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Intervention de Martine Pinville

Réunion du 25 mars 2008 à 15h00
Lutte contre les discriminations — Exception d'irrecevabilité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMartine Pinville :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le texte dont l'Assemblée nationale est aujourd'hui saisie, ce projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, doit nous rappeler notre devoir de nous adapter au droit communautaire en matière de lutte contre les discriminations. Force est de constater qu'en ce domaine, nous ne sommes pas prompts à réagir. Or la totalité des transpositions auxquelles nous sommes tenus de procéder devrait être de nature à assurer une meilleure protection de nos concitoyens.

La Commission européenne a engagé une procédure d'infraction à notre encontre pour ne pas avoir transposé la directive 200078 du 27 novembre 2000 interdisant la discrimination en matière d'emploi et de travail fondée sur la religion ou les croyances, l'âge, le handicap ou l'orientation sexuelle. Plus récemment, elle nous a adressé un avis motivé et s'apprêtait à saisir la commission de la Cour de justice de la Communauté européenne toujours au regard de la même directive. Les motifs pour lesquels nous sommes épinglés – définition incorrecte des discriminations et du harcèlement, caractère restrictif de l'interdiction de l'injonction à discriminer, et d'autres encore – doivent nous interpeller et nous montrent à quel point le chemin sur la lutte contre les discriminations, ne serait-ce que pour nous conformer aux directives européennes, est long et difficile. Espérons que nous n'aurons plus à courir derrière l'uniformisation européenne et à être ainsi pointé du doigt et menacer de sanctions.

En transposant en droit français les directives 200043, 200078, et 200072 et en modifiant la loi du 30 décembre 2004, nous serons désormais en conformité. Tâchons de réussir cette adaptation et n'hésitons pas à aller plus loin en renforçant certains dispositifs qui, pour l'instant, ne me semblent pas très définis.

Il faut savoir prendre le temps du débat. La France aime être présentée comme le pays des droits de l'Homme et, bien souvent, certains ont eu la prétention de donner des leçons au monde entier. Cependant, nous ne serions même pas capables d'avoir, dans notre pays, un véritable débat sur un sujet aussi sensible que celui des discriminations. Sans la pression de la Commission européenne, nous en serions restés au statu quo.

À première vue, le texte semble répondre à l'essentiel des directives européennes. Mais quand on en vient aux détails, on constate que le texte comporte de graves insuffisances. La transposition a été faite a minima et, compte tenu des nombreuses lacunes et exceptions, on assiste, une fois de plus, à la remise en cause d'une partie de notre droit du travail.

Ainsi, le projet de loi précise qu'en matière de travail, d'emploi et de formation professionnelle, comme en matière d'adhésion à une organisation syndicale ou professionnelle, il ne doit pas être fait obstacle aux différences de traitement lorsque celles-ci répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante, et pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée. Mes chers collègues, vous le comprendrez aisément, c'est la porte ouverte à tous les abus, à toutes les interprétations.

De la même manière, le projet de loi prévoit plusieurs exceptions au principe que « toute discrimination directe et indirecte fondée sur le sexe est interdite en matière d'accès aux biens et services et de fournitures de biens et services ». Ainsi, ne sont pas interdites, d'une part, les différences de traitement si la fourniture de biens et services exclusivement ou essentiellement destinés aux personnes soit de sexe féminin, soit de sexe masculin, est justifiée par un but légitime et que les moyens de parvenir à ce but sont appropriés et nécessaires et, d'autre part, les différences relatives au calcul des primes et à l'attribution des prestations d'assurance fondées sur la prise en compte du sexe, dans les conditions prévues par l'article L. 111-7 du code des assurances.

Le projet de loi autorise également les différences dans le contenu des médias et de la publicité – celui-ci n'étant pas considéré comme un accès aux biens et aux services, ni comme une fourniture de biens et services à la disposition du public – et dans l'organisation des enseignements en regroupant des élèves en fonction de leur sexe.

Là encore, vous en conviendrez avec moi, ces exceptions sont difficilement justiciables et acceptables puisque ces discriminations se nourrissent de représentations stéréotypée et parfois sexistes. De plus, ces dispositions apparaissent en retrait par rapport aux dispositions conventionnelles applicables, en particulier l'accord national interprofessionnel du 1er mars 2004

Autre disposition contestable : dans l'article 3, le projet ajoute la notion de « bonne foi » au texte protégeant d'actes de représailles les personnes ayant témoigné en justice. Il est incontestable que cet ajout en réduit la portée. De plus, cela va conduire à des contentieux autour de ladite notion et non sur les faits de discrimination relatés.

Dans l'article 4, le projet revient sur l'aménagement de la charge de la preuve de la discrimination. Là aussi, il est incohérent avec le texte existant puisqu'il prévoit que la personne qui s'estime victime d'une discrimination « établit les faits ». Dans la loi du 16 novembre 2001, la personne « présente » les faits devant le juge. Le maintien de la coexistence de plusieurs régimes probatoires suivant le terrain – emploi ou accès aux biens – n'apparaît pas satisfaisant.

Autre défaut : le texte oublie d'ouvrir la possibilité pour les associations de lutte contre les discriminations d'agir auprès des tribunaux si la victime est un agent de la fonction publique. C'est une exigence écrite noir sur blanc de la directive. Pourtant, si, à la demande des victimes, les associations peuvent agir au pénal, si elles peuvent agir devant les conseils de prud'hommes, elles ne peuvent le faire devant la justice administrative. La Commission européenne a explicitement pointé du doigt cette lacune de la législation française, mais rien n'y a fait.

Je relève encore une autre insuffisance du texte dans le fait qu'il rétablit une hiérarchie entre les discriminations que l'on croyait définitivement bannie du droit français, par une transposition aveugle de deux directives. La directive 200078CE traite de toutes les discriminations, mais dans le seul domaine de l'emploi et du travail. La directive 200043CE, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique, ne traite que d'un seul motif, la race et l'origine, mais intervient dans tous les domaines, y compris l'éducation, le logement, et non seulement l'emploi et le travail.

Sans doute pour aller vite, comme d'habitude, madame la secrétaire d'État, l'auteur du projet de loi a scolairement recopié les définitions données par les deux directives, sans essayer de les synthétiser, en séparant les discriminations liées à l'origine et à la race, d'un côté, et les autres discriminations, de l'autre. Pour les discriminations racistes, le champ d'application est donc large – il concerne tous les domaines de la vie courante –alors que, pour les autres discriminations, homophobie, handiphobie, ou autres, le projet de loi restreint son application aux domaines de l'emploi et du travail. Vous auriez voulu « hiérarchiser » les victimes, et encourager la concurrence entre elles, que vous ne vous y seriez pas pris autrement.

À toutes ces insuffisances, s'ajoute la proposition de loi, déjà adoptée par les sénateurs, qui ramène de 30 ans à 5 ans le délai de prescription au-delà duquel on ne peut plus faire valoir un droit ou réclamer la réparation d'un dommage. Actuellement, en matière sociale, les dommages et intérêts ne sont prescrits qu'au bout de 30 ans, ce qui provoque régulièrement la colère du patronat et le dépôt de propositions de loi. Surprise : en novembre dernier, profitant de la séance mensuelle consacrée aux propositions de loi, les sénateurs ont adopté une proposition de loi déposée le 2 août par Jean-Jacques Hyest ramenant à 5 ans ce fameux délai de droit commun. La procédure parlementaire a été extrêmement rapide, puisque la commission des lois du Sénat ne s'est réunie sur le sujet qu'une semaine avant le vote en séance publique.

Les termes de cette proposition de loi posent un problème certain quant à son application dans les situations de discrimination au travail : d'une part, ce texte ôterait à l'article L. 122-45 prohibant les discriminations une grande partie de sa portée ; d'autre part, il pose un sérieux problème de compatibilité avec la norme européenne. Le délai de cinq ans apparaît en effet insuffisant. Pour caractériser la discrimination, il est nécessaire de disposer d'un certain recul dans le temps. De même, pour réparer une situation de discrimination, il est nécessaire de considérer les effets qu'elle a produits dans le temps.

Une prescription ramenée à cinq ans apparaît contraire aux termes de la directive européenne sur l'égalité des chances pour deux raisons. En premier lieu, parce qu'elle entraîne un plafond maximal d'indemnités par le jeu de la prescription de l'action à 5 ans, et la réparation ne sera pas « suffisante au regard du préjudice subi ». En second lieu, parce que les sanctions ne seront ni « proportionnées » ni « dissuasives », eu égard à la faiblesse d'indemnités par rapport à un préjudice réel qui serait supérieur.

Ainsi, les victimes, face aux difficultés rencontrées pour faire valoir les discriminations subies, céderaient au découragement et renonceraient à leurs droits puisque, comme le dit si bien le bon sens populaire, le jeu n'en vaudrait pas la chandelle. Est-ce là l'objectif recherché ? On peut très sérieusement se poser la question.

Dans l'état actuel des choses, ce texte donne l'impression d'un travail inachevé. Il semble avoir été rédigé dans l'intention de satisfaire aux exigences de la Commission européenne plutôt que dans l'intérêt des victimes.

Compte tenu du contexte politique national et international, notamment eu égard à l'inquiétude que peuvent manifester nos concitoyens sur leur devenir et en particulier sur leur place dans le monde du travail, il m'aurait paru plus judicieux d'assurer une clarification réelle des moyens de lutte contre les discriminations de nature à rassurer et à protéger plus efficacement.

Peut-être aussi aurions-nous pu aller plus loin au nom des valeurs qui fondent notre République. Alors que la France ne se départit jamais de son discours moralisateur en matière de droits de l'Homme en général, peut-être aurions-nous pu, une fois pour toutes, placer notre cadre législatif et réglementaire en accord avec nos déclarations de principe.

Parallèlement, alors que notre pays, comme bon nombre d'autres pays de l'Union Européenne, traverse une période dans laquelle se multiplient toutes les formes de discrimination, notamment d'origine ethnique et religieuse, n'aurait-il pas été salutaire d'instaurer un vrai débat national qui aurait permis, non seulement une prise de conscience de tous nos concitoyens, mais également la définition d'un dispositif complet de lutte contre les discriminations ? Je regrette profondément que nous n'ayons pu saisir cette opportunité.

En tout état de cause, le texte introduit des dispositions dans la loi qui sont contraires au principe d'égalité de notre Constitution. Ainsi, l'article 2 du projet de loi introduit une différence de traitement entre les discriminations qui va à rencontre de l'orientation prise par le législateur français depuis ces dernières années. Ainsi, en matière de protection sociale, de santé, d'avantages sociaux, d'éducation, d'accès aux biens et services ou de fournitures de biens et services, la loi ne retiendrait que les discriminations à raison de l'appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race et ignorerait les discriminations relatives à la religion, à l'âge, au handicap, à l'orientation sexuelle ou aux convictions.

Cette distinction formulée dans l'article 2 entre les discriminations dans le domaine de la protection sociale, de l'éducation et de l'accès aux biens et services, d'une part, et les discriminations dans le domaine de l'emploi et du travail, d'autre part, introduit une différence de traitement entre les victimes selon les motifs de discriminations qui est contraire au principe d'égalité. Elle instaure entre les discriminations une hiérarchisation qui n'est pas recevable au regard du principe d'égalité inscrit dans l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958. C'est la raison pour laquelle je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir adopter cette motion d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

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