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Intervention de Jean-Paul Lecoq

Réunion du 2 juin 2010 à 15h00
Réforme des collectivités territoriales — Avant l'article 35, amendement 235

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

Puisque, lorsque j'essaie de faire court, je n'arrive pas à vous convaincre, mes chers collègues, je vais renouer avec mon ancienne méthode et être un peu plus long.

Il nous paraît essentiel de rappeler que la clause de compétence générale est un principe fondateur de la libre administration des collectivités locales. Elle n'a d'ailleurs jamais été remise en cause jusqu'à ce texte.

Rappelons que, selon ce principe, les collectivités territoriales sont autorisées, en toutes circonstances et dans tous les domaines, à mettre en oeuvre les politiques locales qu'elles jugent nécessaires pour répondre aux besoins et aux attentes des populations.

Certes, ce n'est pas ici votre souci, ce projet de loi le prouve. Les besoins et les attentes des populations sont le cadet de vos soucis. Assurer aux habitants des territoires la satisfaction des droits humains qui leur sont constitutionnellement garantis est pour vous une entrave à votre objectif premier, à la philosophie même de votre réforme, laquelle est de poursuivre la libéralisation de l'économie en privatisant des services aujourd'hui mis en oeuvre par les collectivités. En limitant aux communes la clause de compétence générale, en réduisant le nombre d'élus, en regroupant de force les collectivités, en réunissant les conditions de la suppression des départements, vous n'avez qu'un seul but : baisser la dépense publique en réduisant l'intervention publique pour ouvrir des marchés nouveaux aux entreprises et augmenter leurs profits.

La clause de compétence générale permet la solidarité territoriale. Or c'est précisément ce que vous souhaitez éviter tout au long de ce texte. C'est d'ailleurs, nous semble-t-il, la seule raison qui a justifié votre refus d'inscrire le rappel de ce principe dès le premier article et votre crainte de voir la clause de compétence générale érigée en règle législative, même si elle permet le respect du principe constitutionnel de la libre administration. Puisque, précisément, la solidarité des territoires est pour vous un détail, vous préférez réduire, voire anéantir, les compétences des collectivités.

Devons-nous rappeler, comme le fait le professeur Bernard Dreyfus, que « sans cette clause de compétence générale, il n'y aurait ni trottoirs ni éclairage public car aucun texte ne les rend obligatoires. On pourrait multiplier les exemples à l'infini, à commencer par celui de la distribution d'eau potable puisque seul “le bec d'eau” par groupe d'immeubles fut une obligation jusqu'au texte sur le logement décent. […] Que dire des cantines scolaires, totalement facultatives, mais pour lesquelles, dès lors que la décision en est prise, s'imposent 600 pages de règlements divers ou de normes variées selon qu'il s'agira d'une liaison froide ou d'une liaison chaude ? Qui aurait initié la couverture en téléphonie mobile des zones blanches ou l'installation de réseaux de haut débit en zones rurales non “rentables” si les départements n'avaient pas pris le relais d'opérateurs non intéressés par ces territoires ? »

En effet, la clause de compétence générale, c'est la capacité de nos territoires à être réactifs face aux problèmes posés. Sans elle, les collectivités territoriales ne pourront plus prendre d'initiatives. Or c'est grâce à la liberté d'initiative des départements que des évolutions essentielles ont été possibles.

Supprimer la clause de compétence générale pour le département et la région, mais aussi, de manière insidieuse, pour la commune, contredit fondamentalement le principe de l'autonomie des collectivités territoriales, de leur place en tant qu'institutions démocratiques.

L'argumentation juridique selon laquelle aucune décision du Conseil constitutionnel ne permet d'affirmer que la clause générale de compétence est de nature constitutionnelle ne saurait nous convaincre et ne convainc pas l'ensemble des juristes. Sans doute, pour justifier votre rejet de cet amendement, citerez-vous des décisions du Conseil constitutionnel. Nous allons donc, nous aussi, vous livrer une longue citation, issue d'un document de travail mis en ligne sur le site du comité de M. Balladur : « On peut d'abord considérer que la clause de compétence générale est consubstantielle à la notion de collectivité territoriale au sens de l'article 72 de la Constitution. C'est elle, en effet, qui différencie les collectivités des établissements publics (y compris de coopération intercommunale), gouvernés quant à eux par le principe de spécialité ; il est d'ailleurs significatif que la clause générale n'ait été appliquée à la région que du jour où celle-ci, d'abord créée comme établissement public, est devenue une collectivité territoriale.

« On peut encore estimer que, sans découler directement de la notion même de collectivité territoriale, la clause de compétence générale est l'une des composantes de la libre administration des collectivités locales garantie par les articles 34 et 72 de la Constitution. On relèvera à cet égard que le Conseil constitutionnel a jugé qu'il résulte de l'article 72 que, pour s'administrer librement, une collectivité doit, dans les conditions qu'il appartient à la loi de prévoir, disposer d'un conseil élu “doté d'attributions effectives” et que, pour le Conseil d'État, le fait pour une commune d'être privée illégalement d'une partie de ses compétences est une atteinte à sa libre administration. Ainsi que l'a souligné le professeur Verpeaux, les principes de libre administration, d'autonomie, de clause générale et de compétences propres tendent parfois à se confondre.

« Enfin, l'inscription récente, au deuxième alinéa de l'article 72 de la Constitution, du principe, parfois qualifié de subsidiarité, selon lequel “les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon” tend à renforcer cette vision : chaque collectivité a vocation à gérer ses affaires, ce qui conforte plutôt, comme le souligne par exemple Michel Verpeaux, la compétence générale.

« Sur cette base juridique, les collectivités territoriales disposent d'un pouvoir d'initiative, à condition que leurs interventions correspondent à l'intérêt de leur territoire. Cette marge de liberté est considérée par certains auteurs comme un élément constitutif du principe constitutionnel de libre administration. »

Le rapport Balladur va même plus loin en citant lui aussi une décision du Conseil constitutionnel de 1995 à propos de la loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie qui estime que l'article 72 implique que, pour s'administrer librement, une collectivité locale doit disposer d'un conseil élu doté d'attributions effectives. Il rappelle même une décision du Conseil d'État qui juge que le fait, pour une commune, d'être privée illégalement d'une partie de ses compétences constitue une atteinte à sa libre administration.

Autant d'arguments juridiques autorisés qui prouvent que la clause de compétence générale est l'une des composantes de la libre administration des collectivités locales garantie par la Constitution.

N'entrons donc pas dans un débat juridique que les grands juristes n'ont pas eux-mêmes tranché et n'ayons pas la prétention de le faire à leur place. Considérez cet amendement comme il se doit, comme une défense du principe de la compétence générale, comme le refus de la fin de la démocratie locale et de la remise en cause du processus de décentralisation. Il met la solidarité des territoires au coeur d'une réforme des collectivités territoriales. C'est pourquoi, nous vous demandons d'adopter cet amendement de principe.

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