Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jean-Paul Cluzel

Réunion du 19 mai 2010 à 10h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jean-Paul Cluzel, président du Grand Palais :

MM. Michel Herbillon et Patrick Bloche et Mme Monique Boulestin m'ont interrogé sur la notion de contrat moral et sur la place du futur opérateur par rapport aux grands musées.

Il existe, je crois, une unanimité parmi vous, et dans l'opinion publique, pour considérer que la restauration du monument qu'est le Grand Palais ne pouvait se limiter à celle de sa verrière, bien qu'il s'agisse d'une réussite architecturale. Les travaux correspondants n'ont permis qu'une sauvegarde du bâtiment, d'ailleurs incomplète : des fuites d'eau subsistent. L'idée de restaurer l'unité du bâtiment, dans le cadre d'une politique culturelle cohérente vis-à-vis des publics reçoit un large assentiment.

Mais, outre les enjeux financiers, la principale difficulté de la réforme est d'ordre intellectuel : quel rôle jouera le futur EPIC dans un univers muséal transformé ?

La RMN a été créée en 1895 avec une mission précise et limitée : la collecte centralisée des recettes de billetterie afin de financer les acquisitions des musées nationaux. Il n'existait alors qu'un seul grand musée national, Le Louvre, et quelques musées en régions. Depuis lors, les musées se sont multipliés et la fonction de la RMN a évolué vers une gestion de l'ensemble des musées en liaison étroite avec la direction des musées nationaux. Ce mouvement s'est poursuivi jusqu'à la création du Grand Louvre, dont la taille justifiait l'autonomie de gestion, d'autres établissements publics ayant vu le jour à sa suite.

Cette évolution nécessaire a rencontré un grand succès auprès du public et s'est accompagné du développement des expositions temporaires, qui a également modifié les rapports entre la RMN et ses musées. Traditionnellement, nos musées offraient surtout des expositions permanentes : au Louvre, on allait voir les collections couvrant les périodes s'étendant jusque vers 1830, au-delà, les collections d'Orsay puis celles du Centre Pompidou. Or, autant les expositions permanentes attirent les touristes étrangers, autant les expositions temporaires sont nécessaires pour renouveler le public et conviennent ainsi particulièrement bien aux visiteurs français. On peut en vérifier régulièrement la réussite telle que celle de l'actuelle exposition Crime et Châtiment à Orsay.

La RMN ne pouvant ainsi plus assumer un rôle de gestion vis-à-vis des musées, j'ai recherché, à travers le présent rapport, quelles fonctions de mutualisation pouvaient lui être utilement conservées. À la suite d'un rapport de la Cour des Comptes et des travaux de la mission d'évaluation et de contrôle (MEC) de l'Assemblée nationale, les calculs économiques semblent montrer que l'on pourrait mettre en commun la gestion de boutiques, d'éditions, de photos, de guides et de conférences, d'acquisitions d'oeuvres… Mais, pour l'heure, les cahiers des charges des musées nationaux ne sont guère tournés vers la mutualisation. En outre, l'évolution de la législation, française et européenne, rend juridiquement incertaine l'édiction d'obligations en ce sens.

Il faut rétablir le dialogue, qui s'est effrité, entre la RMN et les musées. La première s'est peu à peu dépouillée de ses attributions ; elle en garde une certaine nostalgie. Mais pour les musées, elle représente encore l'ancienne puissance tutélaire. C'est donc aussi pour insuffler un nouvel état d'esprit qu'il m'apparaît nécessaire de créer un nouvel établissement. Nous ne réussirons pas la réforme sans une discussion avec tous les musées, quelle qu'en soit la taille, c'est d'ailleurs ce que vient de faire Mme Marie-Paule Vial, qui dirige les musées de Marseille. Les musées souhaitent travailler avec la RMN et avec l'établissement qui lui succédera mais sur des bases libres. C'est pourquoi je pense qu'un contrat moral reposant sur une appétence mutuelle se substituerait utilement à de simples obligations juridiques.

