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Intervention de François Asensi

Réunion du 7 octobre 2010 à 9h30
Accord fiscal france-antigua et barbuda — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Asensi :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il était important que ce débat vienne en séance publique, eu égard à l'importance du sujet.

Nous allons bientôt aborder la loi de finances. L'État cherche à faire des économies, qui vont sûrement se traduire par des augmentations d'impôt. Je crois que l'État et le Gouvernement sont également soucieux des rentrées financières, nous avons besoin de recettes pour combattre la dette. Par conséquent, la lutte contre les paradis fiscaux est une action essentielle de l'État. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité ce débat en séance publique.

Je ne résiste pas au plaisir de vous lire la conclusion de l'étude d'impact de ce projet de loi, sachant qu'une étude d'impact similaire est jointe aux 18 accords fiscaux signés par la France depuis 2009. Selon cette étude : « La conclusion de ces accords relatifs à l'échange de renseignements en matière fiscale avec des territoires encore considérés, il y a peu, comme non coopératifs est très importante pour eux, puisqu'elle leur a permis de sortir de cette catégorie et de retrouver une forme de respectabilité internationale. »

Tout est dit. L'unique but poursuivi par Antigua-et- Barbuda lors de la signature de cet accord est son retrait de la liste établie par l'OCDE, afin de pouvoir poursuivre ses activités frauduleuses.

Antigua-et-Barbuda est un des paradis des entreprises offshore. Il accueille un quart des sites de paris en ligne selon l'étude d'impact, et peut-être désormais des sites de paris français, puisque l'ancien ministre du budget a pesé de tout son poids pour la libéralisation de ce secteur, malgré les fortes suspicions de conflits d'intérêts.

Nulle volonté de coopérer avec la France, nulle volonté de concourir à la lutte contre l'évasion fiscale ou le blanchiment ne préside à la conclusion de cet accord entre Antigua et la France.

Les conditions pour obtenir des renseignements fiscaux sont pour le moins exigeantes : la France devra donner à ces pays le nom du contribuable suspecté, la période de la fraude, prouver que le pays peut détenir ces informations et, enfin, justifier que ces informations sont « vraisemblablement pertinentes » pour notre pays. C'est un véritable parcours du combattant.

Pourquoi les normes de l'OCDE sont-elles aussi précautionneuses avec ces pays voyous ? Je rappelle que l'on parle d'argent public volé aux peuples et soustrait à la solidarité nationale.

La notion floue de renseignements « vraisemblablement pertinents » est sujette à interprétation. Ces pays vont s'engouffrer dans cette brèche pour, je le crains, ne pas délivrer de renseignements qui compromettraient leurs activités.

D'ailleurs, l'étude d'impact est limpide : « L'entrée en vigueur de l'accord ne devrait pas entraîner de surcharges administratives substantielles. » En clair, la France ne profitera pas de cet accord pour lancer des contrôles plus fréquents et plus poussés à la fois parce que cet accord ne permettra pas d'imposer un haut niveau d'échange d'informations avec nous, et aussi parce que les services du contrôle fiscal de la DGFP n'en ont pas les moyens. Le Syndicat unifié des impôts fait régulièrement état de la baisse des effectifs des contrôleurs fiscaux. Sans moyens humains d'investigation et face à des circuits financiers d'une grandissante complexité comment mettre en échec ces flux illicites ?

En poursuivant la lecture de l'étude d'impact rédigée par les services du ministère, on ne peut que se demander si une telle réhabilitation devait être envisagée si tôt : « À ce jour, Antigua-et-Barbuda n'a pas notifié l'accomplissement des procédures internes requises pour l'entrée en vigueur des accords. »

La situation est donc la suivante : Antigua-et-Barbuda a obtenu sa réhabilitation à travers la simple signature de cet accord et la France se retrouve avec un accord non ratifié, donc inapplicable. Dans le domaine diplomatique, un principe élémentaire veut qu'un pays ne signe un accord que s'il en bénéficie, car rien ne l'oblige à y souscrire. La France se singularise en ne parvenant même pas à préserver son intérêt – en l'occurrence ses recettes fiscales en remédiant à l'évasion –, et ce face au 164ème pays du monde pour sa puissance économique. Quel désaveu pour notre diplomatie économique !

Le rapport le concède lui-même : « Pour la France, les enjeux ne sont pas du même ordre. Les bénéfices concrets financiers qu'elle peut en espérer sont impossibles à évaluer, de l'aveu même du Gouvernement Mais ces accords ont en tout état de cause valeur de symbole… ».

Quel symbole ? Le symbole que la France blanchit les blanchisseurs de l'argent sale et se fait complice de l'évasion fiscale. En 2009, le président français se fixait pour objectif « d'éradiquer les paradis fiscaux ». Désormais, le Gouvernement se contente de symboles. C'est une véritable capitulation devant le pouvoir de la finance. La notion de « bénéfices financiers à espérer impossibles à évaluer » pourrait se traduire plus simplement par « bénéfices égaux à zéro ».

