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Intervention de Colette Le Moal

Réunion du 6 juillet 2010 à 21h45
Interdiction de la dissimulation du visage dans l'espace public — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaColette Le Moal :

« Nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. » Près d'un an après que le Président de la République eut estimé devant le Parlement réuni en Congrès que « la burqa ne [serait] pas la bienvenue en France », près d'un an après la création au sein de notre assemblée d'une mission d'information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national, c'est en nous apprêtant, mes chers collègues, à inscrire cette courte phrase dans les lois de la République que nous abordons ce soir l'ultime étape d'un débat en tous points exemplaire, un débat où le Parlement aura été en mesure de jouer tout son rôle, un débat, aussi, qui aura laissé toute sa place au consensus républicain.

Y aurait-il eu dans notre assemblée, voici un an, une majorité pour adopter ce texte ? Une pratique au fond marginale, limitée sur notre territoire à quelque 1 900 femmes, et par ailleurs difficile à appréhender dans sa globalité, méritait-elle ou justifiait-elle vraiment une réponse du législateur ? N'était-ce pas là stigmatiser inutilement, dans une société ébranlée par la crise économique, un grand nombre de nos concitoyens ? Nous aurions été nombreux, alors, sur tous les bancs de cette assemblée, à exprimer nos doutes et nos réserves.

Pour autant, et en dépit de certaines apparences, ce débat ne fut pas une simple répétition de celui qui avait, voici quelques années, accompagné l'adoption de la loi sur le port de signes religieux à l'école. Ce n'était pas un débat sur la laïcité, et l'intitulé du projet dont nous discutons en atteste.

Au fil des travaux conduits par nos collègues André Gerin et Éric Raoult, ce sont d'autres questions qui sont apparues : celle, d'abord, de la place et du rôle de la femme dans notre pays ; celle, ensuite, de ses droits dans la République, mais également celle, tout aussi cruciale, de l'idéal de société qui sous-tend le projet républicain lui-même.

Grâce au débat, nous avons été nombreux à voir évoluer nos positions respectives. Voici quelques semaines, nous avons vu majorité et opposition s'accorder sur le diagnostic comme sur le sens de la réponse qu'il appartenait à la République d'adresser au développement de la pratique du port du voile intégral.

En adoptant à l'unanimité la résolution sur l'attachement au respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales qui y portent atteinte, nous avons choisi, ensemble, de proclamer cet idéal républicain, ces valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité qui nous rassemblent et s'opposent à ce que des femmes puissent, sur notre territoire, porter ou subir la loi du voile intégral.

Au-delà des opinions de chacun, ce sont les termes du débat eux-mêmes qui ont évolué ; il ne s'agit plus désormais de s'interroger sur l'opportunité d'une mesure d'interdiction mais bien plus sur ses modalités pratiques – interdiction générale ou non – ainsi que sur la viabilité juridique d'un tel instrument devant le Conseil constitutionnel ou devant la Cour européenne des droits de l'homme.

Dans son avis rendu public au mois de mars dernier, le Conseil d'État estimait ainsi qu'une interdiction du port du voile intégral ne pourrait trouver de fondement juridique incontestable. En d'autres termes, le fait de contraindre une femme à porter le voile intégral pouvait certes être élevé en infraction par le législateur, mais rien ne pouvait, au regard notamment des droits et libertés garantis par la Constitution, empêcher une femme de le porter de son plein gré.

Dès lors, mes chers collègues, c'est une question bien plus fondamentale encore qui nous est posée ce soir et qui sera sans doute, tôt ou tard, posée au Conseil constitutionnel. Offrir à chacun la possibilité de reconnaître celui ou celle avec qui il échange, discute ou entre en contact était jusqu'alors une convenance sociale tacitement admise par tous – en d'autres termes, un contrat social tacite qu'il n'était pas nécessaire de formaliser dans un texte. Ce contrat social se trouvant remis en cause, la puissance publique peut-elle encore défendre et garantir, dans une société moderne, ce seuil minimal de valeurs partagées en deçà duquel des individus se trouvant sur un même territoire cessent de former une société ?

Tous ici, mes chers collègues, nous sommes attachés à ces principes intangibles qui veulent que l'État ne dispose pas sur ses citoyens d'un pouvoir sans limites ; tous ici nous sommes attachés à la garantie, dans un État de droit, des libertés individuelles. Mais nous ne saurions, à peine de renoncer à tout projet de société, à peine de renoncer à tout idéal de fraternité, les confondre avec un quelconque droit à la souveraineté individuelle.

C'est pourquoi, mes chers collègues, nous estimons que le législateur est bel et bien légitime pour garantir et protéger ces règles minimales qui fondent et structurent notre vivre-ensemble républicain ; et c'est à ce titre que les députés du Nouveau Centre apporteront leur soutien à ce projet de loi.

Il ne s'agit pas de déclarer ce soir brusquement hors-la-loi ces quelque 1 900 femmes, de les bannir définitivement de l'espace public pour les condamner à une seconde mort sociale. Ce projet prévoit une période transitoire de médiation et d'explication : plus qu'une simple mesure d'interdiction, il constitue bien une réponse globale au problème du voile intégral, une réponse équilibrée qui prend en compte les besoins de sanction, de prévention et de pédagogie.

Ainsi, si la peine sanctionnant le fait d'imposer, par menace, violence, contrainte, abus d'autorité, à une ou plusieurs personnes, de dissimuler leur visage se veut sévère, et par là dissuasive – un an d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende, et le double en cas de victime mineure –, la peine sanctionnant le fait de porter de son propre chef une tenue destinée à dissimuler son visage ne s'élève, pour sa part, qu'à 150 euros, un stage de citoyenneté pouvant être prescrit sur décision du juge, en complément voire en substitution de cette peine principale. Autrement dit, c'est le dialogue et la pédagogie qui primeront dans ce cas précis sur la sanction.

Mes chers collègues, cette loi en sera-t-elle pour autant applicable ? Ne risque-t-elle pas plutôt de révéler au grand jour de nouvelles zones de non-droit, celles où l'on ne se hasardera pas à faire appliquer cette interdiction ?

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