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Intervention de Michèle Alliot-Marie

Réunion du 12 juillet 2010 à 18h00
Adaptation du droit pénal à l'institution de la cour pénale internationale — Discussion d'un projet de loi adopté par le sénat

Michèle Alliot-Marie, ministre d'état, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés :

Monsieur le président, mesdames, messieurs, la France a signé la convention de Rome portant statut de la Cour pénale internationale le 18 juillet 1998. Le projet de loi soumis à votre examen adapte notre droit pénal à l'institution de la juridiction internationale.

Ce texte a été adopté à l'unanimité par le Sénat le 10 juin 2008. Il a fait l'objet d'un travail approfondi de la part de votre commission des lois et tout particulièrement de son rapporteur, que je tiens à saluer, et d'un examen attentif de la commission des affaires étrangères dont la rapporteure pour avis, Mme Ameline, a fait un certain nombre de propositions.

Le texte qui vous est présenté répond, dans le respect des principes et des équilibres attachés au fonctionnement de la justice, aux objectifs que partagent à la fois la Cour pénale internationale et la justice française : poursuivre, juger, sanctionner les responsables de génocides, de crimes contre l'humanité ou de crimes de guerre.

La justice française et la Cour pénale internationale protègent les mêmes droits : droit pour les victimes de voir leurs bourreaux poursuivis et condamnés, droit pour des sociétés meurtries de se voir offrir une possibilité de réconciliation, droit pour l'humanité tout entière de progresser et de demeurer vigilante en refusant l'oubli. D'où la nécessité d'instaurer une complémentarité effective entre les juridictions internes et la Cour pénale internationale, de permettre l'articulation entre les juridictions et de favoriser une application équilibrée du droit international humanitaire.

Le projet de loi articule l'intervention de la justice française et celle de la Cour pénale internationale. Pour cela, il complète et précise notre législation en matière de génocide, de crimes contre l'humanité, de crimes et délits de guerre.

En matière de génocide, les responsabilités sont élargies. Outre les auteurs de génocide, les personnes incitant publiquement à en commettre un pourront désormais être expressément poursuivies et sanctionnées. L'histoire récente nous en a malheureusement montré la nécessité.

La notion de crime contre l'humanité est précisée. Certains comportements sont désormais expressément qualifiés de crimes contre l'humanité alors qu'ils ne l'étaient pas auparavant. Il s'agit d'acte commis « en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique », conformément aux stipulations de la convention de Rome.

Contre les crimes et délits de guerre, notre arsenal législatif se trouve également renforcé.

Le texte intègre dans notre droit les incriminations prévues par la convention de Rome et va même plus loin. La convention de Rome réserve ces incriminations aux seules personnes physiques ; le projet de loi prévoit que la perpétration de crimes et délits de guerre peut aussi être le fait de personnes morales et entraîner la sanction de ces dernières en tant que telles.

Les délais de prescription de l'action publique sont allongés : la prescription est portée à trente ans pour les crimes et à vingt ans pour les délits. Les droits des victimes seront ainsi mieux reconnus.

Certains voudraient que les crimes et délits de guerres soient imprescriptibles, comme le sont aujourd'hui les crimes de génocide et les crimes contre l'humanité. Le régime juridique des génocides et crimes contre l'humanité correspond à la singularité de ces crimes : on a voulu montrer à quel point nous les réprouvons. Veillons à préserver la hiérarchie des peines et la cohérence des sanctions, tout en évitant la banalisation du crime contre l'humanité. C'est un problème que nous retrouvons souvent : il y a une tendance à vouloir aggraver les peines, ce qui entraîne une confusion.

Par ailleurs, la complémentarité des juridictions impose le respect de certains équilibres.

La mise en oeuvre de nos engagements ne saurait conduire à limiter l'efficacité du traitement par la justice des crimes visés par la convention de Rome. Nul n'y a intérêt, à part les criminels eux-mêmes. À cet égard, les amendements du Sénat ont conforté les équilibres du texte, et en premier lieu dans les références juridiques.

