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Intervention de Jean-Claude Sandrier

Réunion du 7 décembre 2010 à 21h30
Projet de loi de finances rectificative pour 2010 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Claude Sandrier :

Pas encore, mais cela peut venir. Je lui confirme qu'il a bien lu Marx : la baisse tendancielle du taux de profit est une réalité et elle produit ses effets. J'ai toujours quelques chiffres à disposition qui me permettent de le faire. Selon le FMI et la Commission européenne, au cours de ces 25 dernières années, la part des salaires dans le PIB a diminué de 5,8 % dans les pays du G7, de 8,6 % en Europe et de 9,3 % en France. La baisse tendancielle du taux de profit produit donc bien ses effets sur la compression de la masse salariale tandis que, dans le même temps, la part des dividendes dans la valeur ajoutée a triplé.

Ainsi, pour l'instant, et jusqu'à preuve du contraire, Marx a encore raison.

Depuis le début de la crise, les projets de lois de finances rectificatives se succèdent sans jamais prendre à bras-le-corps les difficultés de nos concitoyens pour tenter d'y apporter des réponses, et sans jamais se préoccuper non plus d'opérer le changement de cap nécessaire au rétablissement de nos finances publiques.

Selon le collectif budgétaire, le déficit de l'État s'élève à 149,7 milliards d'euros. Vous vous faites fort d'expliquer qu'il est en retrait de 2,3 milliards par rapport à la prévision. Mais, comme vous le savez, notre rapporteur général a contesté cette analyse, expliquant, à juste titre, que ce collectif illustre en fait la difficulté du Gouvernement et de la majorité à réduire la dépense sous toutes ses formes, en particulier la dépense fiscale.

Car, comme le souligne le rapport de M. Gilles Carrez, le dérapage des avantages fiscaux permettant de réduire l'impôt sur le revenu a gonflé, cette année, de 1,8 milliard d'euros.

Mais c'est au premier chef l'irresponsabilité de votre politique d'allégement fiscal en faveur des entreprises qu'il faut dénoncer aujourd'hui avec vigueur. Il faudrait d'ailleurs parler, d'abord et avant tout, des grosses entreprises puisque nous savons parfaitement que celles qui appartiennent au CAC 40 ne paient que 8 % d'impôt sur les sociétés alors que le taux facial de cet impôt est de 33,3 %.

De plus, la réforme de la taxe professionnelle représente un coût considérable pour les finances de l'État. Avec la fin de la taxe professionnelle, l'État va devoir se passer de 7 milliards d'euros cette année, au lieu des 3,9 milliards initialement envisagés par le Gouvernement. Cette mesure n'aura pas plus d'efficacité économique que les cadeaux faits précédemment, et l'expérience nous apprend que, en la matière, nous avons affaire au tonneau des Danaïdes.

Ces nouveaux allégements fiscaux en direction des entreprises, qui devaient avoir pour contrepartie une taxe carbone, désormais passée aux oubliettes, privent l'État et les collectivités locales des moyens de fonctionner correctement, de rendre service à nos concitoyens, et de corriger les inégalités en faisant jouer à l'impôt un rôle redistributif.

Depuis 2007, vous avez fait le choix de tout sacrifier au sacro-saint principe de la compétitivité, quitte à imposer à l'ensemble des Français un régime d'austérité qui, à l'instar de ce qui se passe chez certains de nos voisins, risque de plonger un nombre sans cesse croissant de nos concitoyens dans le dénuement et qui plombe en réalité toute perspective de croissance. Quand les dirigeants de ce monde vont-ils se rendre compte qu'une telle concurrence devient triste et même ridicule et que selon la formule de Josef Stiglitz, « elle tourne au délire » – c'est un prix Nobel d'économie qui le dit, pas Jean-Claude Sandrier ?

Vous avez fait le choix d'une politique en faveur de la loi du fric, au détriment de l'intérêt général et de la satisfaction des besoins même les plus élémentaires de nos concitoyens à l'heure où huit millions d'entre eux vivent sous le seuil de pauvreté.

