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Intervention de Jean-Ludovic Silicani

Réunion du 15 décembre 2010 à 10h45
Commission des affaires économiques

Jean-Ludovic Silicani, président de l'ARCEP :

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer devant vous.

Si vous le permettez, avant de présenter les principaux chantiers sur lesquels travaille l'ARCEP (notamment le déploiement de la fibre optique et l'attribution des fréquences 4G mobile, c'est-à-dire le dividende numérique), je souhaiterais, 18 mois après ma prise de fonction, prendre un peu de recul et vous rappeler brièvement les principes d'action du régulateur des télécoms. Ils sont au nombre de quatre.

Notre premier principe est d'appliquer la loi, c'est-à-dire toute la loi et rien que la loi. Le législateur que vous êtes nous a confié un certain nombre de missions et nous entendons les exercer toutes pleinement. Je le dis parce qu'on nous reproche parfois, ça et là, d'être trop zélé, voire trop efficace (on me l'a dit récemment : j'ai pris cela pour un compliment, même si cela était sans doute une critique). Dans un État de droit, une administration n'a pas à choisir, comme sur un menu, au sein des missions qui lui incombent, surtout quand c'est la loi qui les lui a fixées, entre celles qu'il exerce ou pas. L'Autorité doit donc, bien sûr, exercer toutes ses missions. Nous décevons ainsi assurément ceux qui préféreraient une ARCEP ronronnante ! Je citerai un exemple : certains se sont interrogés récemment sur le travail annoncé et mené par l'ARCEP depuis janvier 2010, en concertation avec les opérateurs, en ce qui concerne l'amélioration des relations entre ces derniers et les consommateurs. Il ne s'agit pas d'une lubie de l'ARCEP mais de l'application de la loi qui nous fixe, parmi nos objectifs, celui de veiller à la protection du consommateur, notamment grâce à la transparence des offres qui lui sont faites. C'est encore le Parlement, vous le savez, qui a demandé à l'ARCEP de lui remettre un rapport sur l'application de la loi Chatel - ce que nous avons fait au cours de l'été dernier – et de lui faire des propositions pour améliorer la fluidité des marchés. C'est donc dans ce cadre que nous avons, début décembre, après près d'un an de travail, mis en consultation publique, des propositions visant précisément à améliorer la transparence des offres et la fluidité des marchés de communications électroniques. Après cette consultation et l'audition de tous les acteurs, nous rendrons publiques, fin janvier, nos propositions définitives que nous transmettrons bien sûr au Parlement et au Gouvernement qui y donneront les suites qu'ils souhaitent. Nous ne pensons pas que les intérêts des consommateurs et ceux des opérateurs soient opposés. Comme l'ont reconnu les opérateurs, lors d'une réunion récente, et cela illustre leur perspicacité, « des consommateurs heureux font des opérateurs heureux ».

Notre deuxième principe d'action est d'exercer une régulation équilibrée. Cela implique un niveau de concurrence suffisant pour que les utilisateurs finaux en bénéficient. C'est déjà le cas pour les services fixes où les opérateurs proposent des offres de qualité aux prix les plus bas d'Europe (et trois fois moindre qu'aux États-Unis). En revanche, le « panier moyen » des services mobiles étant plus élevé en France que chez nos voisins, une accentuation de la concurrence était nécessaire d'où l'attribution, en janvier 2010, d'une 4ème licence de téléphonie mobile. Donc, un niveau suffisant de concurrence, mais, à l'inverse, pas excessif, afin que les opérateurs puissent dégager des marges pour investir, dans les réseaux notamment, et pour innover dans les services qu'ils proposent. Nous tenons à maintenir cette ligne de régulation équilibrée et pragmatique.

Notre troisième principe d'action est de traiter de façon proportionnée et raisonnable les différents opérateurs, c'est-à-dire, d'une part, l'opérateur historique, d'autre part, ses concurrents (les opérateurs dits alternatifs). Il s'agit, là aussi, de trouver et de conserver un bon équilibre entre la régulation asymétrique, dont l'objet même est de protéger les opérateurs alternatifs, et la régulation symétrique qui, par définition, est la même pour tous les opérateurs. C'est ainsi que, sur le nouveau segment du marché des futurs réseaux de fibre optique, où il n'existe, par hypothèse, aucun opérateur puissant, nous avons édicté une régulation symétrique comme nous le demandait le législateur (LME et loi PINTAT). Il est dans la nature des choses, comme aurait dit le Général de Gaulle, que l'opérateur historique souhaite que nous fassions plus de régulation symétrique et que les opérateurs alternatifs souhaitent, à l'inverse, plus de régulation asymétrique. Nous assumons nos choix.

Le quatrième et dernier principe est celui d'une « régulation prospective » c'est-à-dire qui n'a pas le nez collé sur le court terme mais qui essaye de voir loin. C'est à ce titre que nous avons mené en 2010 des travaux sur la neutralité du net, lesquels, je crois, ont été appréciés par tous les acteurs et servent de base aux travaux actuellement menés par les parlementaires sur le sujet. C'est aussi à ce titre que nous allons examiner, en 2011, comment tenir compte, dans la régulation, de la montée en puissance des nouveaux acteurs de l'internet et de l'évolution des technologies (terminaux connectés…).

Au total, quels sont les résultats obtenus ?

La France dispose désormais de quatre grands opérateurs nationaux présents, à la fois, sur les réseaux fixes et mobiles. L'année 2010 aura été, à cet égard, exceptionnelle pour les télécoms : elle a vu à la fois l'entrée de Bouygues Telecom sur le marché fixe (fibre optique), à la suite de son récent accord avec SFR (et l'ARCEP a facilité l'entrée de cet opérateur sur ce marché) et, d'autre part, l'entrée de Free sur le marché mobile. Il convient, pour être complet, de citer, sur le marché fixe, un autre grand opérateur (Numéricâble) et de ne pas oublier, sur le marché mobile, les opérateurs sans réseau (les MVNO). Ainsi la France est le seul des grands pays d'Europe où le chiffre d'affaires des télécoms n'a pas baissé sur les deux années cumulées 2009-2010 et où les opérateurs ont continué à dégager des marges leur permettant d'investir et d'innover.

Nous pensons que les modalités d'action du régulateur – que je viens de rappeler – ne sont pas étrangères à ces bons résultats : le régulateur n'est pas seulement un gendarme mais aussi un catalyseur et un facilitateur.

Il me paraissait utile de vous exposer ces principes d'action afin de m'assurer qu'ils correspondent bien à la vision qu'a le Parlement de la régulation de ce secteur stratégique pour notre économie et notre société.

Lors de mon audition, avant ma nomination, plusieurs parlementaires appartenant à la majorité et à l'opposition, m'avaient alerté et demandé de savoir faire face, dans un secteur difficile. Je voulais aujourd'hui vous assurer que tel est bien le cas. Mais je voudrais aussi souligner la qualité des interlocuteurs publics et privés de l'ARCEP : ainsi, même si nous avons parfois des discussions serrées et franches, elles sont toujours constructives et nous arrivons le plus souvent, en définitive, à trouver de bonnes solutions grâce à l'écoute et au dialogue.

Passons maintenant aux deux grands dossiers du jour.

S'agissant de la fibre optique, le collège de l'ARCEP a adopté hier une deuxième décision qui achève de fixer le cadre réglementaire du développement de la fibre optique sur l'ensemble du territoire, complétant celle de janvier 2010 qui était spécifique aux zones très denses. La France est ainsi le seul pays en Europe à avoir un cadre réglementaire complet pour le développement de la fibre optique sur son territoire. Ce travail de régulation symétrique sera complété par la révision des analyses de marché de gros de France Télécom, les marchés 4 et 5 suivant le vocable communautaire, qui relèvent donc de la régulation asymétrique ; cette révision sera achevée au cours du printemps.

La France compte aujourd'hui environ 5 millions de foyers raccordés à la fibre optique, (dont 1 million environ selon la technologie dite FTTH) : c'est le chiffre le plus élevé d'Europe. En revanche, seulement 10 % de ces foyers sont abonnés. Pourquoi ? Les campagnes d'abonnement des opérateurs commencent seulement, les résultats ne sont donc pas encore visibles, et les consommateurs attendent vraisemblablement de voir quels usages et quels services concrets ils pourront tirer du très haut débit fixe, compte tenu de la qualité du haut débit en France et des tarifs très bas dont ils bénéficient. Je pense personnellement que la fibre optique, qui a déjà bien démarré en 2010 dans les zones très denses, où les opérateurs annoncent un doublement du fibrage entre 2010 et 2011, va démarrer très vite en 2011 dans les zones moins denses, car c'est là qu'elle est la plus stratégique et la plus attendue par les collectivités locales, par les entreprises et par les particuliers : elle fera en effet la différence entre les territoires. Les zones très denses ont, elles, d'autres atouts.

Comme annoncé au GRACO fin septembre, nous disposons désormais d'une première estimation du coût du fibrage de 100 % du territoire, qui est à prendre avec précaution car elle est sortie juste hier des modèles de l'ARCEP. Cette estimation est de 24 milliards d'euros, à plus ou moins 5 milliards d'euros près.

Je ferai trois observations à ce sujet. Premièrement, le chiffrage semble peu sensible à la taille du point de mutualisation. Deuxièmement, la part mutualisée, qui atteint environ 20 milliards d'euros sur un total de vingt-quatre, est considérable, ce qui nous conduit à relativiser fortement les débats qui ont eu lieu sur ce sujet au cours des derniers mois. Un équilibre satisfaisant est en train de se définir entre concurrence par les réseaux dans les zones où elle se justifie et mutualisation dans toutes les autres zones, soit l'immense majorité du territoire. Troisième remarque, la part du génie civil et de la main-d'oeuvre, de l'ordre de 70 %, est très majoritaire, ce qui est très bénéfique pour l'emploi et écarte le risque que les investissements dans les réseaux seraient synonymes d'importations massives.

J'en viens au sujet principal de cette audition, l'attribution des fréquences de quatrième génération, en vous signalant au préalable que je serai auditionné cet après-midi par la commission parlementaire du dividende numérique. L'année 2010 a été consacrée à la préparation du lancement des appels à candidatures pour les bandes hautes, de 2,6 GHz, et les bandes basses, de 800 MHz. Une maquette a été mise en consultation publique en juillet dernier ; des réunions de travail ont eu lieu durant l'automne avec le Gouvernement, dont je rappelle qu'il fixe le cadre réglementaire, sur proposition de l'ARCEP. Elles ont été l'occasion de faire apparaître de larges points de convergence, que ce soit sur la procédure d'attribution, sur les objectifs généraux et les principes poursuivis ou sur beaucoup des paramètres techniques qui seront fixés.

S'agissant de la procédure tout d'abord, il est clair que des enchères devront être lancées parallèlement pour l'attribution des bandes hautes et des bandes basses.

S'agissant des objectifs et des principes, ils sont au nombre de trois. Le premier découle de la loi Pintat du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, qui fixe un « objectif prioritaire d'aménagement du territoire ». Le second, sans être prioritaire, est également d'ordre législatif : il s'agit d'atteindre un niveau de concurrence satisfaisant, ce qui implique d'organiser l'attribution de façon à permettre aux quatre opérateurs de réseaux actuels, s'ils le souhaitent et s'ils proposent des montants suffisants, d'obtenir des fréquences. Je rappelle toutefois à ce propos que l'appel à candidatures est ouvert à tous les opérateurs, y compris les opérateurs étrangers. Le troisième objectif est la bonne valorisation du domaine public des fréquences.

