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Intervention de Chantal Bourragué

Réunion du 5 octobre 2010 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChantal Bourragué, rapporteure :

Entre février 2003 et février 2006, la France et la Roumanie ont été liées par un accord, signé en 2002 et conclu pour trois ans, « relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains en difficulté sur le territoire de la République français et à leur retour dans leur pays d'origine, ainsi qu'à la lutte contre les réseaux d'exploitation ». Celui-ci avait surtout permis la constitution d'un groupe de liaison opérationnel (GLO) grâce auquel les deux pays échangeaient des informations tant sur les cas individuels des mineurs roumains isolés trouvés sur le territoire français que sur les réseaux par l'intermédiaire desquels une partie d'entre eux était arrivée en France et qui les y exploitaient. Depuis que l'accord n'est plus en vigueur, cette structure ne s'est pas réunie, ce qui a constitué une régression dans la coopération bilatérale. L'un des objectifs du nouvel accord signé le 1er février 2007 est de permettre au GLO de fonctionner à nouveau ; ses stipulations sont très directement inspirées de celles de l'accord précédent, tout en tenant compte de l'expérience accumulée entre 2003 et 2006.

Cet accord est le seul qui existe entre la France et un autre pays, du fait du nombre important dans notre pays des mineurs roumains isolés, c'est-à-dire qui ne sont pas accompagnés d'une personne exerçant l'autorité parentale sur eux : il n'y a évidemment pas de chiffrage parfaitement sûr, mais les jeunes Roumains pourraient constituer près de la moitié des 4 à 8 000 mineurs qui se trouvent dans cette situation. S'inspirant de cet accord, l'Espagne et l'Italie ont aussi signé des accords avec la Roumanie, ainsi qu'avec le Maroc et le Sénégal en ce qui concerne l'Espagne. Ces accords bilatéraux sont apparus nécessaires dans la mesure où les initiatives de l'Union européenne pour traiter ces problèmes sont encore très insuffisantes.

La structure du nouvel accord est très proche de la composition de celui qu'il remplace. L'article 1er décrit son domaine d'application et l'article 2 fixe les objectifs de la coopération franco-roumaine. L'article 3 reconduit pour l'essentiel les stipulations relatives à la prise en charge des mineurs isolés en France et au Groupe de liaison opérationnel. L'article 4 est en revanche nouveau : il prévoit une organisation de la procédure pouvant conduire au raccompagnement du mineur en Roumanie légèrement différente de celle mise en place par l'accord 2002. Les modalités de financement de la coopération, qui mettent à la charge de la France l'ensemble des actions réalisées en France et, le cas échéant, le retour du mineur, sont fixées à l'article 5. Le nouvel accord est signé pour trois ans mais cette période est tacitement reconductible, ce qui évitera tout vide juridique.

Je vais insister sur les différences entre les stipulations du nouvel accord et celles de l'accord signé en 2002.

Il faut d'abord remarquer que le nouvel accord met davantage l'accent sur la lutte contre les réseaux d'exploitation. Il mentionne aussi la nécessaire prévention du risque de représailles contre les mineurs rentrés en Roumanie, lequel est apparu particulièrement grand à la lumière de l'expérience des années 2003 à 2005. Les autres objectifs de coopération restent les mêmes : identifier et protéger les mineurs en France, favoriser le retour des mineurs dans leur pays dans de bonnes conditions grâce à des échanges d'informations, l'adoption de mesures de protection et le suivi, pendant six mois, de leur réintégration sociale. Afin d'améliorer ce suivi, à la demande de plusieurs associations, l'accord de 2007 fait peser une nouvelle obligation sur les autorités roumaines : celle d'informer annuellement la partie française de la situation de chaque mineur concerné.

Le GLO redeviendra le lieu où se réalisent concrètement ces échanges d'informations. Ses compétences restent les mêmes.

C'est surtout l'article 4 de l'accord qui suscite des critiques : il réorganise la procédure pouvant conduire au retour d'un mineur isolé dans son pays. Je tiens d'abord à rappeler que ces retours ont toujours été rares : on en compte une soixantaine depuis 2003. Mais ils étaient relativement plus nombreux pendant que l'accord était en vigueur : 9 en 2004, 18 en 2005 (dont 8 enfants de la même fratrie), 10 en 2006. En effet, l'échange d'informations permettait d'identifier plus facilement les jeunes gens, puis de préparer leur retour en collaboration avec les autorités roumaines, qui les prenaient en charge dès leur arrivée. Le petit nombre de retours n'est pas étonnant puisque la mesure n'est décidée que si elle est dans l'intérêt de l'enfant, après qu'il a pu donner son avis. Le droit français, conforme à la convention internationale des droits de l'enfant, interdit en effet tout retour forcé d'un mineur.

La procédure telle qu'elle est décrite à l'article 4 du nouvel accord n'a pas pour but de conduire à une explosion du nombre des retours, mais à faciliter ceux qui sont dans l'intérêt du mineur. En effet, même les associations qui expriment des inquiétudes reconnaissent que la procédure suivie est souvent trop longue et que la situation des mineurs peut avoir changé avant que leur retour soit organisé. Le nouvel accord donne compétence au juge des enfants, comme auparavant, mais aussi au Parquet pour saisir les autorités roumaines d'une demande d'informations sur un mineur isolé, puis pour autoriser son retour dans son pays si les autorités roumaines le demandent et si toutes les garanties sont réunies pour assurer sa protection.

Nous sommes là dans le cas, prévu par le droit français, où le Parquet intervient « en cas d'urgence ». Bien que ça ne soit pas explicité dans l'accord, cette compétence ne peut être exercée que pendant huit jours au maximum, délai pendant lequel le procureur doit saisir le juge des enfants. Aussi, dans les faits, la compétence du Parquet se limitera à lancer la demande d'informations auprès des autorités roumaines et il appartiendra ensuite au juge des enfants de décider d'un éventuel raccompagnement du mineur au vu de ces informations et de l'avis du jeune, en application, là encore, du droit français.

Par ailleurs, en cas de fugue du jeune entre la décision de son raccompagnement et son retour effectif, l'article 4 de l'accord permet au Parquet de mettre à exécution la mesure de raccompagnement. Mais cette faculté, qui n'est pas une obligation, est étroitement encadrée : elle ne pourra être exercée que si les informations obtenues sur la situation du mineur sont suffisantes et ne datent pas de plus de douze mois. Si le procureur constate que la situation du jeune a changé depuis que la décision a été prise, il pourra lancer une nouvelle demande d'informations et confier à nouveau le dossier à un juge des enfants.

On voit donc bien que les droits et garanties dont bénéficient les mineurs isolés n'en seront pas réduits. Le but principal est d'éviter de perdre trop de temps à cause de la surcharge de travail des juges des enfants en permettant au procureur de formuler la demande d'informations auprès des autorités roumaines. Celles-ci doivent alors, en application du droit roumain, déclencher une enquête sociale, qui prend plusieurs semaines. Une fois son résultat communiqué à la France, c'est un juge des enfants qui poursuivra la procédure.

J'ai donc la conviction que les inquiétudes formulées à propos de cette procédure ne sont pas fondées. Il est vrai que la rédaction du nouvel accord n'est pas toujours aussi précise que celle de l'accord signé en 2002. Par exemple, il n'est pas fait mention de l'enquête sociale roumaine. Mais ce silence s'explique par les progrès accomplis depuis 2002 par les autorités roumaines : ce qu'il fallait expliciter dans l'accord en 2002 est désormais intégré dans le corpus juridique roumain, qui s'applique.

Soucieuse de démontrer son volontarisme en matière de protection de l'enfance, afin, notamment, de combattre le souvenir des orphelinats mouroirs découverts sur son sol aux lendemains de la chute du régime de Ceausescu, la Roumanie, qui a consenti beaucoup d'efforts dans ce domaine, a approuvé l'accord avec diligence et s'impatiente, à juste titre, du retard pris par la procédure côté français.

J'estime que les stipulations du nouvel accord, qui mettent davantage l'accent sur la lutte contre les trafics d'enfants et sur le suivi des mineurs raccompagnés en Roumanie, sont équilibrées et ne méritent pas les vives critiques qui lui ont été adressées par certains.

Je ne prétends pas que la mise en oeuvre de cet accord va résoudre tous les problèmes et je profiterai du débat en séance publique pour attirer l'attention du Gouvernement sur les propositions des associations actives auprès des mineurs isolés, visant principalement à renforcer la capacité d'hébergement qui leur est destiné. La France comme l'Union européenne devraient aussi être attentives à ce que la Roumanie consacre des moyens suffisants aux mesures de protection des mineurs, malgré le contexte de crise qui la pousse à faire des économies drastiques et menace de remettre en cause les réels progrès accomplis en la matière.

Cet accord est un instrument utile pour préparer le retour dans leur pays des mineurs isolés roumains, dans la mesure où cette solution apparaît la meilleure pour leur avenir et qu'ils y ont consenti. Je suis donc favorable à l'adoption du présent projet de loi.

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