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Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du 7 juillet 2010 à 15h00
Interdiction de la dissimulation du visage dans l'espace public — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, c'est d'une loi symbolique et, d'une certaine façon, médiatique, par son sujet et surtout par son écho que nous débattons actuellement. Le symbole dont il est question, on peut le résumer comme la volonté d'étendre, sans y accepter aucune dérogation, une règle générale communément acceptée et quasi unanimement appliquée dans notre pays, selon laquelle on doit voir et reconnaître le visage de l'autre – de tous les autres – dans l'espace public, et ne pas accepter que des femmes, même en nombre infime, par choix extérieur, intériorisé ou contraint, en fassent différemment.

L'histoire montre que le droit n'est pas seulement un ensemble de normes, mais surtout un ensemble de solutions qui ne se séparent jamais des cas qui leur ont donné naissance. L'invention de chacune de ces solutions s'est faite par spéculation, c'est-à-dire au moyen d'une opération intellectuelle qui accepte le doute et la prudence et vise à ce qu'une règle générale modifie vraiment une réalité dans le sens de la justice et de la dignité des personnes. Malheureusement, notre droit est peu à peu devenu un système formel éloigné de la réalité – et votre projet n'échappe pas à ce mouvement, madame la garde des sceaux. Les débats montreront si le Gouvernement tient compte de notre volonté de revenir à la réalité.

Trois sujets suscitent des questions pratiques qui ne trouvent pas, pour le moment, de réponse satisfaisante. La première interrogation a trait au périmètre d'application de la loi. Les notions d'espace public et de lieux ouverts au public sont plus délicates à déterminer qu'il n'y paraît. De façon générale, on peut définir l'espace public comme étant celui où une personne n'est pas protégée contre le regard d'autrui. Mais dans ce cas, tous les lieux privés ouverts au public, quelle qu'en soit la nature, entrent-ils dans cette définition ? L'espace public englobe-t-il l'espace de la communication audiovisuelle ? Pourra-t-on interdire le port du voile aux personnes participant à une émission politique ? Ces questions et d'autres ne manqueront pas de se poser.

La mesure d'interdiction aurait dû être définie de façon stricte, la limitation circonstanciée et, en quelque sorte, proportionnée à des objectifs légitimes d'ordre public et de sécurité. Vous posez, il est vrai, une interdiction générale pour lutter contre des atteintes à un ordre que vous définissez comme « sociétal », mais votre ordre est à géométrie partielle, comme je le montrerai plus loin.

Le deuxième sujet d'interrogation est la nature de la sanction. Dans son étude effectuée à la demande du Gouvernement, le Conseil d'État estime que l'amende n'est pas, à titre principal, la réponse adaptée à la question du port du voile intégral. Il dit que si le montant de l'amende est trop élevé, elle ne sera jamais infligée, et que s'il est trop faible, elle pèsera néanmoins lourdement sur les personnes les plus modestes, sans pour autant dissuader les autres.

Surtout, l'amende ne présente qu'un caractère dissuasif, et non pédagogique. L'étude du Conseil d'État écarte aussi la piste du stage de citoyenneté, qui ne permet pas d'appréhender le phénomène dans toute sa complexité. En revanche, elle suggère la possibilité d'une injonction de médiation sociale, jugée plus adaptée à la diversité des situations, notamment au regard des motifs de la dissimulation du visage. On ne peut traiter de la même façon le port du voile intégral et le port de la cagoule. Pourquoi le projet de loi n'a-t-il pas retenu cette possibilité, qui aurait permis d'assortir la sanction d'un accompagnement de l'individu, en vue de l'amener à réfléchir sur son comportement, que la loi stigmatise désormais ?

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