Nos catégories juridiques nous permettent déjà de lutter contre un grand nombre de faits visés par la convention ; mais pour compléter notre droit, le recours à des notions issues d'autres traditions juridiques peut être éclairant. La notion de « plan concerté » aide à la définition du génocide. Apparue dans le statut du tribunal de Nuremberg, elle appartient à une tradition déjà ancienne de droit pénal international. J'ai beaucoup écouté les parlementaires et des représentants d'ONG. Certains considèrent qu'elle a pour effet de restreindre la portée du texte. C'est inexact. En évitant l'incrimination d'actes isolés, elle permet de cerner la réalité des génocides sans banaliser cette notion. Nous devons veiller à ce qu'il y ait une hiérarchie des peines parce que la confusion entraîne la banalisation. Pour la définition, c'est la même chose.

Pour autant, il faut éviter que le recours à des notions issues de la common law soit source de redondances ou de confusions. C'est le cas de la notion d'esclavage sexuel.

Les comportements visant à réduire une personne au rang d'esclaves sexuels sont naturellement insupportables et doivent être poursuivis et condamnés fermement. Nous devons nous donner tous les moyens de lutter contre ce phénomène. Cela étant, les incriminations de viol, agressions sexuelles, proxénétisme et traite des êtres humains existent déjà dans le droit français et permettent de punir ces faits. Introduire la notion d'esclavage sexuel serait inutile, voire contre-productif.

Équilibre également dans la mise en oeuvre de la compétence extraterritoriale. Déterminée à poursuivre les auteurs de génocides, criminels contre l'humanité ou criminels de guerre, la France veut travailler dans une étroite complémentarité entre la justice interne et la Cour pénale internationale. Cela suppose que les demandes d'entraide, de remises, d'extraditions soient satisfaites. Elles le seront.

Pour faciliter la coopération entre justice nationale et Cour pénale, le principe de compétence extraterritoriale sera désormais admis en droit français grâce au projet de loi soumis à votre examen : c'est une grande avancée. Il n'était pas requis par le statut de Rome, mais il est apparu indispensable pour éviter toute impunité aux génocides et criminels de guerre. Le Gouvernement a été sensible aux arguments des parlementaires et des organisations non gouvernementales.

Cela dit, il est également nécessaire d'empêcher l'instrumentalisation de la justice pénale à des fins politiques ou idéologiques. Ouvrir des procédures pour lesquelles une enquête serait impossible à réaliser en pratique, c'est dévaloriser la justice, ternir son image, et il faut y faire très attention. On ne peut pas ouvrir une procédure pour un symbole. Ce que l'on attend de la justice, c'est qu'elle soit efficace, et de la justice pénale qu'elle soit efficace dans l'enquête, la poursuite et la condamnation.

Enfin, la complémentarité entre la juridiction interne et la Cour pénale internationale nous invite à réduire le risque de concurrence, pour éviter toute neutralisation de l'action ou de l'image qui en résulte. Le principe de la compétence extraterritoriale sera donc admis en droit français mais, pour prendre en compte les risques que j'évoquais, le Sénat a prévu quatre réserves : les personnes poursuivies doivent avoir leur résidence habituelle en France ; les poursuites sont subordonnées à un déclinatoire de compétences expresses de la Cour pénale internationale, ce qui paraît logique ;

les faits incriminés doivent en outre être réprimés dans l'État où ils ont été commis ; enfin, les poursuites doivent être exercées à la requête exclusive du ministère public, afin d'éviter une multiplication de procédures symboliques qui auraient pour seul résultat d'instrumentaliser la justice et non de lui permettre d'accomplir sa mission.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, le contenu du texte qui vous est présenté aujourd'hui, tel qu'il ressort à la fois du vote du Sénat et des travaux de votre commission et de vos rapporteurs.

La convention de Rome a été signée en 1998 ; je pense qu'il est temps d'apporter les modifications nécessaires à notre droit interne pour qu'elle soit totalement mise en oeuvre. Ce projet de loi marque une avancée importante par rapport au droit actuel. Nous n'avons pas le droit de manquer, par excès de zèle ou par défaut de lucidité, ce rendez-vous de l'histoire. Il est important de concilier à la fois la hauteur des ambitions, que nous partageons tous, et le réalisme des moyens, que nous ne saurions ignorer. Cette cause dépasse les clivages partisans. Je pense qu'elle correspond aussi à la vocation et à l'image de la France dans le monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

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