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Intervention de Jacqueline Fraysse

Réunion du 14 septembre 2010 à 21h30
Réforme des retraites — Article 26

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacqueline Fraysse :

La façon dont vous abordez la pénibilité du travail pour mieux refuser sa prise en compte réelle constitue l'une des injustices les plus flagrantes de votre projet de loi.

Monsieur le ministre, vous et vos soldats de l'UMP, notamment ceux issus du corps médical – je pense à M. Debré ou à M. Leonetti – avez beau nous expliquer que l'espérance de vie est liée à des facteurs individuels comme le tabac, le surpoids, le jogging ou les facteurs génétiques, il n'en reste pas moins que, statistiquement, le pourcentage de personnes ayant la malchance d'être porteuses de facteurs génétiques péjoratifs est le même dans toutes les catégories sociales.

Or l'espérance de vie des ouvriers est de sept ans inférieure à celle des cadres : c'est un chiffre indiscutable, un fait incontournable et têtu. C'est la preuve qu'il ne s'agit pas là d'un problème individuel, mais d'un problème collectif, lié aux conditions de travail et de vie.

Ainsi, un quart des ouvriers mourront avant d'avoir atteint l'âge de soixante-cinq ans ; ainsi, ils auront de fait contribué à financer la retraite des cadres supérieurs dont l'espérance de vie est plus élevée.

Votre dispositif initial prévoyait la possibilité de partir à la retraite dès soixante ans pour les salariés en mesure de prouver un taux d'incapacité supérieur à 20 %. Autrement dit, vous acceptiez la prise en compte d'un handicap individuel : c'est tout de même la moindre des choses ; mais cette mesure ne relève pas du droit à la retraite.

Face aux vives protestations et au caractère inadmissible de cette démarche, vous avez déposé un amendement prévoyant, sous certaines conditions, la possibilité de faire valoir ses droits à la retraite à partir d'un taux d'incapacité de 10 %.

Cette minuscule avancée, c'est en réalité de la poudre aux yeux : vous en restez à une approche individuelle, où les salariés devront défendre leurs droits devant une commission pluridisciplinaire dont on ne connaît d'ailleurs pas la composition.

Mais surtout, vous continuez à refuser de prendre en compte la pénibilité évidente de certains métiers et postes de travail.

Vous avez décidé, et nous le regrettons, de répondre favorablement aux injonctions du MEDEF qui a rejeté l'accord sur la pénibilité du travail identifiant plusieurs facteurs dont il est scientifiquement démontré qu'ils raccourcissent la durée de vie. Il s'agit des contraintes physiques et psychiques marquées : port de lourdes charges, travail posté, gestes répétitifs ; environnement agressif avec exposition aux produits toxiques ; certains rythmes de travail, notamment les horaires décalés et le travail de nuit.

Il y a tout de même des évidences ! Avez-vous vraiment loin d'un certificat médical pour vous convaincre qu'un homme travaillant dans le bâtiment, qui a passé une bonne partie de sa vie sur les chantiers, par tous les temps, n'est plus en mesure de poursuivre une telle activité à l'âge de soixante ans – et encore, s'il a la chance d'avoir échappé jusque-là à l'accident grave ou mortel ? Car je vous rappelle qu'en 2008, près de 130 000 ouvriers du bâtiment ont été victimes d'accidents du travail, et que près de 9 000 sont restés handicapés ; 155 sont morts.

En réalité, cette question de la pénibilité du travail est le corollaire de la remise en cause de la médecine du travail, et plus généralement du refus de placer les employeurs devant leurs responsabilités. En renforçant les liens de dépendance des médecins du travail avec les employeurs, la réforme Darcos, que vous avez reprise à votre compte, va affaiblir encore plus la prévention dans les entreprises, qui était déjà très insuffisante.

Non, décidément, monsieur le ministre, quoi que vous en disiez, ce texte ne prend pas en compte la pénibilité du travail. Pire, il porte atteinte à l'indépendance des médecins du travail et constitue un important recul pour le monde du travail dans son ensemble. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

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