Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Réunion du 7 juillet 2010 à 15h00
Interdiction de la dissimulation du visage dans l'espace public — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

Je veux d'abord saluer l'intervention de notre collègue André Gerin, qui a présidé une mission d'information de notre Assemblée aux côtés de notre collègue Éric Raoult. Je partage l'essentiel de ses réflexions, et je tâcherai donc de ne pas y revenir.

Ce débat est un peu original, d'abord dans son processus. Il n'est pas commun que l'Assemblée puisse examiner un problème plusieurs mois d'affilée, en discuter, en débattre, parfois avec passion, parfois avec tension. C'est bien le rôle de l'Assemblée nationale, et elle le tient trop peu souvent, que de nourrir un débat dans la société.

Ce débat s'est progressivement dépassionné dans notre pays, et a permis à nos concitoyens de mieux réfléchir aux enjeux, alors qu'ils avaient tendance à réagir à telle ou telle attitude qui pouvait choquer. Madame la garde des sceaux, vous avez rappelé en commission que l'absence de loi a créé des affrontements violents entre des personnes. Or, c'est bien le rôle du Parlement de réfléchir plutôt que réagir, évitant ainsi le risque de stigmatisation de telle ou telle communauté. J'ajoute que les positions individuelles de chacune et de chacun d'entre nous, de chacun des mouvements politiques, y compris des groupes d'opposition, de même que les positions des différentes communautés, ont elles aussi évolué. L'originalité de ce texte est au moins de montrer que le débat parlementaire peut avoir un intérêt, même quand il ne se tient pas directement dans cet hémicycle.

Nous avons eu raison de ne pas répondre sur le terrain religieux et de la laïcité à un problème qui ne concerne pas directement l'islam. Le problème du voile intégral est un problème inexistant dans un certain nombre de pays musulmans, et il n'est apparu que par la volonté politique de groupes politiques en lutte contre des régimes pas ou peu démocratiques. C'est bien l'affirmation politique d'une conception de la personne humaine, de la société, et des relations entre ses membres dont il est question lorsque nous parlons du voile intégral.

Madame la garde des sceaux, vous avez rappelé dans la presse que, dans certains pays musulmans, le voile intégral était interdit, preuve s'il en était besoin que la question n'est pas religieuse, mais politique. Sur cette question politique, vous nous proposez une réponse à la hauteur des valeurs fondatrices du vivre ensemble, de la dignité de la personne humaine, et je pense que vous avez ainsi évité le piège insidieux qui était tendu à la République au début de ce débat.

Il est normal à nos yeux que l'interdiction soit générale sur l'espace de vie publique, s'agissant de dignité humaine : chacun, chez soi, fait ses choix librement, mais dans l'espace public chacun doit afficher le même respect de ce vivre ensemble et de la dignité des personnes. Je ne vois pas d'autre voie praticable, car il ne me paraît pas réaliste de commencer à tronçonner l'espace public où nous nous rencontrons, où nous nous croisons, où nous nous côtoyons, où nous construisons notre société tous ensemble.

Madame la garde des sceaux, vous avez respecté un principe de proportionnalité, et je pense qu'à travers ce texte de loi vous posez surtout un principe d'éducation et d'ouverture vers notre société. Il y aura soit amende, soit stage, soit amende et stage. En tout état de cause, il sera possible d'avoir une réponse proportionnée à chaque attitude. Il ne s'agit pas d'une volonté de sanctionner ou d'exclure, mais au contraire d'une volonté de montrer la force du projet républicain, la force des valeurs qui nous rassemblent autour de la République.

Sur les avis du Conseil d'État, que j'avais trop peu entendu sur ce sujet auparavant, vous avez accepté en commission un amendement de l'opposition renforçant les peines contre ceux qui contraignent des personnes à s'enfermer, à s'exclure de la société, niant leur dignité humaine.

Condamnation de ceux qui contraignent, ouverture et progressivité pour ceux qui transgresseront cette loi, laquelle sera elle-même mise en place progressivement, interdiction générale dans l'espace public permettant d'améliorer le vivre ensemble : tout cela va dans le bon sens.

Je souhaite souligner très rapidement quelques points. Tout d'abord, la difficulté d'application dans certains quartiers engendrera un besoin de formation des policiers et des gendarmes, afin qu'ils sachent agir avec la fermeté nécessaire à l'application de la loi républicaine, ainsi qu'avec l'intelligence des situations qui permet de rendre la loi opérationnelle, comme s'en inquiétait une de nos collègues.

Il y aura ensuite besoin d'instructions très claires aux procureurs afin de privilégier les voies les plus pédagogiques, et les débats en commission ont montré combien le stage de citoyenneté, l'avertissement et l'ouverture devaient être préférés à l'amende, en tout cas dans un premier temps. Si, en revanche, la personne persiste à refuser notre vivre-ensemble, la sanction peut être la bienvenue.

Il faudra également une circulaire aux agents des services publics de notre pays, qui vont voir arriver des personnes contrevenant à la loi, et qui doivent savoir quelle attitude adopter. Ils ne sont pas policiers, mais ils n'ont pas pour autant à baisser la tête et à ignorer ce qui se passe devant eux.

Le vote de cette loi par une large majorité de cette Assemblée et, au-delà des votes qui s'exprimeront sur les boîtiers, par une large majorité des esprits et des intelligences de cette Assemblée, même si les jeux politiques peuvent conduire à d'autres attitudes, sera un geste fort affirmant les valeurs républicaines. Ce n'est pas un geste de rejet, c'est un geste d'ouverture, qui appelle ses destinataires à nous rejoindre dans le vivre-ensemble. Il y en a eu d'autres dans l'histoire, et les messages lancés depuis cet hémicycle parviennent souvent à faire progresser la vie commune.

Je crois que ce sera le cas de cette loi, dont l'évolution depuis les débats à l'Assemblée nationale, ou au sein de tel ou tel groupe politique, jusqu'au projet déposé sur le bureau de l'Assemblée doit beaucoup à votre patte, madame la garde des sceaux. Malgré les différences qui nous séparent parfois, je vous en remercie. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion