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Intervention de Didier Mathus

Réunion du 5 juillet 2010 à 15h00
Action extérieure de l'État — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Mathus :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d'emblée à saluer le travail accompli par la mission Rochebloine et par le rapporteur. Ces deux approches ont permis de préciser un certain nombre de points et d'améliorer ce texte.

Lorsque l'on parle de l'action extérieure de la France, on est très vite saisi par la fièvre sémantique, et cela n'a pas manqué aujourd'hui encore. « Diplomatie d'influence », « besoin de France » : nous nous grisons assez vite de grands mots, et nos vieux travers prennent vite le dessus : une certaine arrogance parfois, le goût des tirades un peu pompeuses et l'envie d'entendre claquer le drapeau au vent.

Essayons de rester sobres mais lucides. Incontestablement, la plupart des élites des pays développés témoignent d'un intérêt, d'une sympathie, d'un respect pour la culture et la langue françaises, et pour ce qu'elles ont incarné dans l'histoire. Au fil des voyages, on est d'ailleurs parfois étonné de cette réelle reconnaissance, même s'il est clair qu'elle n'irrigue malheureusement plus les nouvelles générations.

Nous avons aussi le sentiment que nous exploitons peu ce potentiel et que nous laissons tarir cette exceptionnelle richesse sans prendre les mesures nécessaires.

On connaît les chiffres : 8 700 agents au total, plus de 300 établissements français à l'étranger, dont 160 SCAC, plus d'un millier d'alliances françaises, avec des statuts divers. Force est de constater que cet important déploiement, dont les moyens se raréfient d'année en année, donne le sentiment de n'avoir pas de prise sur la grande bataille de la domination intellectuelle et culturelle, qui est l'une des clés du monde d'aujourd'hui.

Ce dispositif semble passer à côté de l'essentiel, campé dans des postures et des schémas d'un autre temps, alors que la culture anglo-saxonne impose sa loi au monde par le biais de la globalisation des industries culturelles.

De tous les diagnostics posés au fil des multiples rapports et ouvrages divers, chacun a bien compris, et c'est au fond l'un des postulats de ce projet de loi, même s'il est inabouti, la nécessité de découpler la diplomatie et l'action culturelle. La sujétion du travail culturel aux intérêts de la diplomatie et de nos postes à l'étranger ne peut être qu'un handicap.

La création de l'agence est de ce point de vue un progrès, petit progrès mais progrès tout de même. Cela dit, quelle déception ! Après les annonces tonitruantes de 2009, c'est la montagne qui accouche d'une souris. En lieu et place d'un grand opérateur autonome pilotant l'ensemble des stratégies culturelles, nous voilà avec un simple substitut de CulturesFrance, sans autorité réelle sur le réseau à l'étranger.

Surtout, quel crédit accorder à une initiative qui s'inscrit dans le cadre d'une baisse constante des crédits d'intervention depuis huit ans ? Chacun connaît les chiffres de ce désengagement, et chacun en connaît les causes. L'action culturelle a été utilisée quasi mécaniquement comme variable d'ajustement pour permettre à notre diplomatie d'atteindre les objectifs de réduction des dépenses qui lui étaient fixés par la RGPP, et c'est bien compréhensible. Il n'y a pas beaucoup de crédits variables dans les postes et ceux-là en sont.

Dans ce contexte, il sera bien difficile de redonner confiance à l'ensemble des personnels, et le crédit de l'agence sera bien mince sur la scène internationale.

L'autonomisation de notre réseau culturel à l'égard du réseau diplomatique aurait été une condition nécessaire pour renverser la tendance, pour remettre notre stratégie culturelle au coeur des enjeux d'aujourd'hui.

Les ambassadeurs ne sont pas nécessairement en cause, même s'ils paraissent bien souvent prisonniers d'une approche des questions culturelles très typée sociologiquement, les intérêts politiques et nationaux qu'ils ont la charge de défendre ne les placent tout simplement pas dans la meilleure situation pour dynamiser la diffusion des références culturelles les plus pertinentes dans le monde d'aujourd'hui. Le goût de nos élites diplomatiques pour les beaux-arts, pour respectable qu'il soit, n'est plus tout à fait de saison à l'heure où les industries culturelles sont devenues une véritable machine de guerre pour assurer la domination anglo-saxonne sur les esprits et les comportements.

Quelques observations sur d'autres aspects de ce texte.

Tout d'abord, je regrette vivement que l'on ne mette pas l'accent sur ce qui paraît à l'usage l'une des principales faiblesses de notre dispositif, la gestion des carrières. Alors que les agents sont parfois très efficaces dans leur mission et en tout cas souvent investis de façon tout à fait satisfaisante, les contrats étant de trois ans dans le meilleur des cas, il n'y a pas de continuité dans l'action entreprise et l'on sent une sorte de découragement général. Nous aurions pu faire des efforts dans ce domaine. Ce sera sûrement dans les années qui viennent l'une des conditions centrales pour redynamiser notre action à l'étranger. Tant que nous n'aurons pas réglé la question du statut de nos agents dans le réseau culturel, en leur assurant de véritables carrières, nous ne pourrons pas progresser. Il est frappant de voir, par exemple, que les universités françaises forment des centaines et des centaines de cadres de l'action culturelle et que ces jeunes filles et ces jeunes gens se retrouvent bien souvent au chômage alors que l'on pourrait exploiter plus intelligemment leurs compétences.

Il y a bien sûr le coût de toutes ces mesures : on n'a pas l'argent nécessaire dans cette période de RGPP, de restriction, de recherche d'argent public un peu partout. Je rappelle que la gratuité des frais de scolarité à l'étranger a un coût considérable et que, pour à peu près tous ceux qui ont étudié la question, François Rochebloine peut en témoigner, ce n'est pas une bonne mesure. Elle ne profite à personne, sinon à quelques grandes entreprises, qui n'avaient d'ailleurs pas demandé ce petit pourboire, si j'ose dire. Il y a là une ressource possible sur laquelle nous pourrions travailler, cela permettrait d'aiguiller quelques flux financiers vers la dynamisation du réseau culturel.

Sur l'enseignement supérieur, nous approuvons le fait que, sous l'impulsion du rapporteur, suivi par le Gouvernement, le texte ait scindé les deux missions, l'enseignement supérieur et l'expertise. Cela va dans le bon sens. L'attelage proposé était disparate et un peu incompréhensible. Il venait souligner au fond ce qui est l'une de nos faiblesses, la faible attention que nous avons malheureusement accordée aux étudiants étrangers dans notre enseignement supérieur.

Il manque dans ce texte la nécessité d'assurer le suivi des étudiants étrangers dans les universités. Quand on y réfléchit, c'est tout de même un réseau formidable de diffusion de l'influence et de la culture françaises dans de nombreux pays. Nous sommes aujourd'hui incapables de le valoriser puisqu'il n'y a même pas de relevé précis du suivi de nos étudiants. On pourrait progresser à peu de frais en essayant d'avoir une approche un peu méthodique, un suivi régulier des étudiants ayant fait leurs études en France, qui ont un lien avec l'enseignement supérieur français et qui, bien souvent, dans leur pays d'origine, exercent des responsabilités politiques, économiques ou intellectuelles.

Un mot sur les journalistes, puisque c'est ce qui focalise l'attention, la leur en tout cas, et c'est bien compréhensible. Le texte me fait penser à ces dessins dans les revues d'enfants où l'on peut voir deux images différentes suivant l'angle. Je ne doute pas de la bonne foi du ministre dans cette affaire, mais force est de constater que, tel qu'il est rédigé, l'article 13 peut laisser place à l'arbitraire, et c'est bien là que le bât blesse. S'il n'y avait pas eu les déclarations du vice-président de la République, pourrait-on dire, M. Guéant, et du chef d'état-major des armées, on y aurait bien sûr prêté moins d'attention et il n'y aurait pas eu de procès d'intention, mais elles ont malheureusement été faites, et l'on a raison d'être particulièrement vigilant.

Enfin, la plus grosse carence du texte, c'est l'absence totale de lien – ou il est en tout cas extrêmement ténu – avec l'organisation de l'audiovisuel extérieur de la France. Je l'ai déjà déploré en commission : il me paraît totalement étonnant, saugrenu, que, dans un texte prétendant déployer l'action culturelle de la France à l'étranger, on fasse l'impasse sur ce qui est aujourd'hui le principal vecteur de diffusion des idées, des comportements culturels, je veux parler bien sûr de la télévision, de la radio, et donc de l'organisation de l'audiovisuel extérieur de la France.

On connaît la problématique : la tentative de réorganisation a connu quelques déboires, et le tableau de l'audiovisuel extérieur français n'est pas forcément réjouissant. RFI est dans une crise profonde, avec plus de 200 départs volontaires, et d'autres personnes souhaiteraient partir. Ce n'est jamais très bon signe dans une radio, dans un organisme, quand on a plus de candidats au départ qu'on n'est prêt à financer de licenciements. France 24 ne décolle pas et c'est un échec, il faut bien le reconnaître. TV5 Monde est plutôt une bonne télévision, et c'est la seule télévision généraliste à l'échelle du monde. Elle mériterait donc un peu d'attention, mais on sent bien qu'il y a eu une profonde indifférence des autorités françaises à son destin.

Nous voilà donc face à un paysage un peu particulier. On aurait pu imaginer qu'il y ait un travail précis, particulier, sur le lien avec les trois grandes structures de l'AEF. Malheureusement, ce lien n'existe pas, et c'est à peu près incompréhensible. Comment imaginer que l'on puisse avoir une politique de présence culturelle ambitieuse à l'étranger si l'on fait l'impasse sur le principal vecteur de développement des comportements culturels ? C'est une lacune et, de ce point de vue, le projet n'est pas abouti.

Encore une fois, si l'on s'en tenait au texte lui-même, il n'y aurait pas beaucoup de problèmes. Je l'ai dit, c'est un petit progrès mais un progrès. Malheureusement, il y a le contexte : la baisse des crédits, les interrogations sur les déclarations des plus hauts responsables de l'État sur la question des journalistes et le remboursement des frais, et ces questions nous interrogent tout autant que le texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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