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Intervention de Jean-Pierre Dufau

Réunion du 30 septembre 2010 à 9h30
Immigration intégration et nationalité — Article 3 bis

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Dufau :

Monsieur le président, monsieur le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, monsieur le rapporteur de la commission des lois, avec l'article 3 bis, nous entrons au coeur du titre Ier. L'amendement du Gouvernement demandant la déchéance de la nationalité dans certaines conditions est on ne peut plus démagogique, indigne, bref, inacceptable.

Cette mesure n'est pas prise au hasard ; elle est consciente, organisée, cynique, mais, avant tout, elle est totalement inefficace au regard des dispositions du droit actuel. Elisabeth Guigou l'a d'ailleurs démontré et elle n'a pas été contredite. Quant au ministre, il a donné les mêmes éléments en commission.

Dans le droit actuel, la déchéance de la nationalité est prononcée de façon extrêmement rare, en tout cas, pas tous les ans. Il y a eu deux ou trois cas il y a plusieurs années, mais aucun depuis deux ou trois ans. C'est donc une mesure exceptionnelle, fort heureusement, car les crimes en cause sont odieux.

Monsieur le ministre, je vais vous poser une question, que je vous ai déjà posée en commission, mais à laquelle je n'ai pas obtenu de réponse.

Comme vous êtes féru de statistiques, vous avez sans doute lu les rapports effectués chaque année sur le sujet. Ma question est très précise : au cours des trois dernières années, combien de crimes, parmi ceux évoqués à l'article 3 bis, ont-ils été commis en France, quelle que soit l'origine de ceux qui les ont perpétrés ? Combien de crimes de ce type ont-ils été commis contre des forces de police, des magistrats ou des jurés ? À combien de ces criminels aurait été appliquée la déchéance de la nationalité selon les termes de l'article, autrement dit pour des personnes ayant acquis la nationalité française depuis moins de dix ans ?

Les réponses montreraient que votre mesure ne correspond à rien. Ce n'est ni un problème crucial ni un problème de société ; ce n'est rien d'autre que de l'opportunisme.

Par ailleurs, cette mesure est politiquement inacceptable au pays des droits de l'homme et du citoyen, dans notre République qui prône l'égalité comme valeur essentielle. C'est en effet une atteinte à l'égalité des citoyens que de distinguer pour un même crime relevant du droit pénal ceux qui sont Français depuis toujours et ceux qui ont acquis la nationalité française. Ce n'est pas l'origine qui fait la gravité du crime ; c'est le crime lui-même. Feindre de confondre les deux montre le cynisme du Gouvernement.

Je n'ironiserai pas – ce serait trop facile – sur la liste « à la Prévert » des dépositaires de l'autorité publique que vous évoquez. Il s'agit en effet de la déchéance de la nationalité qui pourrait être prononcée à l'encontre d'un Français dès lors qu'il serait l'auteur d'un meurtre – article 221-4 du code pénal –, de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, envers les personnes concernées, aux termes de l'article 222-8 du code pénal, car, je le rappelle, nous ne sommes pas dans le cadre du code civil.

Un magistrat, un juré, un avocat, un officier ministériel, entre autres, toutes ces personnalités dignes d'intérêt sont dépositaires de l'autorité publique. La liste est-elle exhaustive ? Si les pompiers y figurent, ce n'est pas le cas, par exemple, des médecins, des infirmiers, des parlementaires, des ministres et du Chef de l'État. Pourtant, porter atteinte, volontairement ou non, à de telles personnalités me semble d'une extrême gravité. Cette liste, établie quelque peu à la va-vite à partir des articles 221-4 et 222-8 du code pénal, est bien la preuve que cette disposition ne peut, en conséquence, que relever du droit pénal.

En agissant ainsi, vous bouleversez les fondements de notre droit, ce qui est totalement contestable. Cela m'amène, en conséquence, à démontrer qu'après être politiquement inacceptable, cette mesure est juridiquement anticonstitutionnelle. En effet, et M. le ministre l'a abondamment souligné, la déchéance de la nationalité existe dans notre droit. Nous soutenons cette disposition en cas de terrorisme, d'atteinte à la sûreté de l'État ou d'espionnage. La gauche a mis en place ce système et le revendique. Quand il s'agit des intérêts vitaux de l'État, cette sanction suprême peut effectivement être envisagée et elle l'est en France, comme dans d'autres pays.

En revanche, faire semblant de confondre les intérêts vitaux de l'État avec des crimes odieux perpétrés contre des agents de l'État ou des personnes dépositaires de l'autorité publique est un glissement inacceptable ! C'est entretenir une confusion entre l'intérêt général supérieur de l'État et des crimes abominables, que, certes, nous réprouvons, sur des personnes. C'est donc se tromper de registre.

Ces sanctions pour de tels crimes sont d'ordre pénal. Il est normal que ces crimes, de par leur gravité, soient passibles de sanctions pénales lourdes avec toutes les conséquences que vous savez, mais nous refusons qu'ils fassent l'objet de sanctions d'exception. Et c'est là tout le caractère anticonstitutionnel de cet amendement. Le Conseil constitutionnel se prononcera en la matière. Apparenter les intérêts vitaux de l'État à des crimes relatifs à des personnes, fussent-elles détentrices de l'autorité publique, revient à les banaliser, ce qui est inacceptable et contraire à notre Constitution.

Vous savez parfaitement, au fond de vous-même, que cette mesure anticonstitutionnelle n'aura aucune efficacité. Alors, pourquoi l'avoir envisagée ? J'attends une réponse.

En fait, l'objet de l'amendement vous importe peu. C'est un prétexte pour viser celui qui a acquis la nationalité française, qui n'est donc pas Français d'origine, et créer ainsi une polémique. C'est remuer ce qu'il y a de plus sombre, de plus triste, au tréfonds de certains individus. En résumé, c'est, vous le savez, la drague active des électeurs du Front national, le mépris des valeurs de la République, l'instrumentalisation de la xénophobie. En un mot comme en cent, les républicains sincères, et il y en a sur tous les bancs de cet hémicycle, s'y opposeront. D'autres, certes républicains, mais qui, sur ce point précis, manqueront de sincérité et renonceront à leurs profondes convictions, obéiront le doigt sur la couture du pantalon à une stratégie électoraliste qui ne passera pas.

Je remercie, par avance – ce qui ne m'empêchera pas d'être en désaccord avec eux sur d'autres points – ceux qui auront le courage de s'y opposer en conscience, car il s'agit vraiment d'une clause de conscience ! Tous les républicains, quelles que soient leurs sensibilités, doivent s'élever contre cette déchéance de la nationalité dans les cas prévus par le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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