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Intervention de Jean-Marc Ayrault

Réunion du 5 octobre 2010 à 15h00
Rappels au règlement

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Marc Ayrault :

Monsieur le président, avant que ne reprenne l'examen du projet de loi relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, je souhaiterais porter publiquement à la connaissance de l'Assemblée le conflit qui nous oppose à M. Bernard Accoyer, président de l'Assemblée nationale.

La non-application de l'article 49, alinéa 13, du règlement, à l'issue du débat sur les retraites, a fait suite à une multitude de désaccords et d'incidents qui ont émaillé la vie parlementaire depuis l'adoption du nouveau règlement. Ce n'est, hélas, pas une surprise. Ce règlement ne permet pas un fonctionnement réellement démocratique. Nous avons voté contre, et nous continuerons de proposer sa révision. Toutefois, dès lors qu'il a été voté, il est le règlement de l'Assemblée. Nous demandons donc, pour le moins, son strict respect, afin de sortir d'une pratique arbitraire. Les règles ne peuvent pas s'inventer à chaque nouveau débat, à la convenance exclusive de la majorité et avec l'assentiment du président de l'Assemblée nationale.

Nous ne siégeons plus au bureau ni à la conférence des présidents, et nous ne le ferons plus tant que nous aurons le sentiment que la présidence de l'Assemblée n'est pas le siège de la démocratie, mais celui de la majorité.

Je peux vous donner un exemple concret aujourd'hui. Nous avions demandé qu'il soit accordé un temps supplémentaire dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à l'immigration. Il reste, en effet, quatre-vingt-dix articles à examiner sur des sujets qui méritent que l'on prenne le temps du débat. Or, avec le temps global, le temps de parole s'épuise. Mais cette demande a été rejetée en conférence des présidents, alors qu'elle avait été faite par écrit et que le président avait répondu par écrit.

Nous attendons une sortie de crise. Et, pour sortir de cette crise qui empoisonne le travail parlementaire, nous faisons des propositions, avec mes collègues du groupe SRC et du groupe GDR – à cet égard, Yves Cochet s'exprimera dans quelques instants. Ensemble, nous vous demandons de respecter l'équilibre de la réforme du règlement – même s'il comporte bien des défauts –, en assurant un minimum de crédibilité au nouvel article 51-1 de la Constitution qui annonce la reconnaissance de droits spécifiques pour l'opposition.

Vous avez, en effet, souhaité instituer un temps d'explication de vote individuel pour chaque député de la nation, dès lors qu'il en fait la demande. Nous demandons que ce droit soit respecté, notamment lors de la dernière lecture du projet de loi portant réforme des retraites, si les députés en font la demande à titre individuel.

Vous avez annoncé un droit de tirage par session, permettant à chaque groupe de créer une commission d'enquête. Nous demandons que la commission saisie au fond ne puisse vider la proposition de résolution de sa substance sans l'accord de son auteur et que le rejet éventuel s'exprime dans les formes exclusives prévues par notre règlement, c'est-à-dire dans l'hémicycle et à la majorité des trois cinquièmes.

Vous avez créé une semaine de contrôle. Nous vous demandons d'accorder à l'opposition le droit d'organiser librement ces journées réservées, et notamment de décider de l'audition de personnalités extérieures.

Vous vous êtes prononcé pour que la procédure accélérée ne soit pas cumulable avec le temps programmé. Nous notons que ce cumul est aujourd'hui pratiqué de manière quasi-systématique, autrement dit sans qu'une véritable urgence le justifie.

Vous avez défendu la revalorisation du travail au sein des commissions permanentes. En fait, rien n'a changé. Seul le pouvoir exécutif, par la présence des ministres, a pu bénéficier d'un nouveau régime. Nous attendons que les débats bénéficient d'une véritable publicité, comme nous l'avions demandé en juillet pour le débat sur les retraites, ouverte à la presse, en attendant la mise en place de moyens de retransmission audiovisuelle.

Vous avez présenté les semaines d'initiative parlementaire comme un nouvel espace d'expression pour l'opposition. Nous demandons que les séances réservées aux propositions de l'opposition soient programmées les mardi et mercredi, comme c'est le cas pour la majorité. Nous demandons également que la présidence engage le dialogue avec le Gouvernement pour proscrire l'usage de la réserve de vote, du vote bloqué et du vote solennel qui organise l'absentéisme des députés de la majorité et empêche, sur les propositions de loi de l'opposition, tout véritable débat démocratique.

Vous avez souhaité un temps programmé pour donner plus de prévisibilité à nos débats. Nous vous demandons que soient bannies les décisions de dernière minute, notamment concernant la durée des débats la nuit. Il serait de bonne pratique d'informer les députés en début de séance de la limite au-delà de laquelle la séance ne saurait se poursuivre.

Toutes ces demandes n'appellent aucune modification du règlement, mais de la pratique, ou plutôt de bonnes pratiques, afin que la règle majoritaire ne tourne pas au mépris de l'opposition, et au-delà du Parlement lui-même.

Enfin, la répétition des incidents de séance entre la majorité et l'opposition révèle la nécessité pour notre Assemblée d'avoir des règles claires et une instance d'arbitrage reconnue par tous. Le principe même de l'État de droit réside dans l'existence de règles claires, accessibles à leurs destinataires. Ce principe est trop souvent contredit lorsque le règlement est interprété et réinterprété à chaque nouveau cas d'espèce, à la convenance de la majorité. Il est aujourd'hui impératif, dans cet esprit, de codifier l'ensemble de la jurisprudence relative à l'application du règlement, afin d'assurer un minimum de prévisibilité à son application.

Le principe même d'État de droit suppose également l'existence d'un arbitre impartial. La règle est d'autant mieux acceptée que son application n'est pas sujette à suspicion. Il est grand temps de mettre fin au système juge et partie qui caractérise aujourd'hui le pouvoir de la majorité, pour l'application du règlement. Il est aujourd'hui impératif d'offrir à notre assemblée un arbitre digne de ce nom, une instance qui pourrait trancher les différends entre la majorité et l'opposition, et dont les décisions seraient acceptées par tous.

Dans cet esprit, nous pourrions imaginer que cette instance soit composée à parité de membres de la majorité et de l'opposition. Ils seraient élus à la majorité des trois cinquièmes, afin de permettre la représentation des députés les plus respectés par leurs pairs, indépendamment de leur préférence politique. Perçues comme justes, les décisions que prendrait ce comité des sages seraient d'autant mieux acceptées par l'ensemble des députés. Le climat au sein de notre assemblée y gagnerait en sérénité et notre assemblée en sortirait grandie.

Monsieur le président, je vous ai lu la lettre que j'ai signée avec Roland Muzeau, Yves Cochet, Gérard Charasse, député du parti radical de gauche, Christian Hutin, député du mouvement républicain et citoyen, Martine Billard, députée du parti de gauche, et l'ensemble des députés du groupe SRC et du groupe GDR. Je vous remets ce courrier pour que vous le transmettiez à votre tour à M. Bernard Accoyer. Je fais cette démarche dans cet hémicycle de façon solennelle, parce que nous n'avons qu'un seul impératif : que notre assemblée soit respectée, qu'elle fonctionne normalement et que tous les députés de la nation que nous sommes puissent être respectés, pour faire en sorte que le travail parlementaire prenne tout son sens alors que notre démocratie en a bien besoin, tant les sujets dont nous débattons ici ont de l'importance pour nos concitoyens, pour leur vie quotidienne mais aussi pour l'avenir du pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

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