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Intervention de Anne Durupty

Réunion du 28 avril 2010 à 10h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Anne Durupty, directrice générale déléguée du Centre national du cinéma et de l'image animée :

Je pense parler au nom de l'ensemble des professionnels en exprimant toute ma satisfaction que votre Commission organise cette table ronde sur le cinéma, secteur effectivement confronté à des enjeux très importants.

Globalement, les résultats de l'exploitation sont très bons : en 2009, on a presque atteint 201 millions d'entrées, un chiffre que l'on peut qualifier d'historique, le meilleur en tout cas depuis 1982 ; et sur les premiers mois de l'année 2010, la fréquentation des salles a augmenté d'environ 10 %. D'un point de vue structurel, deux facteurs essentiels expliquent cette situation.

Tout d'abord, la diversité et la qualité du parc de salles sont tout à fait remarquables. Notre pays compte 2 060 établissements cinématographiques exploitant 5 470 salles, et contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays européens, ce nombre est en légère augmentation par rapport aux années précédentes. En outre, cette croissance est diversifiée : une dizaine de multiplexes ont ouvert en 2009, mais aussi dix-sept salles mono-écran. Environ la moitié de ces établissements sont classés « Art et essai ».

De même, il faut souligner la diversité et la qualité de l'offre de films, notamment s'agissant de la production nationale. Celle-ci a certes pâti d'un tassement des financements dû à la crise économique, mais reste néanmoins très dynamique. La part de marché du cinéma français était de 37 % en 2009 : c'est un peu moins qu'en 2008, année marquée par le succès de Bienvenue chez les Ch'tis, mais c'est encore dans la moyenne des dix dernières années, où l'on a oscillé entre 35 et 45 %. Là encore, le résultat est remarquable par rapport aux pays voisins.

Contrairement à ce que l'on croit, la concentration de la fréquentation a plutôt tendance à diminuer. Par exemple, en 2009, 50 films, dont 18 français, ont réalisé plus d'un million d'entrées, et 100 films plus de 500 000 entrées. Or ces 100 films sont d'une grande diversité de genre et d'origine. Il faut saluer le travail des distributeurs qui les portent jusqu'à leur public.

Cependant, au-delà de ces résultats globaux très réjouissants, les évolutions sont très contrastées selon les catégories d'exploitation. Ainsi, en 2009, alors que la croissance était de 8 % pour la grande exploitation – correspondant à plus de 450 000 entrées par an –, les résultats ont stagné dans la petite exploitation, où l'on observe même de fortes baisses depuis plusieurs années. Si la crise a eu paradoxalement un effet plutôt positif en attirant plus de monde dans les salles de cinéma, elle a au contraire pesé sur la fréquentation dans les petites villes et les zones rurales. Mais il existe des explications d'ordre structurel à la difficulté grandissante des petites exploitations à équilibrer leurs comptes. L'été dernier, la FNCF a tiré la sonnette d'alarme à ce sujet, et le Parlement l'a entendue en décidant d'élargir les possibilités d'exonération de la nouvelle contribution économique territoriale. De son côté, le CNC a pris des mesures d'urgence pour renforcer ses aides et travaille avec la Fédération pour alléger de façon durable les charges pesant sur les salles. Nous travaillons également avec le médiateur du cinéma et les distributeurs sur l'amélioration des conditions d'accès aux films. Si nous voulons préserver la diversité du parc de salles, élément essentiel du succès du cinéma en France, la plus grande vigilance s'impose.

Mais il est clair que l'enjeu majeur, pour l'exploitation et pour la distribution, est le passage à la projection numérique. Le CNC y travaille depuis plusieurs années, en étroite concertation avec les professionnels et avec la représentation nationale. Nos travaux nous avaient conduits à proposer un fonds de mutualisation, mais celui-ci n'a malheureusement pas été validé par l'Autorité de la concurrence. Il est vrai que pour des raisons historiques, les pratiques de notre secteur cohabitent souvent difficilement avec le droit de la concurrence. Il nous a donc fallu trouver, en urgence, d'autres solutions.

Il y a en effet urgence, pour l'ensemble du parc, à passer au numérique. Aujourd'hui, 20 % des salles – environ 1 000 – sont équipées. Pour l'essentiel, elles appartiennent aux grands circuits, pour lesquels il est plus facile de trouver les financements sur le marché. Si la petite et moyenne exploitations ne s'équipent pas rapidement, elles risquent de se retrouver marginalisées.

Nous avons donc élaboré, en étroite relation avec un petit groupe de députés et de sénateurs, deux outils complémentaires. Le premier consiste en un encadrement législatif destiné à garantir un certain nombre de principes : neutralité du système de financement par rapport aux relations entre exploitants et distributeurs ; liberté de programmation des exploitants ; maîtrise du plan de diffusion par les distributeurs ; organisation des contributions des distributeurs au bénéfice du financement des équipements des salles, de telle sorte qu'elles ne soient ni excessives par rapport aux économies effectivement réalisées par les distributeurs, ni d'une durée trop longue.

Cette organisation du financement ne sera cependant pas suffisante pour permettre l'équipement de toutes les salles en numérique, ce qui reste l'objectif du CNC. Nous avons donc préparé un deuxième outil, consistant en un système d'aides plus traditionnel, principalement destiné aux salles de un à trois écrans, qui éprouvent le plus de difficultés à trouver des moyens financiers pour s'équiper en matériel numérique. Les fonds proviendront du Fonds de soutien, du grand emprunt national – conformément à l'annonce faite par le Président de la République le 9 février dernier à l'occasion des Assises des territoires ruraux – et des collectivités locales, notamment les régions. Le CNC coordonnera l'ensemble de ces aides.

Des études sont également en cours pour attribuer une aide spécifique aux salles dites « peu actives », comme les salles saisonnières, particulièrement importantes dans les zones de montagne, ou les circuits itinérants, qui irriguent un nombre important de communes rurales.

Nous nous réjouissons du dépôt par M. Herbillon d'une proposition de loi poursuivant ces objectifs. Mais ce n'est que le début du travail en profondeur qu'il faudra effectuer. Un texte ne peut pas tout régler. Une des grandes vertus de cette proposition de loi est d'envisager, sans risque de difficultés au regard du droit de la concurrence, la création d'un comité de concertation institutionnalisé entre exploitants et distributeurs. Il me paraît essentiel que les professionnels travaillent ensemble à l'élaboration de bonnes pratiques et qu'un bilan régulier soit effectué, de façon à procéder aux ajustements qui se révéleraient nécessaires. Ce texte a également l'avantage de prévoir le recours au médiateur du cinéma pour résoudre les conflits qui pourraient apparaître en matière de financement de l'équipement numérique.

La question de ce financement est évidemment primordiale, mais les enjeux vont bien au-delà : ce sont les conditions mêmes de diffusion du film, et donc les métiers d'exploitant et de distributeur, qui vont être modifiés par la technologie numérique. Notre devoir est de faire en sorte que ce soit au bénéfice de la diversité culturelle, et non à son détriment. Cela n'est pas gagné d'avance, et c'est pourquoi de nombreux sujets doivent être débattus avec les professionnels et entre eux. Les engagements de programmation doivent-ils être revus ? Comment faut-il traiter la diffusion des programmes autres que les oeuvres cinématographiques ? On peut considérer cette table ronde comme le coup d'envoi de la concertation approfondie qui doit avoir lieu et à laquelle le CNC prendra toute sa part.

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