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Intervention de Valérie Fourneyron

Réunion du 29 avril 2010 à 9h45
Restitution par la france des têtes maories à la nouvelle-zélande et gestion des collections — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Fourneyron :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi relative à la restitution par la France des têtes maories dépasse les clivages politiques, comme l'ont dit les uns et les autres ce matin, ce dont je les remercie, comme cela a été le cas au conseil municipal de Rouen, au Sénat et comme ce le sera, je l'imagine, la semaine prochaine lors du vote de ce texte, nos débats en commission l'ayant montré.

Toutefois, je ne résiste pas à la tentation de relever une forme de paradoxe qui illustre la complexité des sujets que nous abordons aujourd'hui. Apollinaire, André Malraux, André Breton, Claude Lévi-Strauss se sont battus pour que les arts jadis appelés « nègres », aujourd'hui dénommés « premiers », entrent au Louvre. Ils portaient le rêve d'un dialogue des cultures, rendu possible grâce à la part d'universel dont chacune est porteuse. Et pourtant, nous nous interrogeons aujourd'hui sur quoi, à qui, pourquoi, comment restituer une part d'eux-mêmes aux peuples auxquels ces cultures sont rattachées. Je ne dis pas que c'est contradictoire, mais c'est ainsi.

La proposition de loi de Mme Catherine Morin-Desailly, même si elle appelle un débat plus large en modifiant les missions et la composition de la commission scientifique nationale des collections, aborde principalement la question spécifique des têtes maories dispersées dans les collections des musées de France.

Mme Le Moal a rappelé l'importance, pour les Maoris, de ce que nous appelons de façon édulcorée ce « matériel culturel sensible ». Il s'agit de têtes de guerriers de hauts rangs à caractère sacré, dont les tatouages signifiaient le courage, qui avaient vocation à être exposées à la vue de tous pour être vénérées jusqu'à ce que leur état de dégradation ne le permette plus. Elles étaient alors inhumées, permettant, selon les croyances maories, de ne pas condamner l'âme du défunt à l'errance. À l'époque coloniale, les collectionneurs ont cherché à tout prix à se procurer ces trophées, afin de compléter leurs cabinets de curiosité. Le commerce sordide qui a suivi l'explosion de la demande, donnant lieu à la décapitation d'esclaves qu'on avait tatoués pour la circonstance, est connu. Les têtes maories conservées dans les collections européennes et mondiales sont, à ce titre, une trace historique importante.

Depuis plusieurs années, les demandes de rapatriement de restes humains, et plus largement d'objets culturels acquis dans des conditions considérées aujourd'hui comme illégitimes, se sont multipliées. Il s'agit de mouvements de patrimonialisation identitaire justifiés, qui s'inscrivent en parallèle dans le cadre d'une réflexion mondiale sur les droits des peuples autochtones. Je pense bien sûr aux déclarations des Nations unies, de l'UNESCO, au code de déontologie du conseil international des musées, etc.

Jusqu'à présent, la France ne s'est pas illustrée par son empressement à répondre aux demandes de rapatriement de ces restes humains et objets sacrés. Elle s'est montrée, au contraire, plutôt frileuse, vraisemblablement par peur du précédent juridique. Le seul événement notable est celui maintes fois cité de la remise à l'Afrique du Sud de la « Vénus hottentote », triste témoignage des zoos humains, en 2002. La question des têtes maories s'est posée en 2007, avec ce que l'on a appelé l'affaire de Rouen.

J'y reviens rapidement. En octobre 2007, le conseil municipal de Rouen décide à l'unanimité de restituer la tête maorie retrouvée dans les collections de son muséum d'histoire naturelle à la Nouvelle-Zélande. À cette époque, Pierre Albertini était maire. La ville estimait que l'article 16-1 du code civil, issu des lois bioéthiques et spécifiant que « le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial », l'autorisait à se dispenser de la procédure de déclassement. J'ajoute que les élus, comme le directeur du muséum, Sébastien Minchin, dont je salue l'immense travail et la présence aujourd'hui, n'ont pas été encouragés à faire appel à cette commission au vu de son « inertie manifeste » sur ce sujet du déclassement, pour reprendre une expression du rapport Rigaud, estimant que le droit du déclassement des oeuvres appartenant aux collections publiques, expressément voulu par le législateur en 2002, est resté, jusqu'à nouvel ordre, un droit virtuel. Le ministère de la culture a donc saisi le tribunal administratif. S'en est suivie l'annulation de la délibération du conseil municipal, confirmée en appel – je me pencherai dans un instant sur l'interprétation du droit.

Un mois après son installation, le nouveau conseil municipal élu en 2008 a adopté, là encore à l'unanimité, une motion sur ma proposition, visant à poursuivre l'engagement de la ville de Rouen en faveur de la restitution de sa tête maorie. La proposition de loi de Catherine Morin-Dessailly et son inscription à l'ordre du jour de notre Assemblée dans le cadre de la niche parlementaire réservée au groupe Nouveau centre, ce dont je le remercie,...

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