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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 19 mai 2010 à 11h45
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Je me réjouis que la commission des Lois examine ce texte, que nous attendions depuis très longtemps puisque notre rapporteur a été désigné le 25 juin 2008. Préalablement, le projet avait été déposé en juillet 2006 sur le bureau de l'Assemblée nationale, puis retiré en 2007 en raison des élections législatives, puis redéposé au Sénat, pour y être adopté le 10 juin 2008, dans la nuit, donc de façon assez inaperçue, ce qui est dommage.

Le fait que notre Commission puisse en débattre aujourd'hui n'est peut-être pas totalement étranger à la lettre adressée par le président Jean-Marc Ayrault au Président de l'Assemblée nationale pour s'inquiéter de l'avenir de ce dossier, pendant depuis une dizaine d'années, voire à notre intervention du 4 mai dernier à l'occasion des questions au Gouvernement. Mais sans doute la première conférence de révision du statut, prévue à Kampala du 31 mai au 11 juin, y est-elle aussi pour beaucoup.

En l'état, ce texte soulève quatre questions, auxquelles notre Commission aura à répondre en débattant des amendements.

Première question : l'adaptation du droit pénal national est-elle ou non obligatoire ?

De fait, comme l'a indiqué le rapporteur, le Statut n'a pas prévu explicitement d'obligation d'adaptation – mais s'il l'avait fait, il aurait évité nombre de débats dans les États parties. Dès lors, le législateur a une marge de manoeuvre conséquente, d'autant plus que la doctrine elle-même est assez divisée sur le sujet : les professeurs Mireille Delmas-Marty et Xavier Philippe, tous deux spécialistes de cette question, estiment que l'effet induit par le principe de complémentarité est bel et bien la nécessité effective d'adapter le droit pénal national au Statut ; en revanche, le conseiller juridique du procureur de la CPI, M. Darryl Robinson, et l'expert des Nations unies sur cette question, M. Roy Lee, estiment qu'il n'y a pas d'obligation. Quant aux juges français à la CPI, que ce soit l'actuel, M. Bruno Cotte, ou le précédent, M. Claude Jorda, leur conception est celle d'un devoir des États en la matière, mais d'ordre moral.

Pour notre part, nous retenons que la France a signé et ratifié le traité de Rome, que l'article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 dispose que « tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi » et que la France est tenue par cette règle du jeu en vertu non seulement du droit international, mais aussi de certains principes constitutionnels qui lui sont propres – l'article 53-2 de la Constitution disposant que « La République peut reconnaître la juridiction de la CPI dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998 ». Dès lors, nos exigences d'adaptation découlent d'une obligation tant conventionnelle que constitutionnelle.

Deuxième question : le texte adopté par le Sénat correspond-il à la transcription des exigences du statut dans notre droit interne ?

La réponse, n'en déplaise au rapporteur, est clairement négative. C'est la raison pour laquelle la commission des Affaires étrangères, sur le rapport – dont je salue la qualité – de Mme Nicole Ameline, a adopté des amendements à l'unanimité – unanimité qui n'est donc pas, monsieur le rapporteur, réservée au Sénat. Par ailleurs, élément également omis par notre rapporteur, une Coalition française pour la CPI, rassemblant quarante-cinq organisations dont certaines sont peu coutumières de ce type de regroupement – je pense notamment au Barreau de Paris ou à Amnesty International – estime que le texte du Sénat est en deçà des exigences. Quant à la Commission nationale consultative des droits de l'homme, elle a formulé le 6 novembre dernier, à l'occasion de son assemblée plénière, des recommandations à l'attention du législateur. Je pourrais également évoquer la position du Comité international de la Croix-Rouge. Il ne nous paraît donc pas possible d'adopter conforme ce texte, comme nous y invite le rapporteur.

Troisième interrogation : faut-il élargir la compétence territoriale des tribunaux français, afin de permettre la poursuite et le jugement des auteurs de génocides, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre commis à l'étranger ?

Le projet de loi initial du Gouvernement rejetait expressément toute attribution aux juridictions françaises d'une compétence universelle. Cela pouvait paraître surprenant, voire choquant, mais ce n'était pas illogique, dans la mesure où aucune obligation de poursuivre et de punir au titre de la compétence universelle ne figure dans le corps du traité. Le Sénat s'en est justement ému et a introduit ce principe ; mais il l'a en même temps vidé de son contenu, puisqu'il a soumis cette compétence universelle à quatre conditions cumulatives qui rendent sa mise en oeuvre impossible. Aucun autre système juridique en Europe n'accumule autant d'obstacles à la poursuite de criminels internationaux.

Dans notre droit pénal actuel, en vertu de diverses conventions internationales, nous reconnaissons, d'ores et déjà, le principe de la compétence universelle de nos juridictions pour les actes de torture – article 689-2 du code de procédure pénale –, pour les actes de terrorisme – article 689-3 du même code – et pour les actes de corruption – article 689-8. C'est aussi le cas pour les infractions commises lors des conflits en ex-Yougoslavie ou dans le génocide rwandais. La France ne peut donc pas se permettre d'adopter dans ce domaine une position minimale ; elle doit faire preuve de cohérence avec les positions qu'elle prend régulièrement au niveau international en faveur de la justice internationale. Elle ne doit pas donner l'impression qu'elle se défausse de ses responsabilités sur la CPI, quand les autres pays européens ont accepté d'assumer les leurs.

La commission des Affaires étrangères a ouvert la voie en proposant la suppression des verrous posés par le Sénat. Il serait normal que la commission des Lois transforme l'essai.

Quatrième et dernière question : faut-il rendre les crimes de guerre imprescriptibles ?

L'article 29 du Statut de Rome dispose que « Les crimes relevant de la compétence de la Cour ne se prescrivent pas ». Pourtant, le texte voté par le Sénat prévoit un délai de prescription de trente ans pour les crimes de guerre et de vingt ans pour les délits. Pourquoi n'avoir pas simplement transposé en droit interne le principe international ? Là encore, il y a un débat juridique. Je ne doute pas que vous allez nous citer l'avis du 29 février 1996 du Conseil d'État – il vous arrive de vous appuyer sur ses avis –, selon lequel la règle de l'imprescriptibilité est contraire à la Constitution. Mais le Conseil constitutionnel, dans une décision du 22 janvier 1999, a dit exactement le contraire, en considérant « qu'aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, n'interdit l'imprescriptibilité des crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale ». Au demeurant, notre code de justice militaire prévoit, d'ores et déjà, l'imprescriptibilité de certains crimes de désertion.

L'argumentation qui a emporté l'adhésion des sénateurs est que l'imprescriptibilité doit être réservée aux seuls génocides et crimes contre l'humanité, afin de marquer leur spécificité. Mais ce n'est qu'une barrière de papier : rien n'empêche un juge français, au nom de la hiérarchie des normes, de s'affranchir de la loi pour appliquer le traité – qui, lui, prévoit l'imprescriptibilité des crimes de guerre. Voilà pourquoi il est logique de pencher pour la simplicité. Il ne saurait exister une hiérarchie juridique de l'horreur. Un texte portant « adaptation du droit pénal à l'institution de la CPI » doit avoir pour ambition de correspondre au plus près aux exigences du traité international que la France a librement signé.

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