Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Geneviève Fioraso

Réunion du 8 juin 2010 à 21h30
Marché de l'électricité — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeneviève Fioraso :

…et l'actualité récente est révélatrice de notre poids décroissant dans le concert européen.

C'est d'autant plus regrettable que, sur le fond même, on peut légitimement s'interroger sur les raisons qui poussent l'Union européenne à une réglementation imposant l'ouverture à tout prix du marché de l'énergie.

En réalité, cela procède toujours de la même analyse : la concurrence serait interne aux pays de l'Union européenne, alors qu'on sait bien qu'elle se situe dans les pays émergents – déjà bien émergés, d'ailleurs – comme le Brésil, l'Inde, la Corée ou la Chine. C'est donc la domination de la pensée unique, ultra-libérale, de la DG Concurrence de l'Union européenne qui, in fine, fragilise notre compétitivité et sert les intérêts américains et asiatiques, notre véritable concurrence, au détriment des intérêts européens.

C'est un contresens qui devient vraiment grave en situation de crise économique, sociale et environnementale, par son impact négatif, en particulier sur la compétitivité de notre industrie. Avec le TARTAM, un dispositif transitoire avait pu être mis en place, préservant les emplois des industries électro-intensives, au premier rang desquelles la chimie, notre second poste à l'exportation – là où nous sommes particulièrement mauvais en général –, la microélectronique, les cimenteries, les papeteries. Voulons-nous perdre tous ces emplois industriels et les emplois induits et indirects, en aval et en amont ? Ces industries font d'ailleurs des efforts importants pour rendre leur procédés de fabrication plus économes en énergie, avec un impact moindre sur l'environnement. Vous savez comme moi que la suppression à court terme de tarifs régulés adaptés à ces industries ne manquera pas d'entraîner des délocalisations supplémentaires au profit de pays à moindre coût salarial et utilisant l'énergie fossile génératrice d'émissions de gaz à effet de serre.

Êtes-vous prêts à assumer la délocalisation de la chimie, de la microélectronique, des cimenteries dans des pays où les conditions de production, à la fois sur le plan social et celui de la sécurité industrielle et environnementale, sont loin d'être aussi favorables qu'en Europe et, singulièrement, en France ? Comment, en tant que ministre du développement durable, M. Borloo peut-il sérieusement encourager un tel transfert dommageable à la fois à l'emploi dans notre pays et à l'impact environnemental sur notre planète ? C'est tout simplement incompréhensible.

D'ailleurs, quand vous justifiez cette réorganisation du marché de l'électricité en regrettant la faible part d'ouverture à la concurrence, malgré les dispositions législatives successives de 2003, 2004, 2006, ouvrant le marché de l'énergie, vous ne faites que constater que cette ouverture en réalité ne marche pas. Pourquoi ? Encore une fois parce que la spécificité de notre système de production le rend à la fois vertueux sur le plan environnemental – même si la question des déchets nucléaires doit trouver une réponse rapidement – et très compétitif pour l'usager, particulier comme entreprise. Mais il fallait sûrement répondre à des engagements faits aux « amis » industriels du secteur de l'énergie, impatients d'accéder à ce marché si porteur et orienté fortement à la hausse, donc fructueux, depuis vos décisions de dérégulation.

En choisissant la libéralisation complète des prix ainsi que la mise en place d'un accès régulé à l'électricité de base avec une disparition progressive des tarifs réglementés pour les industriels, vous ouvrez la voie à l'augmentation du coût de l'électricité pour tous, à une désindustrialisation que vous dites par ailleurs vouloir combattre, sans pour autant régler les vrais enjeux auxquels doit faire face le secteur de l'énergie en France.

Quels sont-ils ? Premier enjeu : la valorisation de notre expertise nucléaire dans le monde par un meilleur ordonnancement des acteurs du secteur, un investissement indispensable dans la maintenance de nos centrales nucléaires et la formation des hommes et des femmes pour en assurer une meilleure disponibilité, et une sécurité optimale. Ce sont là des missions de service public que ne peut assurer un opérateur alternatif. On a vu en Grande-Bretagne les effets désastreux de l'ouverture du marché sur les conditions de sécurité et de performance du parc énergétique nucléaire : nous n'avons pas envie de suivre le même chemin.

Daniel Paul a rappelé à juste titre que le gouverneur de Californie, Arnold Schwarzenegger, qu'on ne peut pas soupçonner de gauchisme, bien connu au contraire comme un ardent libéral, est en train de ramener dans le secteur public la gestion du parc nucléaire californien. Autrement dit, tout en défendant le nucléaire, et parfois le seul nucléaire – je pense à des rapports récents assassinant des énergies alternatives –, la droite le fragilise à un moment où, de plus, sa gouvernance n'est pas au beau fixe : souvenons-nous des divergences médiatisées entre Areva, EDF, GDF Suez, Alstom, qui ont contribué aux difficultés finlandaises et à la perte du marché d'Abou Dhabi au profit de la Corée, nous faisant ainsi rater l'occasion de créer des emplois issus d'une expertise financée par des fonds publics de façon constante.

En ouvrant le nucléaire à la concurrence, nous sommes à contre-courant de toutes les pratiques mondiales dans ce secteur. Tout cela pour assurer aux amis une part du gâteau ! Au final, le résultat sera complètement négatif : perte de sécurité des installations, indisponibilité croissante du parc – je crois que nous avons atteint un record en décembre dernier, et cela ne va pas s'arranger –, d'où une répétition des pannes, en particulier dans les secteurs ruraux, vétusté croissante des réseaux, le tout avec des tarifs fortement orientés à la hausse.

Deuxième enjeu, et non des moindres : la diversification indispensable de notre bouquet énergétique, associée à la recherche – Hervé Gaymard vient de le dire –, à l'innovation et à la construction de filières industrielles et de filières de services créatrices d'emplois. Ce sont les grandes absentes de ce projet de loi, et l'on chercherait en vain les mots pourtant tout à fait stratégiques d'« efficacité » énergétique, de « sobriété » énergétique, de « diversification » du bouquet énergétique, de « mise en place de filières pour les énergies renouvelables », source d'innovations, d'emplois et de bénéfices environnementaux.

On peut d'ailleurs comprendre votre discrétion si remarquable sur ces sujets dans lesquels les États-Unis, l'Allemagne, les pays scandinaves, mais aussi la Corée du Sud investissent des sommes considérables. Un seul chiffre : 57 milliards d'euros par an pour la Corée du Sud, soit 2 % de son PIB, y sont consacrés pour les cinq années à venir.

Mais, encore une fois, votre discrétion s'explique.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion