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Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du 30 septembre 2010 à 9h30
Immigration intégration et nationalité — Article 3 bis

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

L'article 3 bis nous ramène au coeur du problème posé par ce texte. L'extension de la déchéance de la nationalité, au-delà des cas d'atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, y compris la trahison au profit d'un autre État, et d'atteinte à l'administration par des personnes exerçant une fonction publique, aux cas de meurtre ou de violences entraînant la mort d'un représentant de l'ordre public, est à plusieurs titres inquiétante. À défaut d'être efficace, c'est-à-dire dissuasive, elle vise en réalité autre chose. Je me pose en effet la question de l'utilisation symbolique et politique d'une telle disposition.

Celle-ci a été annoncée par le chef de l'État après des violences urbaines dans des quartiers où vivent des Français ayant des origines étrangères. Une telle disposition aurait pu être adoptée depuis longtemps, dans la mesure où les malfaiteurs, dans le cadre de la criminalité organisée, ont toujours défié les forces de l'ordre et n'hésitent malheureusement pas à faire disparaître ceux qui s'opposent à leurs méfaits. Pourtant, rien de tel n'avait jusqu'alors été envisagé.

Il y a lieu de s'étonner qu'une telle disposition soit discutée, non à l'occasion d'un texte de répression pénale, mais sur un texte relatif à la nationalité et à l'immigration. Je veux donc formuler trois observations sur la « révélation » subite de la nécessité d'une telle mesure.

Tout d'abord, je ne pense pas que celle-ci portera spécialement sur les délinquants les plus durs. Les personnes qui commettent des infractions graves visées par les articles 221-4 et 222-8 du code pénal n'ont pas renoncé à leurs méfaits malgré les peines de plusieurs années, voire de plusieurs dizaines d'années de prison, qu'elles encourent pour ces actes. Je doute donc fort que la menace d'une déchéance de nationalité les dissuade davantage ; je doute même qu'elles soient affectées par une telle décision, dont les effets matériels risquent d'être fort lointains.

Je ne peux donc m'empêcher de penser au contexte dans lequel cette mesure a été annoncée. Le 30 juillet 2010, à Grenoble, le Président de la République déclarait publiquement, à propos des violences urbaines et de la délinquance : « Nous subissons les conséquences de cinquante années d'immigration insuffisamment régulées. » Le 5 août suivant, son ministre de l'intérieur déclarait à son tour : « Chacun sait qu'il y a des liens entre délinquance et immigration. » Le 7 août, ce même ministre annonçait qu'il formulerait des propositions au Président de la République d'ici à la fin du mois pour la mise en oeuvre juridique de la mesure de déchéance de la nationalité contre les auteurs d'homicides envers les personnes dépositaires de l'autorité publique, de polygamie et d'excision.

Je constate ainsi que les discours des plus hautes autorités de l'État ayant précédé la présentation de cette disposition ont tous laissé penser que si l'on a des origines étrangères – ce que l'on s'est bien gardé de définir avec précision à ce moment-là –, on est probablement moins bon Français, davantage susceptible de transgresser les règles communément acceptées. De la sorte, on a laissé planer très subtilement l'idée que tous les Français n'avaient pas la même valeur. Je crois primordial de rappeler ce contexte, qui crée de façon malsaine une suspicion sur une partie des Français.

Je souhaite par ailleurs relever deux conséquences possibles de cette disposition, toutes deux délétères.

La première, c'est que, comme l'avait laissé entendre le ministre de l'intérieur, la déchéance de la nationalité pourrait concerner demain d'autres crimes ou délits, donc revenir régulièrement en discussion devant l'opinion et dans notre assemblée. La nature très différente des faits initialement visés ne manquera d'inciter à la surenchère.

La deuxième conséquence, c'est le risque que, dans un contexte de crise, des glissements successifs du droit opèrent des changements dans nos principes mêmes. Il y a quelques mois, a été réédité un ouvrage classique intitulé La Politique criminelle des États autoritaires, du professeur Henri Donnedieu de Vabre, livre d'histoire écrit pendant l'entre-deux-guerres qui montre comment certains États semblent mieux répondre aux besoins nouveaux que d'autres États fonctionnant de façon, disons, plus traditionnelle. De la sorte les premiers abandonnent des principes plus élevés et plus durables. Il ne s'agit, hier comme aujourd'hui, aucunement d'une rupture, mais bien de glissements et d'effritements.

J'espère très honnêtement que votre mesure n'en annonce pas d'autres et ne préfigure pas un recul durable de nos principes. C'est pour cette raison qu'il faut revenir sur cet article. (Applaudissements sur divers bancs du groupe SRC.)

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