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Intervention de Jean-Pierre Brard

Réunion du 3 mai 2010 à 21h30
Projet de loi de finances rectificative pour 2010 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Brard :

Il s'agit d'un autre débat, qui nous entraînerait sur un autre terrain ! (Rires.)

Madame la ministre, la semaine dernière, vous avez déclaré avec une certaine satisfaction que ce prêt serait l'occasion pour la France de gagner de l'argent. Certes, je comprends que vous vous réjouissiez de réunir quelques euros supplémentaires pour boucher une partie des nombreux trous du budget de la nation française. Mais il n'est tout de même pas convenable de prêter à 5 % de l'argent emprunté à 2 % environ ; d'autres l'ont dit tout à l'heure. La situation précaire des finances grecques était déjà suffisamment exploitée par les établissements financiers pour ne pas l'être maintenant par les États membres de l'Union.

Cependant, avant d'approfondir davantage les raisons qui nous poussent à rejeter ce projet de loi de finances rectificative, je voudrais rappeler ce que la civilisation européenne doit à la Grèce, à cette Grèce aujourd'hui décriée, taxée de corruption, de laxisme et de paresse. J'entends déjà les députés de la majorité – si d'autres que MM. Lequiller, Perruchot et Carré étaient présents – me reprocher avec indignation d'être hors sujet. Mais il faut traiter les peuples, quels qu'ils soient, avec respect ; or le respect repose sur la connaissance et la reconnaissance de leur histoire et de ce qu'ils ont apporté aux autres peuples.

Remémorez-vous donc ce que le peuple grec nous a montré et apporté au cours des siècles. Socrate n'est-il pas le père de toute la philosophie, lui qui a posé les fondements de la recherche de la vérité et de la sagesse ? Hérodote et Thucydide ne furent-ils pas les premiers à raconter le monde en chroniques, fondant l'histoire comme narration des événements et des processus, dépassant ainsi la seule transmission des mythes ? On pourrait également citer Thalès de Millet, considéré comme le père de la science parce qu'il a attribué aux phénomènes des causes naturelles et non surnaturelles. Cet héritage si précieux est celui d'une quête inextinguible de progrès. Je me dois d'évoquer en outre la tragédie grecque, cette formidable sublimation des passions et des interrogations humaines.

Ce foisonnement du savoir est largement dû au développement, dans la Grèce antique, d'un mode de pensée original qui, pour la première fois dans l'histoire occidentale, a placé l'homme au centre des préoccupations. Vous voyez que je reviens à mon sujet : dans l'affaire grecque qui nous occupe aujourd'hui, ce n'est pas l'homme – grec ou d'ailleurs – qui est au centre, mais les revenus des banquiers ! Nous y reviendrons au cours de la discussion.

Cette place centrale accordée à l'homme a logiquement amené l'élaboration d'un système politique auquel nous devons notre présence dans cet hémicycle : la démocratie. En posant les fondements de ce régime politique, le peuple grec a nourri une ambition qui s'étend à toute l'humanité. À travers les aléas de l'histoire, de la guerre d'indépendance contre l'Empire ottoman, en 1821, à l'héroïque résistance contre les troupes de l'Axe tout au long de la Deuxième Guerre mondiale, ce peuple est resté farouchement attaché à sa liberté et aux principes de ses antiques ancêtres, pour lesquels l'harmonie ne pouvait être obtenue que par le gouvernement du peuple pour le peuple.

Hélas, cette exemplarité a rencontré notre ingratitude. Ainsi, pendant la dictature des colonels, de 1967 à 1973, la France comme l'Allemagne fédérale avaient choisi de maintenir leurs relations diplomatiques avec le régime fasciste au pouvoir à Athènes ; pire, ils lui vendirent des armes. Oui, chers collègues : il y a quarante ans, le gouvernement français soutenait une junte meurtrière qui avait abrogé la Constitution et toutes les libertés publiques ; et, aujourd'hui, nous nous vantons de réaliser un profit sur le dos d'un État et d'une population déjà bien malmenés.

En fait de solidarité européenne, on a vu mieux ! Est-ce donc là votre vision de l'Union ? Est-ce le message que vous voulez adresser à la jeune génération grecque, dite des « sept cents euros » ? Cet épisode nous éloigne encore davantage d'une Europe politique, instrument de progrès et de protection des peuples.

Par le plan que vous développez, vous allez monter la population grecque contre l'Europe. Vous l'humiliez ! Vous persistez à vouloir construire une civilisation au rabais, empreinte d'égoïsme et marquée par la seule recherche du profit à court terme, un modèle de société au service des intérêts privés et des banques, négligeant l'émancipation humaine et le droit de chacun à l'épanouissement.

Pourtant, une autre politique est possible, et je voudrais, madame la ministre, monsieur le ministre, vous suggérer quelques pistes.

Tout d'abord, il faut associer financièrement les banques au redressement des finances grecques. Il faut taxer les bénéfices, créer enfin la taxe Tobin – dont j'ai cru comprendre, madame Lagarde, que, après quelques hésitations, vous étiez devenue une apôtre.

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