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Intervention de Jean-Paul Lecoq

Réunion du 23 novembre 2010 à 15h00
Département de mayotte — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, aujourd'hui, alors que nous sommes réunis pour adopter deux textes qui feront de Mayotte le 101e département français, il convient de garder à l'esprit le contexte international et interne dans lequel les Mahorais se sont prononcés en faveur de la départementalisation.

Comme je l'avais exposé dans mon intervention précédant le référendum du 29 mars 2009, le « cas Mahorais » empoisonne les relations franco-comoriennes depuis le 12 novembre 1975, date à laquelle les organisations internationales, l'Union Africaine, la Ligue Arabe et – excusez du peu – l'Organisation des Nations unies ont reconnu l'indépendance des Comores, dans le respect de l'intégrité territoriale de l'archipel. Depuis, le droit international dénonce régulièrement la présence de la France dans l'île comorienne de Mayotte, notamment l'ONU qui l'a condamnée plus de vingt fois.

À Mayotte, la départementalisation est présentée depuis des générations comme la seule voie du développement et la France a entretenu un grand déséquilibre économique avec l'archipel, au détriment du développement de cette région pour justifier sa présence. Or cette présence a été, en soi, un facteur de déstabilisation de l'archipel comorien qui subit une crise politique et institutionnelle. Associations et élus n'ont cessé de dénoncer le comportement de la France envers les Mahorais : « On leur fait miroiter des aides. Mais ils auront en fait des sous-produits des droits sociaux », analyse Odile Biyidi, présidente de l'association Survie, qui ajoute : « Si la France aidait l'ensemble des Comores, il n'y aurait pas de préférence à rester Français. »

Dans ce contexte, avec la départementalisation, la France prend le risque de perdre en légitimité internationale.

L'objectif parallèle à la départementalisation de Mayotte est son accession au statut européen de région ultrapériphérique – le rapporteure a abordé la question dans son intervention – qui lui permettrait d'être éligible aux fonds structurels européens : au fonds social européen – le FSE – et surtout au fonds européen de développement régional – le FEDER. Or, l'accession de Mayotte au statut de RUP, dans le contexte international que je viens de dépeindre, n'est certainement pas une simple formalité. Il faut rappeler que cela suppose l'accord unanime des États membres de l'Union européenne – art. 355, alinéa 6, du traité –, lesquels ont presque tous voté les vingt résolutions de l'ONU reconnaissant Mayotte comme comorienne, et condamnant fermement la France depuis 1975. Les difficultés résultant du contentieux territorial international entre la France et les Comores à propos de la souveraineté sur Mayotte sont réelles et notre pays ne doit pas persévérer dans son passage en force.

S'agissant des conséquences économiques et sociales de la départementalisation, je suis également inquiet. Les textes qui nous sont soumis déterminent les conditions du passage de Mayotte dans le régime de l'identité législative. Ce principe d'identité législative signifie l'application du droit commun de la République, cela a été rappelé dans l'exposé général du rapport du sénateur Christian Cointat, ainsi que par Mme la ministre, et devrait permettre d'appliquer l'égalité des droits sur les sols métropolitains et mahorais. Mais les textes présentés organisent plutôt « un régime d'identité législative adaptée » – je cite ici le rapport – qui entretient à Mayotte une législation et des pratiques très différentes de celles existant en métropole et dans les DOM. Ainsi, les projets de loi que vous nous présentez n'abolissent aucunement la législation et les pratiques d'exception dont sont victimes aussi bien les Mahorais en certains domaines – en particulier les droits et minima sociaux – que les migrants. La départementalisation ne signifie pas l'égalité de droit pour les Mahorais, loin s'en faut.

S'agissant du renforcement de la protection sociale, le pacte pour la départementalisation de Mayotte est très clair. Je cite : « Nous considérons qu'il n'est ni possible ni souhaitable de verser immédiatement les prestations sociales au même taux qu'en métropole ou dans les DOM ». À l'heure actuelle, seuls deux des huit minima sociaux français sont applicables à Mayotte — adultes handicapés et personnes âgées — mais à un niveau inférieur à celui de la métropole et des DOM, comme l'a indiqué Mme la ministre.

En 2010, les allocations familiales, l'allocation spéciale pour les personnes âgées et l'allocation pour adultes handicapés devraient être augmentées. Le RSA, l'allocation de logement social, l'allocation parent isolé, l'allocation de solidarité spécifique seraient mis en place en 2012, mais à un niveau représentant le quart de leur montant en métropole. Elles devraient augmenter progressivement, pour atteindre le niveau de la métropole seulement dans vingt ou vingt-cinq ans.

Le bénéfice des assurances sociales – maladie, retraite, famille, accidents du travail et chômage – lié aux cotisations qui sont prélevées sur les salaires et les revenus, est très inférieur à la règle applicable en métropole et dans les DOM.

Les conséquences sont désastreuses, sur la santé, par exemple : près d'un tiers de la population vivant à Mayotte est privé de toute protection maladie et, à l'exception de très rares situations d'urgence, de tout accès aux soins. Pour les étrangers en situation irrégulière, le droit à la santé est tout bonnement bafoué : dans sa délibération n° 2010-87 du 1er mars 2010, la HALDE dénonce les discriminations et les atteintes graves au droit à la santé à Mayotte. Elle conclut au bien-fondé des affirmations de discrimination dans « l'accès aux soins des étrangers en situation irrégulière et de leurs enfants ainsi que des mineurs étrangers isolés, résidant à Mayotte ».

Au-delà de l'accès aux soins, et de manière plus globale, la politique française à Mayotte envers les étrangers en situation irrégulière est scandaleuse. Cela étant, être étranger en situation irrégulière à Mayotte, c'est simplement être comorien sur une des quatre îles des Comores…

En disloquant l'archipel, dont les îles ne sont séparées que par quelques dizaines de kilomètres chacune, l'État français a créé « un monstre migratoire difficilement gérable », selon l'expression du journaliste Rémi Carayol.

Depuis 1994 et l'instauration du visa Balladur, les soixante-dix kilomètres qui séparent les deux îles sont devenus l'un des principaux cimetières marins au monde, avec près de sept mille morts déjà comptabilisés.

Aujourd'hui, environ un tiers des Mahorais sont des clandestins venus du très pauvre archipel voisin des Comores. Tous les ans, 20 000 clandestins sont expulsés de Mayotte, soit autant que de toute la métropole.

Pourtant, selon des données issues d'une enquête sanitaire menée en 2007, près de la moitié des sans-papiers vivent à Mayotte depuis plus de dix ans.« Beaucoup y ont passé leur scolarité et y ont fondé leur famille », remarque Mme Flore Adrien, présidente de la Cimade Mayotte. « De très nombreuses personnes pourraient prétendre à une régularisation, mais la préfecture est devenue une machine à fabriquer des clandestins. »

Des rafles gigantesques sont régulièrement organisées pour expulser ces indésirables, dans des conditions de violence inouïe. Selon l'association Survie, les maisons de ces « clandestins » sont régulièrement incendiées avec la bénédiction des maires, du préfet et sous la protection de la gendarmerie. Les victimes sont entassées dans des centres de rétention en attendant leur déportation vers les autres îles. Cette politique française de l'immigration s'accompagne d'un encouragement à la délation qui rappelle les pires heures de notre histoire.

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