En cette période de crise et de contraction de l'activité économique, il est de notre devoir de représentants du peuple de rappeler à ce gouvernement que les entrées fiscales ne sont pas un sujet mineur, ce que font en permanence les députés communistes.

Sa politique d'austérité se traduit par la mise à contribution des plus modestes, l'étranglement des salaires, la hausse des franchises et la baisse des prestations sociales, et dans le même temps prodigue des cadeaux fiscaux qui eux n'ont rien de symbolique. Bref, par une baisse des dépenses et une baisse des recettes, ces politiques néolibérales se contentent de symboles pour les entrées fiscales, puisqu'elles ont pour objectif principal le moins d'État, le moins de dépenses socialisées. Les accords fiscaux que nous examinons sont en cela révélateurs des théories économiques désuètes dans lesquelles la majorité s'enferme comme autant de dogmes.

Alors que nous allons bientôt devoir nous prononcer sur les finances de la nation, je rappelle au Gouvernement que l'État a besoin de recettes pour fonctionner. Faut-il lui rappeler que des « centaines de millions d'euros » – je cite les chiffres de Mme Lagarde – manquent dans la colonne « entrées fiscales » du budget de la nation à cause l'évasion fiscale ? C'est une fourchette basse, puisque la Commission européenne chiffre à 2 points de PIB l'ampleur de la fraude fiscale en France, soit 40 milliards, de quoi financer la retraite à 60 ans et le maintien des services publics.

Faut-il rappeler que plus de 10 000 milliards de dollars transitent chaque année dans ces trous noirs de la fiscalité ? Faut-il rappeler que 55 % du commerce international et 35 % des flux financiers transitent par ces paradis fiscaux ? Les deux tiers des hedge funds y sont domiciliés, d'après l'ancien directeur de la BNP, Daniel Lebègue, qui connaît parfaitement le sujet.

Vous tentez de nous convaincre que les paradis fiscaux et judiciaires d'hier sont devenus, du jour au lendemain, des partenaires coopératifs, par la signature de douze accords d'échanges fiscaux. Mais qui prétendra que la structure de leur économie s'est modifiée ? Les études d'impact confessent les prouesses de ces territoires en matière de financiarisation.

Les îles Caïmans abritent 80 % des fonds d'investissement du monde et 85 000 sociétés, pour seulement 50 000 habitants ! Les îles Vierges logent la moitié des sociétés non résidentes du monde. Les îles anglo-normandes accueillent 225 banques et 820 fonds d'investissement, 53 % du PIB de Jersey est lié à la finance. Faut-il que je continue cette démonstration ?

Dans le monde de la finance, rien n'a changé malgré la crise et les pantomimes des sommets du G 20. En réalité, et vous le savez, le recours à la publication des listes noire et grise de territoires non coopératifs était une supercherie qui ne masque pas l'absence de volonté politique pour éradiquer les paradis fiscaux.

À la veille de la présidence française du G 8 et du G 20, la lutte contre les paradis fiscaux ne figure même plus sur votre feuille de route pour ces négociations. Je profite d'ailleurs de ce débat pour réclamer au Gouvernement que les parlementaires soient associés aux négociations imminentes du G 8 et du G 20 conduites par notre pays. Nous n'avons pour l'instant aucun élément sur leur contenu.

Les solutions les plus efficaces ont été refusées par les pays riches : sanctionner ces minuscules territoires non coopératifs qui dépendent totalement de nos économies. Interdire les transactions de nos banques et de nos entreprises vers ces trous noirs.

Pourquoi ont-elles été écartées ? Parce qu'au nom de la compétitivité internationale, les gouvernements ont capitulé devant les exigences du capitalisme et accepté le dumping fiscal. Ils ont favorisé l'émergence de places financière opaques à leurs frontières afin d'avantager leurs entreprises nationales, parfois sur un même territoire comme la City pour le Royaume-Uni ou le Delaware pour les États-Unis.

La France soutient tout autant le circuit des paradis fiscaux, à Monaco ou dans les Caraïbes, car le gouvernement français n'a pas l'intention de remettre en cause ce coeur du capitalisme financiarisé.

À travers cet accord fiscal et les dix-sept autres qui l'ont précédé, le Gouvernement entend poursuivre la diminution des droits inscrits dans le préambule de la Constitution – je pense notamment aux principes politiques, économiques et sociaux, particulièrement nécessaires à notre temps. Cette régression frappera les citoyens français, car le dumping fiscal appauvrit les ressources de la nation et empêche la construction de nouveaux services publics. Mais elle touchera plus encore les citoyens des pays du Sud, car sans vergogne nos multinationales poursuivront le pillage des ressources sans déclarer leurs profits au fisc des pays en développement, grâce au mécanisme des prix de transfert.

Pour ces raisons, notre groupe refuse de cautionner un tel accord.

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