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Intervention de Philippe Folliot

Réunion du 30 juin 2010 à 15h00
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Folliot :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, ce projet de loi de modernisation de l'agriculture intervient dans un contexte mondial qui n'est pas neutre pour les choix nationaux que nous allons faire. La malnutrition et les famines touchent 870 millions de personnes et la moitié de l'humanité, soit 3 milliards d'individus, a moins de trois euros par jour pour vivre ! Ce sont 9 millions de personnes, dont les trois quarts sont paysans, qui meurent dans l'indifférence quasi générale tous les ans des suites de maladies générées par des problèmes liés à l'eau ou à la malnutrition, ce qui représente autant de victimes que pendant la Seconde guerre mondiale !

À titre de comparaison, sur les 1,5 milliard d'agriculteurs de la planète, un tiers travaille moins d'un hectare, à la main, sans empreinte carbone, sans engrais ni pesticide, de façon authentiquement « biologique », mais avec des rendements très faibles et aléatoires. Seuls 28 millions d'entre eux ont un tracteur.

Les agricultures française et européenne, quant à elles, subissent un système complètement fou : les cours mondiaux de production sont alignés non pas sur la moyenne du coût de revient, mais sur les prix les plus bas des denrées exportées, alors qu'elles ne représentent que 15 % du total ! Le coût de revient et de production d'une tonne de céréales est de 80 dollars dans certains pays émergents, de 120 dollars aux États-Unis, de 150 à 200 dollars en Europe et de plus de 300 dollars en Afrique subsaharienne ! L'écart de productivité entre ces deux agricultures va de 1 à 2 000. Quand on ajoute que 3 milliards de nouveaux convives vont, du fait de l'augmentation prévisible de la population mondiale, s'inviter à table, on voit l'ampleur des défis à relever pour les cinq décennies à venir.

Dans ce monde multipolaire instable qui nous entoure, l'agriculture doit être considérée non pas comme une charge, mais plutôt comme une chance pour notre pays et pour la société. Pourtant, loin des grands discours de tribune, la situation sur le terrain tourne au cauchemar. La crise qui frappe notre secteur agricole n'a jamais été aussi profonde et dévastatrice. Je lisais récemment, dans un grand quotidien de ma région, un dossier intitulé : « La misère cachée des campagnes ».

Dans nos permanences, sur le terrain, quand nous visitons des exploitations, nous entendons un désespoir jamais ressenti auparavant, nourri d'un double sentiment d'injustice et d'incompréhension.

Le sentiment d'injustice vient de ce que les paysans ont l'impression d'avoir été lâchés par le pays, sacrifiés sur l'autel de la mondialisation et de l'ouverture des marchés, trahis par une Europe qui n'a pas su les protéger et les a enfermés dans la spirale des subventions, incapable de valoriser leurs produits face à des importations intra- et extra-communautaires d'une moindre exigence sanitaire et avec des coûts de production dérisoires, symboles d'une concurrence ultra-déloyale. Et je ne parle même pas du problème des revenus ! Quelle autre profession accepterait de voir ses revenus diminuer d'un tiers d'une année sur l'autre ?

Après mes visites dans les exploitations agricoles de ma circonscription, et suite à une table ronde rassemblant toutes les organisations paysannes du département, j'ai pu mesurer non seulement à quel point les agriculteurs prenaient au sérieux, monsieur le ministre, votre engagement au service de l'agriculture, mais aussi à quel point ils étaient inquiets, car ce projet de loi avait pour eux, malgré leur désespoir, les apparences d'un texte de la dernière chance.

Ils sont déçus parce que, malgré les atouts considérables de notre territoire tarnais dont la diversité est à l'image de l'agriculture française, ils n'arrivent pas à trouver un modèle économique nouveau pour remplacer le modèle productiviste de l'après-guerre – qui, rappelons-le, a tout de même permis à 4 % de nos concitoyens de nourrir tous les autres !

Nous avons pourtant les savoir-faire, les cultures et les identités de terroir, les bonnes pratiques environnementales, les paysages – sans parler du bon sens paysan qui existe encore dans nos campagnes et dans nos montagnes et qui, quoi qu'en pensent certains ayatollahs de l'écologie, permet d'éviter bien des dérapages et de garder les pieds sur terre pour produire de façon à la fois responsable et fiable.

Pour moi, l'avenir, c'est une agriculture raisonnée, ce sont des marchés régulés et des producteurs qui vivent de leur travail grâce à des prix rémunérateurs plutôt qu'à des subventions. L'agriculture joue en outre un rôle important dans l'aménagement du territoire. Dans le canton de Vabre, situé dans la montagne tarnaise que je connais bien, 40 % de la population active vit directement de l'agriculture, contre 4 % pour l'ensemble de notre pays : toute mesure que nous prendrons y aura donc un effet dix fois plus important que la moyenne nationale. Nous devons donc réfléchir, tous ensemble, à la nécessité de soutenir la filière agricole : dans l'arrière-pays méditerranéen, l'agriculture agro-pastorale traditionnelle a été sacrifiée sur l'autel de la productivité ; aujourd'hui, la collectivité est obligée d'investir certainement dix fois plus que ce qu'il aurait fallu pour conserver une agriculture de proximité – ne serait-ce que pour lutter contre les incendies de forêt. Il faut méditer cet exemple.

Monsieur le ministre, les inquiétudes sont grandes pour l'installation de jeunes agriculteurs et la reprise d'exploitations agricoles. Tous les jours, des agriculteurs me disent qu'ils déconseillent à leurs enfants de reprendre leur exploitation. Cela doit aussi nous faire réfléchir.

Il y a d'autres questions, d'autres attentes, auxquelles l'État doit répondre : je pense à la filière roquefort, et à l'injuste et scandaleuse surtaxe imposée depuis une dizaine d'années au roquefort par le gouvernement américain. C'est tout un secteur, toute une filière qui sont pénalisés. Cela provoque un sentiment d'injustice flagrante, auquel il faut répondre.

Je ne développerai pas ici les différents amendements que j'ai déposés, et qui portent sur la souveraineté alimentaire, sur les circuits courts, sur la spécificité de l'agriculture de montagne, sur la lutte contre la perte de terres agricoles. Je ferai aussi des propositions sur la sécurité alimentaire, notamment pour nos jeunes.

Il me paraît essentiel de dire que certaines dispositions de votre texte vont dans le bon sens ; je ne peux que m'en réjouir. Mais je crains que, sans une régulation menée par l'État et appuyée par l'Europe, l'avenir sombre qui hante les nuits de nos agriculteurs ne devienne la réalité des aubes prochaines. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.)

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