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Intervention de Michel Bouvard

Réunion du 14 septembre 2010 à 16h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Bouvard, rapporteur :

Je souhaite également rendre hommage au Premier président Philippe Séguin, principal architecte de cette réforme.

Dans le discours qu'il prononça le 5 novembre 2007 à l'occasion du bicentenaire de la Cour des comptes, le Président de la République invita le Premier président à « engager une réflexion collective sur ce que pourraient être les pouvoirs, les moyens et l'organisation nécessaires pour que ce grand organisme d'audit public dont la France a besoin puisse voir le jour et fonctionner sans que ce qui fait la force de l'institution […] s'en trouve amoindri mais au contraire décuplé. »

Après plusieurs mois de concertation, un projet a donc été déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 28 octobre 2009. Ce texte intéresse tout particulièrement le Parlement, la Cour étant à égale distance des pouvoirs exécutif et législatif et son rôle étant fondamental dans l'évaluation de l'efficacité des politiques ainsi que de la dépense publique.

Le texte repose sur trois axes principaux.

Tout d'abord, la réorganisation et la modernisation des procédures de jugement des ordonnateurs et gestionnaires publics.

L'article 1er prévoit de confier à la Cour des comptes les missions jusqu'alors dévolues à la Cour de discipline budgétaire et financière – CDBF –, à savoir le jugement des ordonnateurs et gestionnaires. L'évolution des règles et des pratiques en matière budgétaire et financière a entraîné un partage croissant de la responsabilité de l'ordonnateur et du comptable à tel point qu'il semblerait curieux de laisser subsister deux juridictions distinctes – la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes – CRC – pour juger les comptes des comptables, ainsi que la CBDF pour juger les ordonnateurs. Il est d'autant plus difficile de défendre le maintien de cette dualité de juridiction que l'activité de la CDBF est pour le moins modeste, avec une moyenne de trois arrêts par an – sept pour les années les plus fastes. Cela ne tient évidemment pas à la qualité des magistrats qui la composent, mais à la difficulté qu'éprouvent ces derniers à mettre en jeu la responsabilité des ordonnateurs. Sur cette question, le projet n'est pas en reste. L'article 3 propose en effet de rendre par principe justiciables de la Cour des comptes les ordonnateurs et gestionnaires élus, lesquels sont en l'état du droit justiciables par exception de la CDBF.

Des avancées sont toutefois encore possibles : ainsi, les membres du Gouvernement demeurent-ils hors du champ des justiciables de la Cour des comptes, situation qui mérite d'être débattue. Je vous proposerai donc un amendement d'appel visant à ouvrir le débat sur ce point. Par ailleurs, les conditions d'engagement de la responsabilité prévues par le texte étant trop restrictives, je vous proposerai de les assouplir afin de dépasser le stade des bonnes intentions.

Le projet ne prévoit pas, en revanche, de disposition relative au régime de responsabilité des comptables publics. Théoriquement sévère puisqu'il repose sur le principe d'une responsabilité automatique, il se révèle en fait largement virtuel, le comptable mis en débet bénéficiant quasi systématiquement d'une remise gracieuse de la part du ministre dont il relève – d'aucuns parlent d'« ardoise magique ». Je vous proposerai donc un système alternatif et réaliste, reposant sur un mécanisme d'amende.

Deuxième axe : l'organisation des nouvelles missions de la Cour des comptes. Issu de la révision du 23 juillet 2008, l'article 47-2 de la Constitution consacre les attributions non juridictionnelles de la Cour : assistance au Parlement et au Gouvernement – notamment dans l'évaluation des politiques publiques – et information des citoyens par la voie des rapports publics. Les articles 7 et 8 du texte visent ainsi à inscrire dans le code des juridictions financières ces nouvelles missions et à en organiser l'exécution. Il convient de signaler qu'une partie substantielle de ces articles a été reprise dans la proposition de loi tendant à renforcer les moyens du Parlement en matière de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques, déposée par le président de notre Assemblée et actuellement en deuxième lecture au Sénat.