C'est pour les mêmes raisons que je souhaite que le nouvel établissement comporte une direction scientifique. Aujourd'hui, la RMN, qui organise vingt-cinq expositions par an, ne compte qu'un seul conservateur parmi ses mille collaborateurs… Or nous voulons développer ces expositions, notamment à l'étranger, ce qui nécessitera de disposer d'un petit corps de cinq ou six conservateurs, à l'instar de ce qui se pratique à la Bundeskunsthalle de Bonn qui, comme le Grand Palais, ne possède pas de collections permanentes et travaille uniquement en relation avec les autres musées. Cette mesure doit faire partie d'un ensemble, aux côtés du changement de statut et de l'actualisation des conventions collectives afin de moderniser la pratique sociale, dans le respect des personnels. On nous reproche parfois en effet d'être moins flexibles que les opérateurs privés.

M. Michel Herbillon a évoqué l'attrait international du Grand Palais et m'a interrogé sur la vocation touristique du projet. Le Grand Palais apporte déjà une importante contribution dans ce domaine, à travers l'organisation régulière de foires et de salons, dont la FIAC qui a reçu l'année dernière près de 100 000 visiteurs. Le marché de l'art et la mode sont particulièrement importants à nos yeux et nous aimerions pouvoir accueillir des défilés de mode, comme le souhaite la Chambre syndicale de la haute couture.

S'agissant des expositions artistiques, le Grand Palais et la RMN, ne disposant pas de collections permanentes, doivent attirer les touristes par des opérations temporaires, comme les expositions Turner ou Monet. Il faut développer la communication car, bien souvent, les visiteurs étrangers ne connaissent le Grand Palais que comme un beau monument. La rénovation architecturale proposée poursuit cet objectif, notamment par l'aménagement des galeries et des balcons qui permettra la création d'un circuit de visites indépendant des activités de la nef. Lors de la Nuit des Musées, samedi dernier, le Grand Palais est le musée parisien qui a reçu le plus grand nombre de visiteurs – 24 000 – grâce à un spectacle visuel et sonore, artistique et populaire, représentatif de ce que nous voulons faire désormais : Noctambulles, réalisé sous la nef par Francis Kurkdjian et Béatrice Ardisson.

M. Michel Herbillon et Mme Françoise Imbert m'ont interrogé sur la numérisation. Toutes les grandes institutions culturelles développent aujourd'hui leur communication numérique, notamment à travers leur portail. Il serait donc illusoire de revendiquer un monopole en la matière. Toutefois, la RMN bénéficie d'un atout important par son agence photographique qui couvre la presque totalité des oeuvres des musées nationaux français et qui a passé des accords avec des institutions étrangères, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Elle peut ainsi donner accès à un « musée imaginaire », soit pour son propre compte, sur son site Internet, soit pour des tiers, comme elle l'a fait pour le Louvre, à l'occasion de l'exposition Turner, en offrant la possibilité d'une visite virtuelle de l'ensemble des oeuvres britanniques en France.

L'avenir des techniques numériques ne réside pas seulement dans la présentation de collections ; il peut déboucher sur l'appropriation des oeuvres d'art par ceux qui surfent sur la toile. La visite virtuelle favorise la socialisation de l'art, en démultipliant les publics. Nous escomptons cinq millions de visiteurs par an et même beaucoup plus grâce aux techniques numériques qui donnent une dimension supplémentaire aux musées.

Mmes Monique Boulestin Colette Langlade et Françoise Imbert m'ont interrogé, de même que MM. Patrick Bloche et Jacques Grosperrin, sur le dialogue social. Sur ce point, il faut distinguer le Palais de la Découverte du Grand Palais et de la RMN. Mme Claudie Haigneré, en tant que présidente d'Universcience, le nouvel établissement regroupant la Cité des Sciences et de l'Industrie et le Palais de la Découverte, conduit seule le dialogue social au sein de ce dernier. Mais, naturellement, nous nous sommes mis à sa disposition pour expliquer notre projet architectural et les opportunités offertes au Palais de la Découverte par la mise à disposition d'un bâtiment mutualisé, avec une meilleure billetterie, une bibliothèque commune aux arts et aux sciences, des espaces de médiation accrus, ce qui est particulièrement important pour un établissement qui reçoit chaque année 400 000 visiteurs scolaires. Ces apports considérables valent bien quelques réaménagements de bureaux. C'est ce que Fabrice Lacroix est allé expliquer aux personnels du Palais de la Découverte à l'occasion d'une assemblée générale. Si le Gouvernement m'y autorise, nous pourrions rapidement affiner la programmation des travaux et traiter plus en profondeur la question de la répartition des locaux.

