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Intervention de Michel Vaxès

Réunion du 23 juin 2010 à 15h00
Application de l'article 65 de la constitution — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Vaxès :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, lors de la deuxième lecture de ce texte, mon ami Daniel Paul avait expliqué pourquoi nous pensions que cette réforme du CSM ne répondait pas aux espoirs que nous avions placés en elle et pourquoi elle ne dissiperait pas le scepticisme croissant de nos concitoyens à l'égard de notre justice. Ceux-ci ont en effet le sentiment qu'elle n'est pas la même pour tous, qu'elle est complaisante à l'égard de certains intérêts particuliers et trop souvent dépendante du pouvoir politique.

C'est une évidence pour nous que cette refonte du CSM ne sera pas en mesure de garantir l'indépendance de l'appareil judiciaire à l'égard du pouvoir politique. Le Conseil supérieur de la magistrature est, en effet, au coeur de la question de l'indépendance de la justice. À ce titre et pour reprendre les termes de Montesquieu, il devrait être en mesure de préserver la justice des influences de la puissance exécutrice du pouvoir.

Le doute sur l'indépendance de la justice demeure, parce qu'elle ne sera pas placée sous l'autorité d'un Conseil supérieur de la magistrature indépendant et pluraliste, chargé de gérer le corps judiciaire.

Certes, l'élargissement de la composition du Conseil, qui comptera désormais des membres n'ayant pas qualité de magistrat, permettra une approche plus ouverte de la gestion du corps judiciaire. Nous pensons, en effet, que l'indépendance de la magistrature ne peut être assurée par les seuls magistrats sans risque de corporatisme. C'est pourquoi nous avons milité pour un tel élargissement, avec des représentants désignés par les trois pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire.

Nous avons toujours plaidé pour que le Conseil supérieur de la magistrature, garant de l'indépendance des magistrats, repose sur une double légitimité : un président, élu parmi ses membres, et des personnalités désignées par le Parlement en dehors de ses membres, à la proportionnelle des groupes, représentant ainsi leur diversité, désignées par ses membres et non pas élues comme Mme la garde des sceaux avait feint de l'entendre dans la bouche de mon collègue Daniel Paul, lors de son intervention.

Le mode de désignation des personnalités extérieures prévu par ce texte ignore la représentation nationale et le pluralisme. Au prétexte de lutter contre le corporatisme, vous politisez cette institution en la soumettant au fait majoritaire. Six personnalités seront nommées par le pouvoir politique : deux par le Président de la République, deux par le Président de l'Assemblée nationale et deux par le Président du Sénat.

Contrairement à ce que vous prétendez, le choix des personnalités opéré par les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, ou par le Président de la République, ne sera jamais dénué de toute intention politique. Le risque de politisation des nominations est réel, en dépit du dispositif des trois cinquièmes. Là où vous voyez une avancée démocratique, nous dénonçons un contrôle des nominations inaccessible à l'opposition.

Un CSM vraiment indépendant devrait exercer pleinement et sans réserve le pouvoir de nomination, d'affectation, de mutation, de promotion de tous les magistrats, y compris des membres du parquet. Or le texte n'impose pas l'avis conforme du CSM, qui est pourtant l'une des garanties de l'autonomie des parquets et de la protection de leur statut juridique. L'exécutif pourra passer outre des avis négatifs en matière de nomination des procureurs généraux près les cours d'appel, comme il l'a d'ailleurs déjà fait à plusieurs reprises pour les procureurs. Cette pratique illustre la dépendance de la magistrature à l'égard du pouvoir politique en termes de carrière. Elle participe de la préfectoralisation des parquets et fragilise l'institution tout entière. C'est une évidence que la Chancellerie conservera la haute main sur les nominations des parquettiers, ce qui est tout à fait révélateur de la dépendance de la justice à l'égard du pouvoir exécutif.

