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Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 22 janvier 2008 à 15h00
Organisation du service public de l'emploi — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoland Muzeau :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le 9 janvier dernier, au Sénat, Gérard Larcher, ancien ministre du travail, déclarait : « N'oublions jamais que les structures, certes importantes, ne sont que des outils et que le coeur de notre débat, c'est l'emploi. Il y a une catégorie dans ce pays qui a longtemps été maltraitée : le demandeur d'emploi non indemnisé. » On ne pouvait mieux résumer les principales questions auxquelles ce projet de loi devait répondre. La fusion de l'ANPE et de l'UNEDIC permettra-t-elle de structurer la politique de l'emploi au bénéfice des demandeurs d'emploi et, plus largement, de tous ceux qui vivent des situations de travail inacceptables ?

Aujourd'hui, à peine 47 % des personnes privées d'emploi sont indemnisées. Pourtant, dans votre intervention, madame la ministre, vous n'avez pas dit un mot sur l'insécurité sociale qui leur est réservée. Vous n'avez fait aucune critique, ne serait-ce qu'en creux, des travers de notre système d'assurance chômage, qui n'indemnise pas, ou peu, les plus fragiles, notamment les jeunes, particulièrement exposés au chômage durable et à la précarité permanente – mais peut-être jugez-vous normal que 25 % des personnes sorties du système scolaire depuis moins de douze mois soient au chômage ? Et vous n'avez adressé aux employeurs aucun signal fort afin qu'ils investissent dans les générations nouvelles autrement que par des stages non rémunérés ou par l'embauche, à l'aide de contrats d'insertion appauvris, de trois allocataires du RMI pour le prix d'un smicard.

Le Président de la République souhaite durcir encore le contrôle sur les chômeurs, en sanctionnant ceux qui oseraient refuser deux offres d'emploi « acceptables ». Voilà le signal envoyé aux partenaires sociaux qui vont prochainement renégocier la convention d'assurance chômage ! Le haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté semble décidément bien absent et impuissant à infléchir le discours si facile de culpabilisation des chômeurs et des pauvres tenu par nos plus hauts dirigeants et véhiculé par les médias ! Tout est savamment orchestré pour que le poison d'une pensée libérale visant à établir un lien de causalité entre passivité et chômage continue de se répandre dans l'opinion publique.

Telle était la grille de lecture qu'avaient en tête le MEDEF et d'autres partenaires sociaux lorsqu'ils ont conclu en janvier 2006 la convention d'assurance chômage dégradant les conditions d'accès à l'indemnisation. Les chômeurs français étaient déjà les plus mal lotis de l'Europe des Quinze. Par rapport à leur PIB, en 2003, selon les chiffres d'Eurostat, dix pays dépensaient davantage que la France pour indemniser leurs chômeurs ; la dépense était jusqu'à 2,7 fois supérieure pour le Danemark ou les Pays-Bas. Et pourtant, l'accès à la deuxième filière d'indemnisation, qui concerne près de la moitié des chômeurs, a été rendue plus difficile : alors qu'il fallait auparavant avoir cotisé quatorze mois dans les vingt-quatre derniers mois pour obtenir vingt-trois mois d'indemnisation, seize mois d'activité dans les vingt-six derniers mois sont désormais nécessaires pour la même durée d'indemnisation. Rien de comparable avec le Danemark, dont la politique volontariste est prise à l'envi pour modèle, mais où, même après durcissement des conditions d'accès à l'assurance chômage, les prestations restent à un niveau élevé : en contrepartie des plans de retour à l'emploi, les chômeurs ont droit, pour une durée de quatre ans, à une indemnisation allant jusqu'à 1 400 euros par mois, et ce après seulement quelques mois de travail. Ce n'est donc pas le fruit du hasard si ce pays compte parmi ceux d'Europe où le taux de la population vivant sous le seuil de pauvreté est le plus bas.

Au contraire, votre politique vise à pénaliser davantage les chômeurs, rendus responsables de leur situation ; et vous transposez méthodiquement et sans pitié le modèle du workfare anglo-saxon en France. Si vous vous réclamez du modèle nordique, très « accompagnateur », vous empruntez d'abord et surtout la voie anglo-saxonne des sanctions.

Dans un article très critique, paru dans Le Monde diplomatique et consacré aux politiques dites « d'activation » visant à remettre les « exclus » au travail, Anne Daguerre, chercheuse à Londres et spécialiste des politiques publiques, relève d'autres contradictions dans votre soutien au modèle scandinave. Ces pays s'appuient ainsi largement sur des emplois publics aidés dont vous ne cessez de réduire le volume. En outre, les dépenses de formation y sont très élevées, sans rapport avec celles de la France ; au Danemark, par exemple, elles représentent 5 % des dépenses dites « d'activation ». Quant aux résultats, ils n'ont rien de miraculeux, puisqu'un tiers des chômeurs ont été transférés de l'assurance chômage et de l'aide sociale vers les pensions de préretraite. Enfin, comme dans les autres pays appliquant ces politiques, les conditions de travail se sont dégradées et les salaires ont été tirés vers le bas.