L'article 47-2 de la Constitution dispose par ailleurs que « les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères ». En application de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001, les comptes de l'État sont désormais certifiés par la Cour. L'article 12 du présent projet prévoit que cette dernière coordonne une expérimentation de certification – ou, pour être plus précis, de « fiabilisation » – des comptes des collectivités territoriales les plus importantes. Je suis conscient que cette démarche suscite des interrogations, et nos collèges Charles de Courson, Pierre Bourguignon et Thierry Carcenac ont déposé des amendements qui nous permettront d'en débattre. Pour ma part, je crois qu'il est utile de procéder à l'expérimentation, mais je vous proposerai d'y associer davantage l'échelon local.

Troisième axe : la réorganisation institutionnelle des juridictions financières.

L'évolution des missions des juridictions financières, en raison notamment du nombre croissant d'enquêtes demandées par le Parlement, rend de plus en plus souvent nécessaire la collaboration entre la Cour des comptes et les CRC dès lors que le sujet étudié a des implications à la fois nationales et locales. Or, chaque chambre est indépendante et organise d'une manière autonome ses travaux, ce qui rend la conduite des enquêtes communes assez lourde et souvent lente. En outre, les travaux des juridictions financières manquent d'homogénéité.

Le Premier président Séguin avait donc proposé l'unité organique des juridictions financières et l'unité statutaire de leurs magistrats. Les CRC auraient perdu leur existence juridique au profit d'une Cour des comptes dont les compétences auraient été étendues à l'échelon local. Les 22 CRC métropolitaines auraient été quant à elles rassemblées en six à dix unités, permettant ainsi d'atteindre une masse critique nécessaire au bon déroulement de leurs missions. Par ailleurs, le corps des magistrats de CRC et celui de leurs homologues de la Cour des comptes auraient fusionné, favorisant ainsi la mobilité et une meilleure allocation des moyens humains.

Or, non seulement ce projet ambitieux a rencontré des oppositions sérieuses – notamment parmi les magistrats –, mais la méthode de réforme était difficilement acceptable par le Parlement puisque l'essentiel des dispositions aurait été mis en oeuvre par ordonnance.

Succédant à Philippe Séguin, M. Didier Migaud a pris le temps de la concertation. Auditionné par la commission des Lois le 7 juillet dernier, il a confirmé son adhésion totale aux objectifs poursuivis par son prédécesseur, tout en considérant pouvoir les atteindre par des moyens plus consensuels. Ajoutons que le Premier président a quitté notre Assemblée depuis trop peu de temps pour oublier la faible inclination des parlementaires pour les ordonnances ! Par conséquent, le projet est appelé à évoluer considérablement par voie d'amendements, d'une part afin de substituer à l'unité organique et statutaire des outils plus adaptés, d'autre part afin de laisser le Parlement exercer sa pleine compétence.

Saisie du texte au fond, la commission des Lois se réunira demain matin et son président proposera l'adoption d'une série d'amendements rédactionnels et de coordination rendant le texte juridiquement opérant. Nous sommes donc appelés aujourd'hui à voter des articles dont la rédaction sera substantiellement modifiée, surtout sur un plan formel. Par ailleurs, le président Warsmann et moi-même avons décidé de défendre des amendements identiques sur les sujets de fond nous paraissant les plus importants.

J'ouvre ici une parenthèse méthodologique : il eût été particulièrement utile de renvoyer ce texte à une commission spéciale tant les questions soulevées sont à la frontière des compétences des deux commissions saisies.

Sur le fond, je vous proposerai plusieurs séries d'amendements. Certains ont pour objet de fluidifier les relations entre la Cour et les CRC afin d'atteindre les objectifs jusqu'alors poursuivis par l'unité organique – il s'agirait, notamment, de donner au Premier président de la Cour un rôle de coordination des travaux des juridictions financières, ou encore de faire définir par ce dernier des normes professionnelles devant être respectées par les magistrats. Une deuxième série d'amendements concerne les moyens humains de la Cour, qu'il importe d'adapter aux nouvelles missions. Enfin, il vous sera proposé de ramener de 22 à 16, au maximum, le nombre des CRC métropolitaines afin de leur permettre d'atteindre la taille critique nécessaire au bon accomplissement de leur mission.

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