possibilité que dans le cas de pathologies. Aucune dérive n'a été constatée. Cela montre que, même si c'est une gageure, les applications peuvent toujours être contrôlées.

Qui sont les personnes fragiles dans cette affaire de gestation pour autrui ? Même si je suis bien placé pour mesurer leur souffrance – je rappelle que 50 % des couples engagés dans un essai de FIV n'auront pas d'enfant –, je ne pense pas que ce soient les femmes stériles. Les personnes fragiles, ce sont celles qui entreront dans un système d'exploitation.

Ce sera peut-être de leur propre gré. Mais, que je sache, elles n'assiègent pas le Parlement en clamant : « Je veux porter un enfant ! ». Accepterait-on que des personnes vendent, parce qu'elles le veulent, un oeil ou un rein, fût-ce « dans de bonnes conditions » ? Les bonnes conditions n'existent pas. Une grossesse, une naissance n'ont rien d'anodin. Quant à autoriser une GPA soft pour une cinquantaine de femmes par an, cela ne résoudrait absolument pas le problème de la stérilité, et affaiblirait extraordinairement notre position sur le plan des principes.

La GPA n'aboutit à rien d'autre qu'à l'aliénation de la femme, à son exploitation, à son utilisation au profit d'une autre. Je suis résolument pour le maintien de son interdiction sur notre territoire. La France devrait même prendre l'initiative d'une campagne internationale pour l'élimination de cette pratique.

S'agissant de l'anonymat du don de gamètes, je pense qu'offrir la possibilité à l'enfant majeur d'avoir accès à des informations sur le donneur, si celui-ci y a consenti, respecte la liberté des deux. Cela suppose bien entendu que les parents informent l'enfant des conditions de sa conception, ce qui demeurerait de leur entière responsabilité.

L'un des arguments opposés par l'Académie de médecine à la levée de l'anonymat est qu'elle inciterait les parents à « ne pas dire », qu'elle renforcerait paradoxalement le secret, comme on le constate en Suède où peu d'enfants demandent à connaître leur père génétique. D'un autre côté, tout se passe comme si l'on souhaitait que les parents ne cachent pas à leur enfant qu'il est né d'un don mais sans aller plus loin. Si l'on incite les parents à informer l'enfant des conditions de sa conception, la cohérence voudrait qu'alors on lève l'anonymat. Or beaucoup de parents vivent bien le secret, ce qui se comprend quand on connaît le parcours d'un couple confronté à la stérilité et à l'attente.

Une autre objection consiste à dire que la disposition proposée aboutira à créer deux catégories d'enfants, les uns ayant droit à connaître leurs origines, les autres non. Mais que se passe-t-il dans la « vraie vie » ? Tant que l'on ne demandera pas un pedigree à chaque naissance, beaucoup d'enfants demeureront dans l'ignorance de leurs origines génétiques. Il ne s'agit pas de traquer le père biologique !

En définitive, la disposition inscrite dans le projet de loi me semble à la fois respecter la liberté des parents, dont la position sur cette question des origines sera déterminante pour la suite, celle de l'enfant, qui souhaitera ou non accéder à la connaissance de ses origines, et du donneur, qui aura ou non accepté de donner son identité. Pour qu'une procédure aboutisse, il faudra que ces quatre volontés, ces quatre libertés se conjuguent. Je n'ai pas d'opposition à cette proposition, que je trouve intéressante.

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