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Intervention de Jean-Paul Lecoq

Réunion du 15 septembre 2010 à 15h00
Réforme des collectivités territoriales — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

Or le texte de la commission n'a été disponible que vendredi, et la date limite de dépôt des amendements était fixée à samedi, soit le lendemain, le tout en plein examen de la réforme des retraites ! Ces délais ne permettent pas un travail parlementaire sérieux. Pour un texte de l'importance de cette réforme, qui suscite tant d'inquiétudes sur le terrain, dans nos territoires, auprès des élus et des citoyens, cet examen à la va-vite, immédiatement après la réforme des retraites, n'est pas acceptable.

Face aux inquiétudes et à l'hostilité des élus et des acteurs de la vie locale, le Sénat avait, à juste titre, profondément réécrit le texte et en avait retiré les dispositions les plus scélérates. Or, en méprisant le travail accompli, la majorité UMP de l'Assemblée nationale contribue elle aussi à dégrader les termes du débat et à faire passer en catimini un projet de loi amené à bouleverser – il faut le dire et le répéter – notre architecture territoriale.

Ce n'est pas un hasard si la droite est divisée à propos de ce texte. L'ancien Premier ministre M. Raffarin en a d'ailleurs tiré les conséquences, en jugeant qu'une réforme des collectivités « avec une position hostile du Sénat » serait « fragilisée ».

L'Assemblée nationale, au vu du texte réécrit par sa commission des lois, se dirige vers l'adoption d'un projet dont les orientations seront diamétralement contraires à celles défendues par le Sénat. Or – faut-il le rappeler ? – le Sénat est la voix des territoires. Aux termes de l'article 24 de la Constitution, il « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Que dire d'un projet de loi réorganisant complètement la démocratie locale et les collectivités alors que le Sénat, représentant constitutionnel de ces dernières, s'oppose à ses principales orientations ?

Qui soutient cette réforme, en dehors d'une poignée de députés ultralibéraux capables de voter les yeux fermés tout projet de loi estampillé sarkozyste et pourfendant les services publics ? En effet, si les sénateurs ne goûtent manifestement que très peu les orientations imposées par Dominique Perben et le groupe UMP de l'Assemblée nationale, il en est de même des élus locaux. Leur inquiétude est patente. Ils ne soutiennent pas ce texte qui les prive d'une partie de leur pouvoir, après que la suppression de la taxe professionnelle les a privés de l'autonomie fiscale.

Quant aux citoyens, toujours en demande de services publics, d'institutions capables de répondre à leurs attentes et de dynamiser leurs territoires, ils n'ont jamais été demandeurs de cette réforme. Pas plus que les associations locales, qui ne cessent de faire remonter, de partout, leur très vive inquiétude au sujet de la nouvelle répartition des compétences entre collectivités territoriales, ou encore au sujet de l'interdiction des financements croisés.

Enfin, les partisans de cette réforme ne pourront pas non plus compter sur le soutien des agents de la fonction publique territoriale. Ces derniers, qui ont permis dans bien des territoires de prendre le relais de l'État défaillant dans la lutte contre la précarité, ont bien compris qu'ils étaient la principale cible du texte. De fusions de services en mutualisations, de regroupements de communes en regroupements de départements et de régions, chacun a parfaitement saisi que l'enjeu numéro un du projet était l'application de la révision générale des politiques publiques aux collectivités territoriales.

Cela trahit l'axe idéologique de cette réforme, car ce texte est travaillé, de façon obsessionnelle, par le néolibéralisme. Je vais, devant vous, en faire la démonstration.

La création des fameux, et fumeux, conseillers territoriaux vise prétendument à réduire les dépenses de nos collectivités. En réalité, il s'agit surtout d'affaiblir l'action publique dans les territoires ; de remplacer les services publics par des opérateurs privés partout où c'est possible ; d'éloigner les élus des citoyens, pour que les revendications de ces derniers ne remontent plus, et que l'action des élus n'ait plus d'impact sur la vie des citoyens. De cette façon, ce sont les grandes entreprises qui prennent le relais de l'action locale, ces mêmes entreprises qui sont dirigées par des amis du pouvoir et dont les profits vont continuer à grossir grâce à ce texte.

Si toute la droite a voté pour la création des conseillers territoriaux, cette unité de façade n'a pas duré bien longtemps. Quel mode de scrutin retenir ? Quelle circonscription d'élection choisir ? Dès que ces questions sont posées, les désaccords sont légions, et le texte est modifié de fond en comble à chaque nouvel examen. C'est dire le manque de sérieux et l'impréparation de cette réforme. C'est dire aussi l'insuffisance de la consultation des élus et des citoyens.

