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Intervention de Christian Bataille

Réunion du 7 octobre 2010 à 9h30
Protection des mineurs roumains isolés en france — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Bataille :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons, en ce mois d'octobre, le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la République française et le gouvernement de la Roumanie, relatif à la protection des mineurs roumains isolés. Ce projet de loi nous est soumis cinq mois après son examen par le Sénat le 6 mai dernier, c'est-à-dire après un délai relativement long, mais je veux surtout insister sur le fait que ce texte a connu un parcours chaotique depuis plusieurs années. En effet, l'accord diplomatique signé le 1er février 2007 a vu son examen différé par le Sénat en 2009. Il s'agissait de renouveler un accord conclu en 2002 pour trois ans, arrivé à échéance et devenu caduc depuis 2006.

Je souligne la qualité et l'intérêt de votre rapport, madame la rapporteure, rédigé sur la base d'un travail sérieux et documenté. Néanmoins, le groupe SRC parvient à des conclusions opposées aux vôtres quant au texte diplomatique, que nous estimons discutable et d'une qualité ne méritant pas les éloges que vous lui faites. Le rôle de notre assemblée par rapport à cet accord diplomatique est assez limité puisque, après débat, nous n'aurons à répondre que par oui ou par non. Ce texte est donc à prendre ou à laisser par rapport à l'engagement du Gouvernement. Notre rôle, aujourd'hui, est bien dans l'air du temps : le Parlement s'en tient au rôle très limité auquel l'exécutif tend, hélas, à le confiner.

Il faut ajouter un élément fort de contexte intervenu depuis l'examen de cet accord au Sénat : le trop fameux discours de Grenoble du Président de la République, qui lie insécurité et immigration, et stigmatise le peuple roumain à travers les Roms. Hasard de l'histoire ou évolution politique logique ? Chacun répondra à sa manière, mais il est sûr que ce texte joue sur le mode mineur une petite musique que nous avons entendue de manière ronflante, la semaine dernière, à propos des populations roms.

Sans le dire dans son intitulé, ce texte qui entend protéger les mineurs roumains prévoit en réalité, face au problème posé par la libre circulation des Roms, un traitement bien plus expéditif que celui résultant de l'accord de 2002. Le précédent dispositif de 2002 avait pour objectif à la fois de lutter contre une délinquance organisée exploitant les mineurs – pour l'essentiel roumains et d'origine rom, nous en convenons – et, simultanément, de protéger des adolescents en organisant leur prise en charge juridique, sociale, éducative, et éventuellement leur retour volontaire en Roumanie.

Ce dispositif a donné des résultats décevants : le débat au Sénat a mis en évidence le faible rendement de la procédure mise en place – vous le dites vous-même, madame la rapporteure –, aussi bien pour le retour au pays que pour les carences de la mise à l'abri en France. En réalité, l'accord passé avec les ONG montre la faiblesse de la partie roumaine dans la réintégration des enfants après leur retour. Les juges pour enfants français ont pu constater la légèreté des enquêtes sociales, très succinctes. L'Autorité nationale pour la protection des droits des enfants en Roumanie n'a pas assuré le suivi et aucun retour ne nous est parvenu pour tenir les autorités françaises au courant de la situation des jeunes rentrés au pays.

Enfin, les autorités roumaines n'ont pas suivi l'accord de 2002, en refusant de travailler avec les ONG locales. L'association Hors la rue, qui dispose d'un réseau important en France et de correspondants en Roumanie, a publié un rapport sans appel, concluant : « L'impression qui se dégage est que les rapatriements opérés dans le cadre des accords franco-roumains se sont le plus souvent limités à une opération logistique de retour au pays, sans véritable préparation ni surtout de suivi a posteriori. On peut ainsi s'interroger, d'une part, sur la conformité de ces retours avec les traités internationaux qui garantissent le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant et, d'autre part, sur l'efficacité de ces retours du point de vue du contrôle des flux migratoires. La majorité des jeunes rapatriés dans le cadre des accords franco-roumains ont été victimes des dysfonctionnements des administrations des deux pays, sans véritable projet de retour élaboré avec et pour le jeune. »

L'accord signé en 2007 est pourtant en net recul par rapport au texte de 2002, déjà insuffisant : le dispositif s'appuyant sur la constitution d'un groupement d'ONG françaises a tout à fait disparu ; il n'est plus fait mention d'enquêtes sociales et de mesures de protection ; la communication, par la partie roumaine, du consentement des parents de l'enfant à son retour a également disparu, de même que tout projet pour l'enfant.

La partie la plus discutable de cet accord est la faculté accordée au parquet de décider seul du rapatriement d'un mineur, en l'absence de décision prise par un magistrat indépendant, d'audition, de débat contradictoire, et de possibilité de recours. De fait, l'avis du juge des enfants devient facultatif et le rapatriement peut se faire sur seule décision des autorités françaises et roumaines – alors que c'est une décision portant atteinte à la vie privée –, contrairement au principe constitutionnel reconnu par la Convention européenne des droits de l'homme. Le ministère public ne dispose plus du pouvoir de prendre une décision en matière de protection de l'enfance.

En résumé, ce nouveau projet d'accord s'inscrit dans la droite ligne de la politique du Gouvernement favorisant les décisions à la hussarde plutôt que la réflexion et l'examen approfondis. On voit se renforcer les pouvoirs administratifs d'urgence au détriment du droit ; les pouvoirs du procureur et de la police sont amplifiés au détriment du juge des enfants, alors que nous sommes confrontés à un problème d'immigration irrégulière, de délinquance concernant des adolescents et des enfants contraints de se livrer à la prostitution, au vol, à la mendicité, parfois même achetés à leurs parents.

Ce projet, positif dans son intention initiale, est incomplet. C'est un chantier en sursis qui ne peut nous satisfaire. Les autorités elles-mêmes sont incapables d'apprécier l'ampleur du phénomène et le nombre des mineurs isolés – plusieurs milliers, semble-t-il, plutôt à Paris, sur des sites spécifiques. La politique de retour ne donne, comme dans d'autres domaines, que des résultats limités et marqués par un effet boomerang : sans doute n'y a-t-il rien de mieux à attendre d'une solution expéditive de facilité. Rapporté à notre population et aux effectifs de notre jeunesse, le nombre d'enfants et d'adolescents concernés est faible. Il est vrai que les décisions articulées sur l'action du juge des enfants et des structures éducatives et sociales sont ardues, longues, et que leurs résultats, souvent peu spectaculaires, ne sont pas garantis.

Je termine en m'étonnant que notre politique passe par des accords bilatéraux dignes des années 1950 et ignorant le cadre européen. Je me tourne donc vers vous, monsieur le secrétaire d'État, pour vous demander ce que fait l'Europe, à quoi elle sert, et si le Gouvernement pèse bien de tout son poids pour que la Commission européenne présente un plan d'action sur cette question grave et délicate. Une intervention de l'Union européenne répondrait bien plus efficacement que des accords bilatéraux mais, jusqu'à présent, rien n'a été entrepris en ce sens, notamment à l'occasion de la présidence française.

Le groupe socialiste, radical et citoyen considère que le texte qu'il nous est proposé d'approuver est un mauvais texte, scandaleux sur le fond, approximatif dans sa rédaction, et examinera donc très sérieusement la possibilité d'un recours en annulation auprès du Conseil constitutionnel. Nous refusons ce mauvais accord qui crée un droit inférieur pour une jeunesse à l'abandon. Au nom des principes républicains fondamentaux, nous voterons donc contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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