Le dialogue social avec les personnels de la RMN est indispensable, quelle que soit la formule statutaire que l'on retiendra, y compris si l'on choisissait non pas de créer un nouvel établissement mais d'aller vers l'absorption de la RMN par le Grand Palais. Car les actuelles conventions collectives doivent être revues. Ainsi, aujourd'hui, on ne peut déplacer un vendeur de la librairie d'Orsay à celle du Louvre sans avoir saisi une commission paritaire, ce qui prend beaucoup de temps et fait obstacle à la nécessaire souplesse de gestion, par exemple pour répondre à un afflux temporaire de visiteurs. Se pose aussi la question de la précarité de certains personnels, en particulier des guides-conférenciers.

Le dialogue a déjà commencé, aussi bien avec les organisations syndicales qu'avec le comité d'entreprise de la RMN, récemment réuni à cet effet par son administrateur général, Thomas Grenon. Plusieurs séances de travail ont eu lieu. Le dialogue va se poursuivre.

Vous m'avez aussi interrogé sur le calendrier de la réforme. En deux mois de travail, il n'a pas été possible d'approfondir tous les éléments d'aménagement d'un bâtiment de 77 000 m2. C'est pourquoi, je l'ai dit, je souhaite que le Gouvernement m'autorise rapidement à engager les études détaillées de programmation qui doivent suivre le projet global, dont le coût a été estimé à 236 millions d'euros, de façon très sérieuse, avec l'appui de l'inspection générale des finances – dont je suis moi-même issu –, d'un membre du Conseil d'État et l'aide d'un cabinet de consultants extérieur. Ces études ne nécessiteront pas de subventions spéciales.

Les calculs relatifs à l'équilibre économique de l'exploitation du Grand Palais durant les travaux figurent en annexe du rapport. Les réductions d'activités ne soulèveront pas de difficultés particulières, hormis quelques ajustements de trésorerie. Nous tablons sur un maintien, pendant toute la durée de réalisation du projet et par la suite, de la subvention annuelle de 20 millions d'euros attribuée à la RMN, le Grand Palais ne recevant de son côté aucune subvention.

Les structures doivent être clarifiées afin d'engager le dialogue avec les personnels, mais aussi – je réponds ainsi à la question de Mme Colette Langlade – avec les grands musées nationaux, les centres d'art et de création et les musées en régions. Car il faut reconnaître que l'organisation administrative actuelle, avec plusieurs exécutifs et plusieurs conseils d'administration d'établissements, n'est pas la mieux adaptée pour que s'opère une concertation efficace et pour que s'engage la phase d'études concrètes qui exige des appels d'offres, des consultations d'architectes, etc.

Selon le calendrier prévisible, l'arbitrage gouvernemental devrait intervenir sur les grands principes de mon rapport avant la fin du printemps, puis s'engageront les travaux de programmation fine, le nouveau statut de l'établissement public devant s'élaborer et être adopté entre le 30 juin et la fin de l'année. Mon objectif est ainsi que le nouvel établissement public voit le jour le 1er janvier 2011.

M. Jacques Grosperrin m'a interrogé sur le terrain d'assiette du nouvel établissement. Je précise que les éléments d'information correspondants figurent en annexe de notre rapport, de même qu'un avis du Conseil d'État. Le terrain n'appartient ni à l'État, ni au Grand Palais. Il existe un contentieux entre l'État et la Ville de Paris à ce sujet. Le maire de Paris m'a confirmé son accord pour vendre le terrain au prix convenu il y a quelques années entre la Ville et le cabinet du ministre de la culture, qui était alors M. Jean-Jacques Aillagon. Si le Gouvernement retient l'idée d'un achat, plutôt par l'État que par l'établissement public, ses modalités se discuteront entre responsables politiques. Le sujet renvoie d'ailleurs, d'une façon plus générale, à la gestion domaniale de l'État.

M. Christian Kert, vice-président de la Commission, remplace Mme la présidente Michèle Tabarot.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion