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Intervention de Michel Diefenbacher

Réunion du 23 novembre 2010 à 15h00
Département de mayotte — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Diefenbacher :

Quel destin, quel étrange destin, quel émouvant destin que celui de Mayotte ! Rien ne destinait cette île à devenir française et moins encore à résister au grand vent de la décolonisation, moins encore à devenir un département français. Pourtant, c'est bien cela qui est en train de se produire. Ce n'est pas l'effet d'un coup de tête, c'est tout le contraire, c'est l'aboutissement d'un long cheminement, c'est l'expression d'une volonté locale constamment réaffirmée avec la même conviction, avec la même énergie, depuis le début de la Ve République, donc, depuis plus d'un demi-siècle.

Pourquoi y a-t-il eu cette volonté, cette conviction, cette énergie ? Parce que Mayotte a toujours été menacée et a souvent été dominée par ses turbulents voisins, parce que la France est toujours apparue comme la puissance protectrice.

Protectrice contre les razzias organisées pendant des siècles à partir de l'archipel des sultans batailleurs. Ce sont les Mahorais eux-mêmes qui se sont placés sous la protection de la France en 1841.

Protectrice contre les grandes familles féodales locales. C'est la France qui a aboli l'esclavage à Mayotte dès 1846, deux ans avant l'avènement de la Seconde République et avant les décrets Schoelcher.

Protectrice contre la domination des trois autres îles des Comores à partir de la constitution des quatre îles en territoire d'outre-mer en 1946. N'oublions pas qu'à cette époque, l'instauration d'un régime d'autonomie interne, le régime de la loi-cadre Defferre, avait entraîné le transfert de la capitale de Dzaoudzi à Moroni, ce qui avait plongé Mayotte dans l'oubli le plus total.

Oubliée, Mayotte était également délaissée. Lorsque l'indépendance des Comores se profilait au début des années 70, Mayotte était dans un état de sous-équipement dramatique : pas d'eau potable, pas de réseau d'électricité, peu de routes, pratiquement aucun service public, un état sanitaire et éducatif déplorable.

Bien que le régime d'autonomie interne ait confié l'essentiel des compétences dans ces domaines au gouvernement de Moroni, la France avait, dans cet état de délabrement où se trouvait une partie de son territoire, une responsabilité écrasante. C'est la première de nos dettes à l'égard de Mayotte.

La seconde est plus récente. Elle remonte à la période de l'indépendance. Disons-le clairement, dans son immense majorité, la classe politique française ne souhaitait pas que Mayotte reste dans le giron national. À gauche, on voulait en finir avec la période coloniale. À droite, on tenait à réussir l'indépendance des Comores avant d'engager celle de Djibouti. À gauche comme à droite, on partageait le souci de ne pas heurter l'Organisation de l'unité africaine et le comité de décolonisation de l'ONU, qui s'étaient toujours montrés particulièrement attachés, lors de l'accession d'un territoire à l'indépendance, au strict respect du principe de l'intangibilité des frontières.

Et puis, quel crédit pouvait-on accorder à ce petit bout de territoire si éloigné, si isolé, si pauvre, qui prétendait aller tout seul à l'encontre du vent dominant qui soufflait sur l'ensemble de la planète dans le sens de toujours plus d'autonomie.

De ces deux dettes, nous sommes en train de nous acquitter aujourd'hui. Comment ne pas saluer le courage et la persévérance du peuple mahorais qui, contre vents et marées, n'a jamais changé de cap ?

Comment ne pas nous souvenir de cette voix qui s'était élevée de cette tribune le 25 juin 1975 pour rappeler que la France était la patrie des droits de l'homme et qu'il serait inconcevable qu'elle fasse à Mayotte un tragique contresens. Cette voix était celle de Pierre Messmer, qui terminait son intervention par ces deux phrases : « Je suis résolument favorable à l'indépendance des Comores », « Je ne suis pas prêt à payer l'indépendance des Comores au prix de la liberté des Mahorais.

Pour autant, il ne suffit pas d'accorder le statut départemental à Mayotte ; il faut réussir la départementalisation car, si elle est longtemps apparue aux Mahorais comme une fin en soi, elle doit désormais devenir un moyen au service d'un projet. Quel projet ? À nous, tous ensemble, avec les Mahorais, de le définir. Il faut avoir une ambition ; il faut avoir les moyens de cette ambition. Quelle ambition ?

Chacun sait que le modèle français a ses forces et ses faiblesses. On le voit en métropole, on le mesure mieux encore dans nos départements d'outre-mer. Ce modèle est socialement généreux, mais il est économiquement fragile. Dans les départements d'outre-mer, l'extension des règles nationales a eu des effets contrastés. Elle s'est traduite par une augmentation des salaires, un renforcement des solidarités institutionnelles et une amélioration du pouvoir d'achat, mais elle a par ailleurs entraîné une baisse des activités productives locales, une forte augmentation du chômage et une remise en cause des solidarités traditionnelles.

Désormais, la priorité à Mayotte n'est plus institutionnelle, mais faut-il qu'elle soit économique ou sociale ? Il y a là un choix fondamental que nous ne pouvons pas éluder et sur lequel nous ne devons pas nous tromper. Nos lois sont le fruit d'une longue histoire. Elles ne pourront pas être toutes transposées à Mayotte d'un jour à l'autre ; elles ne pourront l'être qu'au rythme des transformations des esprits, de la société et de l'économie, et je ne peux à cet égard que me féliciter que ces contraintes soient clairement prises en compte dans le pacte pour la départementalisation.

Quels sont les moyens au service de cette ambition ? Ce sont bien entendu pour partie ceux de la solidarité nationale. Les besoins sont immenses, cela a été rappelé tout à l'heure, et les efforts de l'État devront être en proportion, mais il importera de mobiliser aussi tous les moyens qui résulteront du développement des richesses locales. Il est clair qu'aucune collectivité ne peut distribuer plus qu'elle ne produit et que toute politique de solidarité suppose d'abord une action économique vigoureuse.

J'approuve pleinement la décision du Gouvernement d'étendre les législations nationales par voie d'ordonnances – les débats parlementaires seraient assurément trop longs – et je salue son engagement de veiller à ce que les extensions soient conduites de manière progressive et adaptée. De grâce, ne faisons pas ployer la jeune économie mahoraise sous le poids des réglementations qui freinent l'expansion d'économies pourtant bien plus solides !

À ce stade de notre débat, je ne saurais trop vous recommander, madame la ministre, que l'ordre dans lequel interviendront les ordonnances et le rythme de leur mise en oeuvre tiennent le plus juste compte de la fragilité de l'économie et de la société locales, que ceux qui tiendront la plume soient audacieux en matière de simplification administrative et d'allégement des normes, et qu'à chaque pas que nous ferons en avant, la préoccupation essentielle soit de favoriser l'initiative locale et l'émergence d'une culture d'entreprise.

Nous n'avons pas le droit de décevoir les Mahorais. Nous avons le devoir de réussir avec eux la départementalisation. Il n'y a pas de succès sans effort partagé, équitablement partagé. Soyons ambitieux et montrons qu'il est possible d'être à la fois réaliste et généreux. Mayotte, assurément, le mérite. Au nom du groupe UMP de l'Assemblée nationale, je lui souhaite la bienvenue au sein de la grande famille des départements de France. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

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