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Intervention de René Couanau

Réunion du 2 novembre 2010 à 15h00
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 projet de loi de finances pour 2011 — Justice

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRené Couanau, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le budget de la justice relève bien, cette année encore, des grandes priorités de l'État.

Ce budget atteindra en effet 7,128 milliards d'euros, progressant de 4,15 %, ce qui représente une courbe de croissance assez spectaculaire. Pour mémoire, il s'élevait à 4,5 milliards d'euros en 2002, et sa part dans le budget global de l'État n'a cessé d'augmenter depuis lors, passant de 1,7 % en 2002 à 2,5 % en 2011.

Dans une période de restriction des ressources et des moyens, vous confirmez ainsi, madame la ministre d'État, la vigueur et l'élan avec lesquels vous conduisez cette mission régalienne par excellence.

On observe même des créations d'emplois, ce qui, dans la période actuelle, est un signe des importantes contraintes qui pèsent sur les missions de votre ministère. Ces créations d'emplois, au nombre de 550, sont révélatrices de vos ambitions et de l'ampleur des réformes entreprises.

L'administration pénitentiaire bénéficiera ainsi de 413 équivalents temps plein supplémentaires et le secteur judiciaire de 127 emplois de plus. La protection judiciaire de la jeunesse perdra quant à elle 140 emplois. Mais, au-delà de ces chiffres bruts, les orientations du ministère et l'application de la RGPP se traduisent par des mouvements significatifs.

Ainsi, pour la justice judiciaire, 76 emplois de magistrats doivent disparaître, mais le nombre de greffiers doit pour sa part augmenter, puisque 400 postes sont créés. Je me félicite de ces ouvertures de postes, qui vont améliorer le ratio greffiers-magistrats ; car celui-ci atteint 0,86, mais il serait souhaitable, vous l'avez souvent dit vous-même, qu'il se rapproche de l'objectif d'un greffier par magistrat.

Le nombre de personnels de catégorie C diminue, car le ministère procède depuis plusieurs années à la requalification de ces emplois vers la catégorie B. II est en outre prévu d'intégrer les agents des cabinets d'avoués, qui seront touchés par la réforme de l'appel.

Ajoutons qu'un accord est enfin intervenu entre l'intérieur et la justice au sujet des transfèrements de détenus. La chancellerie est désormais clairement chargée du transfèrement des personnes écrouées ; aussi 800 équivalents temps plein seront-ils eux-mêmes transférés d'ici à 2013 du ministère de l'intérieur à celui de la justice pour compenser cette charge, que les deux administrations se renvoyaient l'une à l'autre depuis des années.

En ce qui concerne l'administration pénitentiaire, la création nette est de 413 emplois ; les départs en retraite sont remplacés ; en outre, des redéploiements aboutiront à l'affectation réelle de 1 000 emplois supplémentaires en 2011, ce qui est bienvenu puisque 2 000 places nouvelles seront ouvertes dans les établissements l'année prochaine.

Pour compléter ce tableau des effectifs, il est important de souligner que peu de secteurs de la mission échappent à une évolution très sensible et, pour certains, considérable des fonctions exercées, des conditions de leur exercice et des compétences requises pour s'adapter aux changements.

Ainsi des nouveaux établissements pénitentiaires, où l'organisation et l'application de la loi pénitentiaire exigent l'adaptation des missions traditionnelles. Ainsi des services pénitentiaires d'insertion et de probation, dont les conseillers sont appelés à se recentrer sur la prévention de la récidive. Ainsi des magistrats et des agents des juridictions, confrontés aux exigences de la modernisation. Ainsi des services de la PJJ, auxquels on demande de se consacrer en priorité à la prise en charge des mineurs délinquants. Ainsi des chefs d'établissement pénitentiaire, des magistrats chargés de l'immobilier comme des personnels administratifs et techniques, qui doivent se familiariser avec les procédures nouvelles de préparation, de contrôle et de suivi des délégations de service et des opérations en partenariat public-privé.

Sans doute l'ampleur des changements actuels et futurs justifierait-elle une marge financière plus confortable. Mais c'est toute la difficulté de réformer dans un contexte de rareté de la ressource. De ce point de vue, le budget de la justice tire bien son épingle du jeu.

S'agissant des investissements, les inscriptions de crédits de paiement se poursuivent au même rythme que les deux années précédentes : 331 millions d'euros pour l'immobilier pénitentiaire, 200 millions d'euros pour les juridictions. Mais ces chiffres ne sont guère révélateurs, du fait de l'importance prise par les investissements extra-budgétaires.

Tel est le cas des programmes immobiliers pénitentiaires. Vous avez en effet opportunément décidé, madame la ministre, de faire suivre le programme de 13 200 places, une fois celui-ci achevé, d'un programme de 5 000 places, puis d'un autre de 9 000 places, afin d'échelonner la fermeture des établissements vétustes. Vous montrez ainsi votre volonté de mettre fin à des situations inadmissibles, notamment dans certaines maisons d'arrêt.

L'achèvement du programme 13 200 et, désormais, le nouveau programme de construction de 5 000 places font largement appel à des formules de conception-réalisation ou de partenariat public-privé qui répartissent la charge d'investissement sur plusieurs dizaines d'années.

Il conviendra d'établir précisément les caractéristiques architecturales de ces futurs établissements, en fonction des besoins liés aux nouvelles missions de l'administration pénitentiaire, qui découlent de la loi pénitentiaire et des règles pénitentiaires européennes. La capacité moyenne des nouveaux établissements du programme 13 200 est de 600 à 800 places, ce qui ne semble pas optimal si l'on veut atteindre les objectifs qualitatifs de la loi pénitentiaire.

Par ces programmes, le ministère effectue une mise à niveau indispensable. Je souligne qu'il faudra disposer en temps voulu, région par région, de places nouvelles pour accueillir les détenus, et veiller à ce que ces nouvelles places soient réparties sur le territoire de telle sorte que les transfèrements des détenus des établissements vers les juridictions et les hôpitaux n'entraînent pas des dépenses de fonctionnement exorbitantes.

Notre pays disposera donc à terme, en 2017, de 68 000 places – aujourd'hui, le nombre de personnes incarcérées est de 61 000. Les effets des alternatives à l'incarcération se font déjà sentir, et ce n'est qu'un début. Le placement sous bracelet électronique progresse, et 10 000 placements de ce type pourraient être réalisés en 2011 – ce qui paraît très ambitieux. Rappelons simplement, mes chers collègues, que le taux d'encadrement est de 80 agents pour 1 000 personnes portant un bracelet électronique, contre un agent pour trois détenus incarcérés, soit un rapport de un à quatre.

Le programme immobilier judiciaire est principalement consacré aux réhabilitations de tribunaux vétustes, à l'application de la réforme de la carte judiciaire et au grand projet de TGI de Paris.

L'agence pour l'immobilier de la justice conduit un programme triennal de vingt-sept opérations importantes, dont treize réhabilitations et quatorze constructions de tribunaux ou cités judiciaires. Une grande partie de ces travaux est justifiée par les modifications de la carte judiciaire – regroupements ou redéploiements. Cette réforme génère finalement assez peu de produits de cession immobilière, car de nombreux petits tribunaux sont la propriété de collectivités locales. Les recettes espérées au titre des cessions ne dépasseraient pas 30 millions d'euros, ce qui est peu. Trois tribunaux sont construits en partenariat public-privé.

Le projet du tribunal de Paris, sur le site des Batignolles, s'étendra sur 90 000 mètres carrés hors oeuvre et comprendra 90 salles d'audience ; il sera réalisé en partenariat public-privé. Le coût s'élèvera probablement à 650 millions d'euros, mais les autorisations d'engagement atteignent 1,2 milliard d'euros. L'ouverture du tribunal aurait lieu en 2015.

Enfin, et pour en terminer avec ces perspectives immobilières, la chancellerie cherche aujourd'hui à regrouper à Paris les différentes implantations des services. À titre indicatif, pour cinq implantations seulement, le loyer annuel s'élève à près de 24 millions d'euros.

La mission « Justice » traverse donc, madame la ministre, une période de forte évolution, qui nécessite des moyens, pour l'appréciation desquels les techniques nouvelles de dématérialisation et de communication requièrent des ajustements fins et une cohérence entre les différents services du ministère peu sensible jusqu'ici.

Au-delà de l'examen du budget, je souhaite aborder quelques points clés que nos visites et les entretiens que nous avons menés ont permis de dégager.

Premièrement, il s'agit, bien entendu, des enseignements à tirer de la réalisation des établissements pénitentiaires de nouvelle génération.

La loi pénitentiaire comporte certaines prescriptions, dont l'encellulement individuel et les locaux d'activités, mais les premiers mois d'utilisation des nouveaux locaux montrent la nécessité de prévoir encore plus précisément des espaces consacrés aux nouvelles actions et initiatives qui préparent la sortie du détenu et son intégration professionnelle et sociale – je sais que vous y êtes sensible, madame la ministre. Il faut aussi organiser les activités collectives de prévention de la récidive. Les locaux doivent être adaptés à ce qu'exigent la circulation très dense des détenus – c'est la science des flux de personnes –, l'enseignement et la formation professionnelle.

De ce point de vue, il nous semble, comme à beaucoup d'observateurs, que les nouveaux établissements devraient être moins importants. À la norme actuelle de 700 à 800 places, vous avez indiqué que vous entendiez substituer une moyenne de 400 à 500 places ; cela paraît plus raisonnable, à tous égards.

Deuxièmement, si la sécurité demeure naturellement la priorité dans les établissements pénitentiaires, les activités de prévention de la récidive et d'insertion doivent être elles aussi privilégiées. Cela suppose une autre approche de l'aménagement des locaux ; l'administration doit particulièrement y veiller, notamment dans le cadre des partenariats public-privé.

Troisièmement, la Cour des comptes s'est inquiétée du coût à long terme pour les finances publiques du recours, en matière de construction immobilière, aux procédures de location avec option d'achat – LOA – ou de partenariat public-privé. La charge des loyers s'alourdit et elle a tendance à obérer les crédits disponibles pour le fonctionnement des établissements du parc public. Il nous faudra donc continuer de nous demander si ces procédures sont en définitive favorables aux finances publiques, si l'exercice de la concurrence est réel et si les relations quotidiennes entre l'utilisateur et le réalisateur propriétaire demeurent satisfaisantes, comme elles semblent l'être aujourd'hui.

Quatrièmement, le Parlement sera naturellement intéressé par l'évaluation du recours aux alternatives à l'incarcération, du point de vue de l'exécution des peines, de la prévention de la récidive et, bien sûr, du point de vue financier.

Cinquièmement, votre rapporteur spécial appelle l'attention du Gouvernement sur le manque de crédits consacrés au fonctionnement et à l'entretien des juridictions. Si nous pouvions disposer d'une petite marge de manoeuvre, madame la ministre, tous en seraient heureux. Car on sait qu'un entretien courant insuffisant appelle malheureusement par la suite des investissements beaucoup plus coûteux, même si on les débudgétise par les formules d'appel au partenariat avec le privé.

Sixièmement, la modernisation des procédures et des méthodes aux fins de fonctionnement courant de la justice et d'amélioration du service rendu au justiciable demande, de l'avis général, des efforts considérables et davantage de cohérence, je l'ai dit, malgré les progrès accomplis ces toutes dernières années. Le ministère en est conscient, et vous la première, madame la ministre. Cette évolution, que l'on souhaite rapide, se fera-t-elle à moyens constants ? Rien n'est moins sûr.

Enfin, de l'avis général, les procédures civiles et pénales ont besoin d'être stabilisées. Dans un contexte d'évolution rapide de la société et de la délinquance, il est certes tentant de vouloir ajuster rapidement, voire très rapidement, la réponse légale ; toutefois, les juridictions sont plongées dans un mouvement incessant de réformes successives qui nuit à une certaine sérénité. Toutes souhaitent l'apaisement du maelstrom législatif et réglementaire, préalable nécessaire à une adaptation en profondeur du système judiciaire et pénitentiaire.

C'est sur ces constatations et préconisations que je conclurai en donnant un avis favorable aux crédits de la justice.

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