Le conseiller territorial sera un élu cumulant deux fonctions. Ce sera moins d'élus pour la République, donc, naturellement, moins de proximité. Ce sera aussi plus de travail pour les élus, qui devront être aidés par des suppléants chargés de les représenter partout où ils ne pourront pas être, et ce sans indemnisation. Ce sera, en somme, la pagaille institutionnelle là où les institutions actuelles fonctionnent de façon globalement satisfaisante.

Bien entendu, dans sa volonté de réduire le pouvoir et les marges de manoeuvre budgétaires des élus locaux, la droite n'a pas profité de la création de ce nouveau mandat pour faire progresser la parité ou le pluralisme. Elle a choisi, tout au contraire, de les faire régresser. C'est peut-être la raison pour laquelle il y a si peu de femmes aujourd'hui dans notre hémicycle.

Ainsi, comme nous l'avons souligné à de nombreuses reprises lors de la première lecture, ce projet de loi marque une régression sans précédent dans l'application du principe constitutionnel de parité, qui veut que « la loi favorise l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Le choix d'un mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours aura pour résultat, selon l'Observatoire de la parité auprès du Premier ministre, que les hémicycles territoriaux ne compteront plus que 17 % de femmes ! Faut-il rappeler qu'elles constituent aujourd'hui, grâce au mode de scrutin, la moitié des effectifs des conseils régionaux ? Sur ce terrain comme sur les autres, le recul que vous vous apprêtez à faire subir à la démocratie locale est sans précédent.

Or ce projet de loi marque aussi une régression pour le pluralisme dans notre démocratie. Non seulement le mode de scrutin uninominal favorise le bipartisme étroit tel qu'il existe dans les pays anglo-saxons, mais, pire encore, avec l'article 1er B et le relèvement des seuils de participation au second tour, ce texte procède à un affaiblissement mécanique et organisé du pluralisme. Ce relèvement des seuils de qualification au second tour de 10 % à 12,5 % ne correspond d'ailleurs qu'à des calculs électoralistes, puisqu'il s'agit pour l'UMP de se débarrasser de la concurrence gênante du Front national.

Je souhaite à présent aborder la création des métropoles et des pôles métropolitains, car elle est, elle aussi, profondément imprégnée de néolibéralisme.

Que sont en effet les métropoles si ce n'est des agglomérations déjà développées, des pôles de compétitivité déjà riches, où l'activité économique est déjà concentrée ? En dotant ces nouvelles formes d'EPCI de bonus fiscaux et d'incitations financières, le texte de loi rend l'aménagement du territoire particulièrement inégalitaire, puisque l'argent va à l'argent.

Ce projet de loi ne se préoccupe nullement des territoires relégués, pauvres, enclavés, terreau des discriminations. Il ne dit rien des territoires ruraux, en voie de désertification et d'abandon par l'État. En revanche, dès qu'il s'agit de créer de vastes zones urbaines de concentration des investissements et des capitaux, là le Gouvernement sait innover.

Avec cette logique de polarisation économique, déjà à l'oeuvre dans le chantier du Grand Paris, c'est bien le néolibéralisme le plus pur qui s'exprime. Il s'agit, en quelque sorte, de la « théorie du ruissellement », selon laquelle la création de pôles à forte concentration capitalistique finira par rejaillir positivement sur les zones pauvres qui en sont la périphérie. Nous pensons exactement le contraire : c'est seulement en concentrant les efforts sur les territoires relégués qu'un développement égalitaire du territoire pourra enfin avoir lieu.

C'est du reste la même « ragougnasse » néolibérale qui prévaut à l'article 8 du projet de loi, portant création des communes nouvelles, Il s'agit, une fois de plus, de polariser. Les petites communes, les communes rurales, celles qui représentent nos fameuses 36 000 communes, ce réseau unique qui permet à la République de s'enraciner dans chaque parcelle du territoire, seraient trop nombreuses. Là où nous, communistes, voyons un atout considérable, la droite et M. le rapporteur perçoivent un fardeau, baptisé « problème de l'émiettement communal ». Or, chers collègues, un maillage communal intégral du territoire, c'est ce qui permet la constitution d'une terre commune ; c'est ce qui permet que, dans nos territoires, l'humain passe avant le reste ; c'est aussi et surtout ce qui permet la proximité.

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