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Intervention de Laurent Bigorgne

Réunion du 29 septembre 2010 à 10h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Laurent Bigorgne, directeur général adjoint de l'Institut Montaigne :

Trois constats, pour commencer.

Le premier : si, à la fin des années quatre-vingts, un enfant issu d'une famille ouvrière avait neuf fois moins de chances qu'en enfant issu d'une famille d'enseignant d'obtenir le baccalauréat, il en avait quatorze fois moins au seuil des années 2000.

Le deuxième : la fatalité n'existe pas. Les Allemands, dès 2003, ont lancé un vaste débat après les résultats des premiers tests PISA – d'aucuns ont alors parlé d'un « PISA-choc » – jusqu'à remettre en cause les fondements de leur système éducatif. Alors que les résultats français sont sans doute pires, cette prise de conscience n'a pas eu lieu chez nous ou, à tout le moins, elle n'a pas porté ses fruits.

Le troisième : nous sommes confrontés à une double difficulté puisque 40 % des enfants qui entrent en classe de sixième ont des lacunes graves – elles sont quasiment irrémédiables pour 15 % d'entre eux – et que notre élite scolaire plafonne à 6 % ou 7 % contre 12 % à 17 % dans d'autres pays qui nous sont comparables. Cela, me semble-t-il, éclaire d'un jour nouveau le débat sur l'accès aux formations supérieures les plus sélectives ainsi que sur l'effectivité du brassage social.

Quelques chiffres supplémentaires. Les sorties de notre système scolaire se répartissent comme suit : 20 % des élèves sont sans diplôme, 20 % obtiennent un CAP, 20 % un BEP, 20 % ont un niveau bac, 20 % un bac +2, 20 % un bac +3 – contre 30 % à 40 %, dans cette dernière catégorie dans des pays avec lesquels une fois encore la comparaison est possible.

L'OCDE réalise des tests PISA tous les trois ans depuis l'an 2000. S'agissant de l'acquisition de la lecture à l'âge de quinze ans, la France se situait cette année-là au douzième rang ; en 2006, nous avons rétrogradé au dix-septième ; aujourd'hui, notre pays se situe entre la Corée et le Mexique. En ce qui concerne les mathématiques, la situation est encore pire puisque entre 2003 et 2006 nous sommes passés au dernier rang des pays de l'OCDE. Je n'ignore pas que certains contestent la validité de ces tests mais, en l'occurrence, ils sont parfaitement légitimés par les croisements effectués par le Département des études de la prospective et des statistiques (DEPS) avec les tests réalisés en classe de CM 2 tous les dix ans depuis 1987.

En outre, si le niveau des meilleurs élèves tend à baisser légèrement en 2006, c'est surtout celui des 25 % des élèves les plus faibles qui s'effondre encore un peu plus.

Sur un plan sociologique, si les enfants des cadres et des professions intellectuelles supérieures « trustent » les voies d'excellence, la proportion d'enfants d'ouvriers non qualifiés dans les classes de baccalauréat général – a fortiori scientifique – et au sein des classes préparatoires aux grandes écoles est quant à elle extrêmement faible. Par ailleurs, l'étude PISA-Maths portant sur les résultats en mathématique dans ces trois pays d'immigration que sont le Canada, l'Australie et la France montre que notre pays est le seul dans lequel les enfants dits autochtones ont de meilleurs résultats que ceux qui sont issus de la première ou de la deuxième génération d'immigrés. Il n'y a donc aucune fatalité à ce qu'il en soit ainsi et c'est bien notre système qui est responsable de l'échec de l'intégration scolaire.

De surcroît, depuis les années quatre-vingts, les réformes ont été pléthoriques tant en ce qui concerne les programmes que les conditions d'enseignement ou la formation des enseignants mais, malgré l'ampleur des moyens déployés, les résultats demeurent significativement mauvais comme en attestera à la fin de l'année le rapport PISA 2009. Pire : ce dernier dessinera également la tendance sur les dix prochaines années…

Pourtant, dans de nombreux pays, les recherches menées par des médecins, des psycho-cognitivistes, des sociologues et des économistes ont permis de réaliser de remarquables avancées. Hélas, dans notre pays, elles sont quasiment inexistantes ou elles se déroulent très loin des salles de classes où nous savons que tout se joue. Nous n'avons pas investi – pas même dans le cadre du grand emprunt – dans une recherche pédagogique universitaire indépendante de très haut niveau qui s'élaborerait à partir des meilleurs standards internationaux ; nulle structure ne permet à des scientifiques comme Stanislas Dehaene, professeur au Collège de France, ou Michel Fayol, responsable des sciences psycho-cognitives à l'Agence nationale de la recherche (ANR), de travailler ensemble ; eux et quantité d'autres chercheurs sont isolés, n'entretiennent aucune relation avec l'Éducation nationale. C'est d'autant plus dommageable que, selon une étude américaine, des travaux de haut niveau réalisés par des chercheurs ont permis de remédier aux difficultés de lecture rencontrées par les élèves d'origine hispanique vivant en Floride. Au début des années 2000, les États-Unis avaient d'ailleurs évalué 100 000 expériences de lecture réalisées dans l'ensemble du pays ; conserver une centaine des plus probantes a permis d'élaborer et de diffuser les bonnes pratiques. L'efficacité de la science pédagogique est en effet comparable à celle de la médecine en ce qu'elle est fondée sur l'évaluation d'expériences : tant que cela ne sera pas reconnu dans notre pays et tant que nous ne ferons pas confiance aux chercheurs compétents, il sera vain d'attendre une amélioration de la situation dans les classes.

Michel Zorman, médecin conseiller du recteur de l'académie de Grenoble, a ainsi travaillé sur la maîtrise de la conscience phonologique des élèves – laquelle est le plus souvent tributaire de leur milieu social – dans des classes situées en zone d'éducation prioritaire (ZEP), entre la grande section de maternelle et le CE1. Un certain nombre de protocoles scientifiquement élaborés a permis de diminuer de moitié le nombre d'élèves en difficulté et de doubler le nombre de ceux qui figurent en tête de classe portant cette dernière, en l'occurrence, à un niveau supérieur à celui de la moyenne nationale ; en matière de lecture, M. Zorman a proportionnellement placé la France au même plan que la Finlande ! Mais si ces résultats sont connus depuis 2008, ils ne sont toutefois guère diffusés pas plus qu'ils ne bénéficient – malgré mes efforts auprès des cabinets des ministres successifs de l'Éducation nationale – d'une oreille attentive de la part de l'institution. Une fois encore, c'est d'autant plus dommageable que le protocole mis en oeuvre ne coûte que cent euros en moyenne par élève, ce qui n'est pas beaucoup comparativement aux dépenses induites par l'illettrisme. L'Institut Montaigne, quant à lui, s'efforce de diffuser cette expérience à Lyon en travaillant main dans la main avec le directeur général de l'enseignement scolaire et il s'évertuera à faire de même dans d'autres collectivités locales dès la rentrée prochaine.

J'ajoute, enfin, que nous ne disposons d'aucun outil comparable s'agissant des mathématiques.

Je me permets d'insister : faute d'expérimentations et d'évaluations, les contribuables pourront continuer à mettre la main à la poche et les réformes structurelles se succéder, les améliorations ne se feront qu'à la marge et la France conservera la palme des mauvais résultats au sortir de l'école primaire de même que celle des inégalités sociales les plus criantes.

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