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Intervention de Serge Letchimy

Réunion du 18 septembre 2007 à 15h00
Maîtrise de l'immigration intégration et asile — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy :

Monsieur le ministre, nous sommes quelques-uns ici à porter la souffrance, la complexité et les bouleversements de l'humanité.

Comme de nombreux hommes de la minorité dite visible, je suis la résultante des processus migratoires, accélérés et massifs, qui se sont mis en oeuvre sur le continent américain avec la découverte du nouveau monde : la traite des nègres, la colonisation et les déplacements de populations qui ont « compensé » de nombreux génocides.

Je viens de plusieurs continents et, chaque jour de ma vie, je suis en présence de plusieurs cultures, de plusieurs langues, de plusieurs mémoires. Et, autant que je m'en souvienne, toute mon enfance a été habitée par plusieurs dieux qui s'accordaient entre eux pour nous aider à combattre les misères. Cette identité mosaïque structure mon imaginaire sans faire de moi un suspect, à l'image des immigrés. Elle me confère, au contraire, une vision du monde souvent inconfortable, mais toujours très riche, complexe et très ouverte.

C'est parce que je suis de cette diaspora du monde que je porte sur la France, sa République et ses urgences, le regard du citoyen et la vision de l'étranger. C'est parce que je porte tout cela en moi que j'ai été triste en apprenant l'appellation de votre ministère. Et je le suis encore plus en découvrant le projet de loi que vous nous soumettez.

Je sais que le monde change, qu'une globalisation libérale et financière met désormais en contact tous les peuples, toutes les terres, toutes les langues et tous les dieux, dans un marché aussi vaste qu'immoral. Je sais que l'opulence des uns est désormais visible du plus profond de la misère des autres et que les élans migratoires, qui ont toujours accompagné la pulsion de survie de nos humanités, ont repris avec force et risquent de s'amplifier encore sous les effets du réchauffement climatique. Dès lors, les politiques nationales des pays riches doivent tenir compte de ces phénomènes et tenter de les traiter au mieux, en se référant plus que jamais à leurs valeurs fondatrices plutôt qu'en les reniant.

Vous faites beaucoup référence aux valeurs de la République, et c'est en vous arc-boutant sur ces valeurs que vous prétendez mettre en oeuvre des dispositifs de chasse ouverte aux clandestins, que vous restez sourd aux appels désespérés et aux grèves de la faim, que vous imposez à vos préfets des objectifs d'expulsion préchiffrés qu'ils doivent exécuter sous peine de sanction, en dépit du contexte de leur département ou des réalités humaines – pour ne pas dire des détresses – auxquels ils se voient confrontés.

Ces valeurs auxquelles vous prétendez vous référer, je les connais et elles m'habitent. Et c'est pour cela que je vois à quel point on peut les bafouer, voire les trahir. Oui, on peut les bafouer.

Quand on regarde le monde depuis la Caraïbe, on voit le rayonnement de la France. On voit une présence nationale singulière qui tranche sur toutes les autres et qui lui constitue une véritable identité liée à des principes qui se sont révélés précieux pour tous les peuples, toutes les cultures. Pas une élévation, pas un combat libérateur, pas un désir de plus d'humanité ne s'est exprimé dans le monde sans une référence à la terre des libertés, à la terre des droits de l'homme, haut lieu de la laïcité, à la patrie d'une exigence sans faille pour une humanisation de l'homme. Même quand il a fallu se battre contre elle, ce fut le plus souvent avec des principes et des valeurs que la France avait su porter et proposer à tous. Et cette identité nationale ne peut pas avoir peur du monde.

Elle ne peut pas se sentir menacée par des vagues d'immigrés qui viennent y chercher un emploi, un peu de mieux-être, un rien de dignité.

Cette identité nationale ne peut pas s'administrer. Elle ne peut pas se gérer comme une marchandise, se réguler comme un quelconque précepte. Elle ne peut surtout pas s'enfermer derrière des murs ou même derrière un « mur-ministère », selon l'expression de Glissant et Chamoiseau. De l'identité, pas de ministère !

L'identité nationale française est une valeur vivante, elle va dans les imaginaires du monde, elle porte la France depuis des siècles vers le monde, elle habite et accompagne ceux qui s'élancent vers vous.

Et c'est justement au nom de cette identité que je ne peux admettre l'idée que l'on puisse accueillir un être humain sur son sol, lui donner le droit de séjourner et de fournir sa force de travail tout en déployant de multiples obstacles pervers, des voies de garage insidieuses, des pistes interminables, des faux prétextes et autres chausse-trappes, quand il veut compenser sa solitude en faisant venir sa femme ou ses enfants, ou simplement en voulant rapprocher de lui ceux qu'il aime et qui lui sont proches.

Dans votre projet, monsieur le ministre, tout est prévu pour qu'il fournisse son énergie, s'épuise et s'en aille au plus vite ! Pourtant, c'est à un homme que l'on a ouvert la porte, pas à une machine.

On ne peut fouler au pied des principes de dignité humaine au prétexte que quelques-uns tentent de les pervertir ou d'en faire un trafic lamentable. L'existence du vice ne doit pas faire renoncer à la vertu, bien au contraire. L'esprit de dignité humaine et de liberté qui caractérise la France ne doit pas renoncer à lui-même face aux grouillements obscurs de la misère et de la perversion.

Aucune langue ne peut vivre et s'enrichir sans un frottement constant aux autres. Accueillir une langue, ce n'est pas renoncer à la sienne ; l'imposer aux autres ce n'est pas la défendre, bien au contraire. Et je préfère me battre pour que tous les États de la Caraïbe s'accordent pour créer un office commun des immigrations, plutôt que de dresser un mur ou renoncer à la plus petite part de ce principe.

Si l'intégration suppose, selon vous, une désintégration préalable, je ne vois là qu'une alchimie d'appauvrissement. C'est ce qui explique certainement l'échec du modèle d'intégration et la persistance des discriminations raciales en France.

Si l'idée intéressante de codéveloppement ne sert qu'à calmer la susceptibilité de pays dont on humilie les ressortissants, je ne vois là aucune valeur républicaine, aucune valeur humaine, je vois au contraire l'arrogance orgueilleuse qui a caractérisé l'esprit de colonisation ou les idéologies de hiérarchisation des cultures et des races.

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