Enfin, s'agissant des paramètres techniques à déterminer, ils sont au nombre de quatre. Le premier est le taux de déploiement national de chacun des quatre lots de fréquence. Compte tenu du premier principe (aménagement du territoire), ces taux, exprimés en pourcentage de population couverte et échelonnés selon un calendrier précis, doivent être comparables à ceux atteints par les réseaux plus anciens, pour lesquels aucun objectif d'aménagement du territoire n'avait été posé par la loi. Je rappelle que le taux de couverture du réseau 2G est de 99,6 % pour Orange et de 98,7 % pour Bouygues Telecom et pour SFR.

Le second paramètre technique, pris en compte pour la première fois, est le taux de déploiement pour chaque département, qui devra évidemment être cohérent avec le taux national.

Troisième paramètre, la définition d'une zone prioritaire, couverte plus vite que les autres zones. Nous estimons que celle-ci pourrait concerner 20 % de la population, soit les trois quarts du territoire français. La zone prioritaire devra faire l'objet d'une mutualisation des réseaux et des fréquences renforcée, de façon à diminuer les coûts, à accroître la taille des canalisations afin de fournir un meilleur service, et à éviter la formation de « zones grises », dont on sait qu'elles sont plus difficiles à résorber une fois constituées que lorsque l'on s'applique à les prévenir avant le déploiement du réseau.

Quatrième et dernier paramètre technique, quel mécanisme d'incitation mettre en place pour les opérateurs afin de les inciter à ouvrir leurs réseaux aux opérateurs sans réseau, dits MVNO (Mobile Virtual Network Operators) ?

Avant de faire une proposition au Gouvernement, trois instances doivent être consultées. Le Conseil d'État étudiera la validité juridique de l'appel à candidatures. La commission des participations et des transferts se prononcera sur le niveau du prix de réserve : celui-ci ne doit être ni trop bas, ce qui reviendrait à brader le patrimoine de l'État, ni trop élevé, car cela pourrait conduire à l'infructuosité de certains lots ou risquerait d'empêcher que plusieurs propositions soient déposées et que se mette en place une compétition véritable. Enfin, la commission parlementaire du dividende numérique sera saisie de manière formelle sur la proposition de l'ARCEP avant que le Gouvernement ne lance l'appel à candidatures.

Le calendrier s'en déduit aisément. Les deux premiers avis seront rendus dans le courant du mois de janvier ; le projet de l'ARCEP sera ajusté une première fois en conséquence, puis une seconde fois, à la suite de l'avis rendu par la commission parlementaire du dividende numérique. Si le Gouvernement valide cette dernière version, il devra ensuite la publier au Journal officiel. Ainsi, les appels à candidatures devraient être lancés vers la fin du mois de février.

Une dernière question se pose : quel temps donner aux opérateurs pour qu'ils se livrent aux expérimentations nécessaires ? En effet, ils doivent vérifier, d'une part, l'efficacité des équipements et, d'autre part, qu'il n'y ait pas de risques de brouillage, pour le lot de fréquences le plus bas, entre les émissions de télécommunications et les émissions de la bande audiovisuelle. Ces expérimentations ne pouvaient être menées avant 2010, étant donné le calendrier de libération des fréquences de la télévision analogique. Désormais, faut-il laisser davantage de temps avant le démarrage de l'appel à candidatures, sachant qu'entre cet appel et le dépôt des propositions s'écouleront quinze à vingt semaines, ce qui laissera du temps supplémentaire pour que d'autres expérimentations débutent ? Le calendrier définitif sera fixé début 2011.

Je soulignerai enfin que les opérateurs connaîtront les résultats des attributions de la bande haute (2,6 GHz) avant de remettre leur dossier de candidature pour la bande basse de 800 MHz, la plus stratégique.

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