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Intervention de Hervé Gaymard

Réunion du 18 mai 2010 à 15h00
Débat sur les relations entre l'union européenne et les pays d'afrique des caraïbes et du pacifique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Gaymard, rapporteur de la commission des affaires étrangères et de la commission des affaires européennes :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État chargée du commerce extérieur, cher Jean-Claude Fruteau, rapporteur de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, autant ne pas s'embarrasser de périphrases : la négociation des accords de partenariat économique entre l'Union européenne et les pays l'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, qui devait aboutir le 31 décembre 2007, est un échec. Cet échec ne tient pas seulement au non-respect du calendrier fixé à Cotonou en juin 2000 – on sait que dans les négociations communautaires et internationales il ne faut pas se laisser impressionner par la tyrannie du calendrier car la prolongation des échéances ne provoque jamais les catastrophes annoncées –, le véritable échec tient au malaise profond qui caractérise désormais les relations entre l'Union européenne et les pays ACP. C'est pourquoi il convient de refonder ces relations avec imagination et volontarisme.

Depuis 1957, les accords d'association ayant été prolongés par les conventions de Yaoundé et de Lomé, l'Europe avait construit un partenariat exemplaire avec les pays du Sud à un moment où la construction européenne était inséparable d'une politique active d'aide au développement. Le modèle de Lomé associait soutien budgétaire et commercial, aide au développement et préférences commerciales non réciproques et s'appuyait sur des mécanismes originaux, parmi lesquels les accords par produits de base.

Ce modèle a été contesté dans son efficacité économique depuis le début des années 90 et si l'Europe a continué à apporter aux pays ACP un volume d'aide élevé et a pris une initiative importante avec le régime « Tout sauf les armes » qui accorde aux produits des PMA un accès au marché européen en franchise de droits, elle a été distraite de son tropisme pour le développement.

Les accords de Marrakech créant l'OMC en 1994 et les préoccupations européennes d'élargissement à l'Est et la création de l'euro ont eu raison de ce partenariat dont l'un des fondements, l'asymétrie des préférences commerciales, n'apparaissait pas conforme aux principes de l'OMC.

Allant même au-devant des exigences de l'OMC, l'accord de Cotonou de 2000 a transformé le partenariat de Lomé en un cadre destiné à développer le libre-échange entre l'Europe et six zones régionales. Les objectifs d'éradication de la pauvreté et de soutien à l'intégration régionale étaient posés sans grande conviction dans la mesure où le mandat donné à la Commission en 2002 se limitait aux seules questions commerciales. L'échec était inscrit dès le début et a été consommé au fil des négociations et des malentendus. Le point d'orgue de cet échec aura été la déclaration du président Wade en décembre 2007, à quelques jours de la date butoir fixée par l'OMC pour la fin des préférences commerciales asymétriques.

Quelles sont les raisons d'un tel blocage et d'une telle perte de confiance ?

Le négociateur européen de l'époque, le commissaire au commerce, M. Mandelson, a commis – disons-le – des erreurs inexcusables quant aux attentes des pays ACP : intransigeance sur le calendrier, organisation des négociations par une administration en tuyaux d'orgue interdisant donc la concertation, approche libérale sans concession. Quant aux pays ACP, ils n'étaient de toute évidence pas préparés à une négociation à haut risque, dépourvus qu'ils étaient de la capacité de négocier, dotés d'une structuration régionale insuffisante et inégale, et divisés par des intérêts divergents.

En décembre 2007, l'Union européenne a paré au plus pressé en signant des accords dits intérimaires à seule vocation commerciale afin d'éviter que les pays non PMA comme le Cameroun ou la Côte d'Ivoire ne basculent dans le régime de droit commun des préférences généralisées.

Aujourd'hui, quel bilan établir ? Voici : un seul accord de partenariat économique complet avec la zone Cariforum, des accords intérimaires insatisfaisants et souvent non ratifiés et des blocages sur des points essentiels comme le taux de libéralisation des échanges, le maintien des prélèvements communautaires, des engagements flous sur le volet développement. Depuis décembre 2009, date à laquelle nous avons, avec Jean-Claude Fruteau, publié notre rapport, aucune avancée significative n'a été réalisée.

Pourtant, le contexte institutionnel renouvelé est l'occasion pour l'Europe, fidèle à sa vocation, de proposer aux pays ACP des accords de partenariat de développement économique et commercial.

Il conviendrait en effet de privilégier un nouveau style de négociations mêlant problématiques commerciales, développement, gouvernance publique, avec une attention particulière aux systèmes douaniers et fiscaux qui permettront à nos partenaires de passer progressivement à un système assis sur des recettes fiscales plus favorable au développement économique au détriment des recettes dites « de port », c'est-à-dire des recettes douanières. Le souci de mise en conformité avec les règles de l'OMC ne doit pas constituer la ligne directrice de l'Europe : nous devons préalablement et conjointement avec nos partenaires définir ce projet commun.

Sans préjuger le contenu de ces accords que nous appelons de nos voeux, ceux-ci pourraient s'articuler autour des volets suivants : il s'agirait de concentrer l'aide du Fonds européen de développement et de miser sur les grands secteurs – électricité, infrastructures de transport, agriculture ; il faudrait ensuite laisser aux pays ACP la plus grande marge de manoeuvre et d'asymétrie en acceptant des protections temporaires et dégressives pour permettre aux secteurs économiques de se développer ; puis il conviendrait d'imaginer de nouveaux systèmes protégeant les produits de base des trop grandes variations, à l'image de ce que l'AFD a mis en place avec le fonds de lissage pour le coton en Afrique ; enfin, nous devrions mettre en oeuvre des programmes de coopération administrative et financière afin de faire progresser l'intégration régionale et de moderniser les systèmes douaniers et fiscaux des pays ACP.

Ces dernières années, l'Europe a été distraite de son tropisme ancien pour le développement des pays ACP. Certes, les volumes d'aides sont restés importants, certaines initiatives comme « Tout sauf les armes » se sont révélées utiles, mais le coeur n'y était plus. Sollicitée par les élargissements, par la mise en place de l'euro, l'Europe a laissé le champ libre à la logique strictement commerciale, donc désincarnée, de l'OMC.

Nos partenaires l'ont bien compris. C'est pourquoi ils ont eu raison de bloquer cette négociation. Il ne faut donc pas s'entêter dans cette logique forclose mais définir ensemble un nouvel horizon dans un monde qui doit se construire sur de nouvelles bases.

Les pays ACP et les pays européens représentent près de la moitié des États membres de l'ONU et bien davantage encore des pays appartenant à l'OMC. Ils ont donc les moyens, pourvu qu'ils le veuillent, d'imposer une nouvelle volonté.

Nous en appelons donc à l'audace, à l'imagination pour ce grand dessein – et Dieu sait si l'Europe a besoin de grands desseins en ce moment, faute de quoi elle entrerait définitivement dans les faubourgs de l'histoire, pour reprendre la belle expression d'Octavio Paz. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

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