Quel constat pouvons-nous faire en France, après plus de cinq ans de réformes néolibérales et de mutations du capitalisme industriel ? La précarité s'est étendue, et les situations de travail porteuses d'insécurité se sont multipliées, au-delà des CDD et de l'intérim. Robert Castel, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, évoque avec justesse la précarité qui « s'institutionnalise, en particulier avec la multiplicité des contrats aidés, des services ponctuels à la personne, des stages, cette précarité devenant une condition permanente qu'on pourrait appeler “précariat”, qui représenterait une couche du salariat en deçà de l'emploi “classique”. » À raison, il montre les conséquences de ce capitalisme mondialisé, financiarisé, « sur le statut de l'individu devenu individu par défaut, qui ne dispose pas du minimum de ressources, de supports, de droits pour construire son existence ». Cette réalité de l'emploi – l'emploi « inadéquat » au sens du BIT, c'est-à-dire le sous-emploi, l'emploi précaire, l'emploi à bas salaire, l'emploi dangereux pour la santé des salariés –, il n'en est jamais fait mention dans vos interventions, madame la ministre, ni dans celles du Gouvernement. C'est pourtant le seul horizon de millions de salariés, de travailleurs pauvres, dans lequel vous tentez d'enfermer les chômeurs.

Prenant toujours les mêmes modèles pour caution, tantôt de la baisse du coût du travail, tantôt du retour aux 39 voire aux 40 heures – voire davantage –, tantôt encore de la baisse ciblée des impôts au nom de la croissance économique et de l'emploi, vous taisez aux Français qu'ils sont parmi les plus productifs au monde. Et vous vous gardez bien de porter au débat la captation de la richesse par une frange infime, mais toujours plus riche de la population ! Pourtant, la part des salaires dans le produit intérieur brut français a chuté, selon la Commission européenne, de 9,3 % entre 1983 et 2006, ce qui représente plus de 100 milliards d'euros en partie transférés vers le capital. Parallèlement à cela, de réformes en contre-réformes, présentées comme tout aussi inéluctables les unes que les autres – la sécurité sociale, les retraites, la fonction publique, l'indemnisation du risque chômage – vous conduisez à la ruine notre modèle social, en rognant sur la solidarité.

Pour dissimuler le caractère inacceptable de vos réformes, vous agitez l'objectif du plein-emploi. Au cours d'un débat en ligne sur le site d'un grand quotidien, un internaute posait la question : « Les maux dont souffrent notre société – exclusion des jeunes, déclassement, précarisation croissante… – disparaîtront-ils avec le plein-emploi ? ». Louis Chauvel, chercheur associé à l'OFCE et professeur à Sciences-Po, a répondu, de manière on ne peut plus explicite, par la négative : « Le plein-emploi peut vouloir dire deux choses : ce peut être le plein-emploi décent, mais aussi signifier tout à fait autre chose : généralisation de la figure du travailleur pauvre, exploitation, absence de visibilité de l'avenir… » ; et Louis Chauvel de craindre que ce soit bien ce deuxième type de plein-emploi, le plein-emploi négatif, qui nous menace si l'on a pour seul objectif la baisse du taux de chômage.

Madame la ministre, le plein-emploi dont vous parlez, c'est ce plein-emploi négatif, le plein-emploi précaire ! Il est d'ailleurs symptomatique, s'agissant des offres d'emploi non pourvues, que personne sur les bancs de la majorité ne pense à discuter de la précarité et des conditions de travail insoutenables de la plupart de ces métiers dits « sous tension » – qui, pour beaucoup, relèvent de branches où les grilles de salaires ne respectent même pas les minima légaux.

Il n'y a personne non plus pour préciser que certaines offres, par nature temporaires car liées à l'activité saisonnière, dans l'agriculture notamment, sont considérées comme n'ayant pas été pourvues lorsque la mission a été remplie plus rapidement.

Comme vos prédécesseurs, qui ont accompagné le projet personnalisé d'accès à l'emploi, vous avez pris l'habitude de vous satisfaire à bon compte des chiffres du chômage à la baisse, jugés pourtant peu réalistes par de nombreux économistes, chercheurs ou syndicalistes. Les deux tiers des RMIstes sont ignorés des statistiques officielles, et, pour le seul mois d'octobre 2007, 17 000 personnes ont été radiées. Mais comme ce n'est jamais suffisant – il est vrai qu'on radie quatre fois plus en Espagne ou en Belgique –, des quotas de radiation seront-ils désormais fixés comme pour les expulsions ?

Les agents de l'ANPE avec lesquels nous avons préparé ce débat ont exprimé leurs craintes sur le contenu de la convention pluriannuelle liant l'État, l'institution gestionnaire du régime d'assurance chômage et la nouvelle institution issue de la fusion, ce qui renforce nos propres doutes relatifs aux missions véritables qui leur seraient désormais confiées. En effet, sous couvert d'améliorer le service rendu aux demandeurs d'emploi, les agents en charge d'une mission de service public devront satisfaire des indicateurs d'activité et de résultat, en grande mesure étrangers aux attentes et aux besoins des personnes concernées.

Simplification, interlocuteur unique de l'inscription au reclassement, qualité, accompagnement renforcé, dites-vous : dans ces conditions, comment expliquer que cette fusion si urgente, et à ce point nécessaire qu'elle aurait été préparée de longue date, ait été aussi peu anticipée, notamment en ce qui concerne la formation des agents à d'autres métiers – je pense tout particulièrement à ceux qui sont actuellement en charge du recouvrement des cotisations d'assurance chômage et qui devront être reclassés, selon vous, au sein de la nouvelle institution en raison du transfert de leur mission actuelle aux URSSAF ?

Quant au suivi renforcé des demandeurs d'emploi et à la qualité du service qui leur sera rendu, comment arriverez-vous à diviser par deux le nombre de demandeurs d'emploi suivis par un conseiller puisque, sans recrutement supplémentaire, la fusion ne permettra d'atteindre le nombre d'agents requis pour atteindre cet objectif, à savoir 4 500 ? Dès lors, le suivi mensuel restera tout aussi fictif qu'aujourd'hui.

La fusion des réseaux opérationnels de l'ANPE et de l'UNEDIC est guidée par des motivations étrangères à la satisfaction d'aspirations légitimes, que ce soit en termes d'accès de chacun au service public de l'emploi sur l'ensemble du territoire ou en termes d'amélioration de la qualité du service rendu. Alors que certains opérateurs privés de placement sont parties prenantes de la nouvelle architecture, comment expliquer que ces autres composantes fondamentales du service public de l'emploi que sont l'AFPA et le ministère du travail soient à ce point méprisées dans ce texte ?

Le rôle de l'État, initiateur et garant des politiques publiques de l'emploi, y compris dans leur dimension financière, et le contrôle de l'utilisation des fonds publics sont gommés. En revanche, il est clair que le MEDEF se voit officiellement promu co-constructeur et co-gestionnaire des politiques d'emploi, via le Conseil national pour l'emploi et le conseil d'administration de l'institution. Il était déjà en force au sein de l'UNEDIC, dont du reste il devrait prendre la tête fin janvier : demain il aura les coudées franches pour mettre en musique les mesures décidées dans le cadre de la réforme du marché du travail, notamment les questions de portabilité de certains droits et la couverture chômage des salariés en cas de rupture négociée du contrat de travail.

La façon dont les personnels de l'AFPA chargés de l'orientation professionnelle ont appris au détour d'un amendement du Sénat que le principe même de leur intégration au personnel de l'institution était acquis – ils devront dès lors en exercer les missions – et qu'il ne restait plus au Gouvernement qu'à présenter les modalités pratiques du démembrement de l'AFPA, déjà fragilisée par la décentralisation, témoigne également de l'objet premier de ce mécano institutionnel. Comment se fait-il du reste que M. Pierre Boissier, directeur général de l'AFPA, ait pu déclarer à l'intersyndicale son total désaccord ? Est-il prévenu ? Est-il complice ? Qui dit vrai ? Je l'ignore !

Vous détournez chacun des acteurs de ses missions essentielles en mêlant indemnisation, laquelle relève de la protection sociale, placement, accompagnement, formation ou sanction sans pour autant garantir un financement 100 % public de l'ANPE et tout en ouvrant plus largement encore le marché du placement au privé, lequel offre des prestations de moindre qualité à un coût bien supérieur. Vous ne prévoyez pas de voie de recours contre les sanctions individuelles et vous faites peser à dessein de lourdes menaces sur le devenir du service public de l'emploi tout en hypothéquant largement les perspectives de renforcement des droits des personnes privées d'emploi.

Il s'agit-là d'un grief de fond contre le projet de fusion du Gouvernement. Loin d'être demandée par les partenaires sociaux, cette réforme soulève de nombreuses inquiétudes, voire leur opposition, chez les salariés des ASSEDIC comme chez les agents de l'ANPE, du GARP et maintenant de l'AFPA.

En effet, ils ne sauraient être à bon droit rassurés par l'amendement adopté au Sénat visant à préciser la nature publique de l'institution, du reste encore innomée à ce jour, alors même que le projet de loi mentionne par ailleurs que l'institution n'est pas soumise au code des marchés publics. C'est pourquoi, en vue de clarifier sa nature, nous défendrons l'existence d'un établissement public national à caractère administratif, nous proposant de réaffirmer le rôle de l'État et de supprimer, lors de l'examen des articles, toutes les dispositions soulignant le caractère industriel et commercial de l'institution.

En ce qui concerne enfin le statut des personnels, nous demanderons la coexistence de deux statuts au sein d'une même entité, celui de droit privé des personnes employées par l'UNEDIC et celui de droit public pour les agents de l'ANPE, et a minima un droit d'option réciproque pour les agents des ASSEDIC, lesquels doivent également se voir garantir par la loi la possibilité de choisir entre leur statut actuel ou la nouvelle convention collective. Nous proposerons également de supprimer le transfert du recouvrement des cotisations d'assurance chômage aux URSSAF, décision aux conséquences dramatiques notamment pour les agents du GARP.

L'opposition des députés communistes concerne donc le fond même du projet de loi, ce que vous aviez compris, madame la ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

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