Nous sommes effectivement en plein délire puisque tandis que les marchés financiers dilapident des milliards dans la spéculation, vous n'avez qu'une idée en tête : vous cherchez à leur faire plaisir en baissant la dépense publique. C'est ubuesque !

Comme je l'expliquais lors de la présentation, jeudi dernier, de la proposition de loi des députés communistes, républicains et du parti de gauche visant l'instauration d'une fiscalité enfin « juste et efficace », vous n'avez pas pris la mesure de la crise du système capitaliste, la plus grave depuis quatre-vingts ans.

Écoutez donc ce que dit Warren Buffet ! Il est lucide, lui. Il a appelé à une forte augmentation de l'impôt payé par les grandes fortunes, non par philanthropie, mais parce qu'il voit tout simplement où risque d'aller le monde.

Selon un appel récent d'économistes du CNRS et de l'OFCE : « La crise économique et financière qui a ébranlé le monde en 2008 n'a pas affaibli la domination des schémas de pensée qui orientent la politique économique depuis trente ans. Le pouvoir de la finance n'est pas remis en cause, une forme de dictature des marchés s'impose partout ». Vous êtes à genoux devant elle.

Telle est la réalité. Nous en avons une illustration sous les yeux avec les épisodes grec et irlandais. Lisez donc l'excellent rapport demandé par l'ONU dans lequel vingt et un des plus grands économistes du monde ont examiné les causes de cette crise. Quelle est leur conclusion ? « La crise n'est pas un simple accident comme on n'en voit qu'une fois par siècle, quelque chose qui est seulement “arrivé” à l'économie, qu'on ne pouvait pas prévoir et encore moins éviter. Nous sommes convaincus qu'elle est due, au contraire, à l'action humaine : elle a été le résultat de fautes du secteur privé et de politiques mal orientées et vouées à l'échec des pouvoirs publics. »

En fait de politique mal orientée, votre politique fiscale pourrait faire figure d'exemple. Vous avez limité le coup de rabot sur les niches fiscales à la réduction d'avantages fiscaux qui bénéficiaient aux plus modestes et aux contribuables moyens, sans jamais vous attaquer, sinon à la marge, aux niches dont bénéficient les plus hauts revenus. Vous continuez cette politique dans ce collectif en faisant voter une réforme des PEL qui s'en prend à nouveau très clairement aux catégories moyennes.

Vous proposez, à l'article 12, de permettre aux sociétés de personnes de bénéficier des dispositifs dérogatoires qui ont été déclassés en 2006 et qui ne sont plus reconnus comme des dépenses fiscales applicables aux entreprises, mais dont le coût pour les finances publiques s'élève à 71,3 milliards d'euros en 2010 – je rappelle que selon la Cour des comptes, le total des niches fiscales et sociales s'élève à 172 milliards d'euros. Il s'agit d'une mesure proposée à la hussarde, qui aggravera le déficit de plusieurs milliards d'euros. Est-ce là une politique responsable ?

Est-ce être responsable que se trouver dans l'obligation de colmater ça et là les brèches ? C'est ce que vous faites avec les 150 millions d'euros d'aides aux départements en difficulté. Mais en serions-nous là si vous aviez eu le souci de la cohérence et si vous n'aviez pas simplement cherché à satisfaire l'appétit des marchés ? D'ailleurs, je l'ai déjà dit, cette somme ne suffira pas à assurer l'avenir de la plupart de nos départements.

Ce projet de loi de finances rectificative, comme votre loi de finances initiale, ne souligne pas seulement votre désarroi ; il montre votre incapacité foncière à conduire une politique fiscale qui puisse véritablement conjuguer justice et efficacité – à moins que ce ne soit une volonté délibérée de pressurer les couches populaires et moyennes pour mieux épargner les dividendes et autres revenus financiers de la classe la plus aisée, car vous croyez toujours, et il s'agit bien d'une croyance, que l'accroissement de leur fortune favorise l'économie. Warren Buffet vient pourtant de nous rappeler que cette logique nous avait menés dans le mur.

Dans ces conditions, vous comprenez que les députés communistes, républicains et du parti de gauche ne puissent pas voter un tel projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

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