Mme la garde des sceaux avait reproché à mon collègue Daniel Paul de faire des effets de manche pour des raisons politiques lorsqu'il a abordé cette question de l'indépendance de la justice. Elle nous accusait même de fantasmer et de porter un soupçon totalement injustifié. Pourtant, la dépendance de la justice au pouvoir exécutif n'est pas issue d'une imagination débridée en quête de sensationnel.

Dois-je en effet vous rappeler la « lettre ouverte à ceux qui feignent de croire en l'indépendance du parquet » rédigée par le Syndicat de la magistrature ? Cette lettre ne détaille pas moins de vingt-trois affaires judiciaires récentes, entre 2004 et 2009, révélées par la presse, qui démontrent la dépendance du parquet au pouvoir exécutif.

Fantasmons-nous encore sur la dépendance de ce pouvoir exécutif lorsque, par volonté d'une mise au pas des parquets par l'Élysée, a été décidée la mutation d'office du procureur général à Riom dans des conditions plus que douteuses ?

Portons-nous le soupçon lorsque l'on rapporte les propos démagogiques de M. Besson, ministre de l'immigration, constatant que certaines juridictions libèrent quasi systématiquement les étrangers en situation irrégulière qui leur sont présentés, ou encore ceux de M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, qui, commentant un fait divers, critiquait les juges d'application des peines qui ont décidé la libération conditionnelle du meurtrier présumé ?

Fantasme ou soupçon lorsque l'on apprend que les procureurs généraux sont convoqués à l'Élysée pour prendre leurs instructions de politique pénale en matière de violences scolaires ?

La réponse du Gouvernement à mon collègue lors de la précédente lecture m'oblige à réveiller le souvenir de ces affaires gênantes pour l'exécutif.

Aucun gouvernement ne nous empêchera de penser et de dire que cet exécutif, comme d'autres avant lui, exerce des pressions sur nos magistrats. C'est pourquoi il eût fallu que ce texte permette de limiter ces pressions insupportables dans une démocratie. Oui, les pressions peuvent aussi venir d'ailleurs, c'est vrai, mais, j'insiste, elles restent aujourd'hui pour l'essentiel de nature politique.

L'indépendance de la justice et la séparation des pouvoirs ont été conçues au profit non pas du juge, comme vous semblez le craindre, mais des citoyens, et c'est pourquoi nous y sommes tant attachés et nous les défendrons en toutes circonstances.

Voilà pour ce qui concerne la question essentielle de l'indépendance du pouvoir judiciaire, que le Conseil supérieur de la magistrature devrait pouvoir garantir. Mais il n'y parviendra pas avec cette réforme.

Venons en maintenant à la saisine du CSM par les justiciables, qui pourront déposer une plainte à l'encontre d'un magistrat. Ce dispositif, je le réitère, emporte tout notre soutien. Nous pensons, en effet, que le principe d'un contrôle minutieux et exigeant du travail quotidien des magistrats est la contrepartie justifiée des missions et des pouvoirs qui leur sont confiés.

Néanmoins, nous regrettons que la saisine du CSM soit possible alors même que la procédure concernée n'est pas encore terminée. Nous craignons, en effet, que cette possibilité permette la mise en place de stratégies de déstabilisation de l'institution. Le point d'équilibre pour ne pas déstabiliser l'institution judiciaire et ne pas livrer les magistrats à la vindicte populaire pourrait, ici, ne pas être trouvé, comme le craignait le professeur Jean Gicquel.

Enfin, nous regrettons que la possibilité soit laissée à l'avocat membre du CSM d'exercer pendant la durée de son mandat la profession d'avocat. Nous sommes effectivement convaincus de la nécessité qu'il cesse provisoirement d'exercer pour garantir la légitimité de ce membre, la transparence et l'impartialité de ses décisions. Le Sénat avait néanmoins posé une limite en interdisant à cet avocat de plaider devant les juridictions judiciaires. Nous aurions préféré que la CMP s'en tienne là, le compromis trouvé à l'article 6 bis ne pouvant nous satisfaire pleinement.

Au regard de toutes ces observations et critiques, vous aurez compris que les députés communistes et du parti de gauche voteront contre ce projet de loi organique. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

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