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Intervention de Jean-Michel Clément

Réunion du 25 mars 2008 à 15h00
Lutte contre les discriminations — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, notre assemblée est conduite à examiner ce jour un texte portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Nous l'avons dit : la France, rappelée à ses obligations par la Commission européenne, y répond avec le texte qui nous est soumis. Mais cette transposition tardive se doit d'être replacée dans un contexte législatif plus large, à l'instant ou la réforme de la prescription en matière civile vient d'être examinée par le Sénat. Si cette dernière devait rester en l'état, elle viderait de son sens le texte qui nous est soumis, en matière de discrimination dans l'emploi.

Je n'entrerai pas dans le débat de l'opportunité ou non d'un raccourcissement de la prescription civile extinctive de façon générale, notre assemblée aura l'occasion d'en débattre.

Le délai de cinq ans adopté au Sénat en lieu et place du délai actuel de prescription trentenaire deviendrait donc le délai de droit commun, et s'appliquerait dans les relations entre les salariés et les employeurs, telles que régies par le code du travail.

Ce délai de prescription extinctive de cinq ans pose deux véritables problèmes. En premier lieu, la prescription de cinq ans, si elle était retenue, ôterait à l'article L. 122-45 du code du travail une grande partie de sa portée.

Pour caractériser la discrimination, il est en effet nécessaire de disposer d'un certain recul dans le temps. Et pour réparer une situation de discrimination, il est nécessaire de considérer les effets qu'elle a produits. C'est pourquoi l'article L. 122-45, en prévoyant la nullité des actes discriminatoires, permet une réparation au plus juste de la situation de discrimination créée. La Cour de cassation l'a parfaitement compris, qui ne manque pas de rappeler à chaque occasion que les dommages et intérêts octroyés relevaient de la prescription trentenaire.

Une prescription ainsi ramenée à cinq ans effacerait toutes les discriminations passées liées à l'évolution de carrière antérieures à cinq ans, puisque la loi serait d'application immédiate, mais elle rendrait également invisibles toutes les situations de discrimination à l'avenir, les recouvrant du voile de la prescription chaque année qui passe dans le cadre d'un délai court de cinq ans.

Alors même que nous débattons de la nécessité de renforcer la lutte contre toutes formes de discriminations, vous comprendrez notre interrogation et celle de ceux qui luttent au quotidien contre ces formes rampantes de discriminations.

En second lieu, la prescription à cinq ans en matière de discrimination serait incompatible avec la norme européenne. Alors même que nous sommes amenés à revenir sur une transposition imparfaite de directives européennes, la majorité n'a apparemment pas retenu la leçon, puisque la prescription quinquennale annoncée est contraire à la directive « refonte » 200654 sur l'égalité des chances et de traitement entre les hommes et femmes en matière d'emploi et de travail.

Un délai de cinq ans entraînera de fait un plafond maximal d'indemnité, par le jeu de la prescription. La réparation ne sera pas « suffisante au regard du préjudice subi », et les sanctions ne seront ni « proportionnées », ni « dissuasives », eu égard à la faiblesse d'indemnités par rapport à un préjudice réel, qui serait supérieur. Tout cela en totale contradiction avec la directive « refonte » de 2006.

La mesure de la démesure ne peut se faire sur cinq ans... Est-ce l'objectif recherché ? On peut le penser à la lecture de la première proposition de loi en 2003, visant « à réduire à cinq ans la prescription applicable aux actions en justice fondées sur une discrimination syndicale », qui émanait de M. Godfrain. Il est regrettable de proposer une réduction à cinq ans du délai de prescription au moment même où le dispositif juridique adopté en 2001 concernant l'aménagement de la charge de la preuve permet de voir aboutir des actions en justice contre les discriminations.

En conséquence, pour être en conformité avec le droit européen, et permettre un traitement juste des situations de discrimination, il est nécessaire que la prescription civile extinctive de droit commun de cinq ans soit expressément écartée en matière de situations de discrimination telles que visées à l'article L. 122-45 du code du travail.

À l'instant où nous allons transposer les textes communautaires en matière de discrimination dans notre cadre législatif national, veillons à ne pas vider de leur sens ceux relatifs à la discrimination au travail.

Je veux, à cet égard, rapporter les propos du président de la HALDE, M. Louis Schweitzer qui vient de déclarer aujourd'hui même son opposition au raccourcissement de trente ans à cinq ans du délai de prescription en matière civile. Cette proposition, estime-t-il, « n'est pas un progrès » car la durée de trente ans lui semble « pleinement justifiée » Il a précisé que le collège de la HALDE avait émis une « recommandation » pour demander le maintien de la prescription à trente ans.

La position du Gouvernement sur ce sujet est attendue par le monde du travail, mais aussi par toutes les associations luttant contre toute forme de discrimination susceptible de provoquer dans le milieu professionnel des conséquences par trop définitives et profondément injustes. Tout ce que le texte que nous examinons aujourd'hui prétend réparer.

Par conséquent, nous aimerions connaître votre position, madame la secrétaire d'État, sur cette proposition de loi. Acceptez-vous que le texte débattu aujourd'hui soit balayé dans quelques semaines par une proposition de loi sur la prescription civile ?

Les avancées en matière de lutte contre les discriminations seraient illusoires si, dans le même temps, nous ôtions toute portée aux actions judiciaires menées contre les actes de discrimination. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

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