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Intervention de Alain Bocquet

Réunion du 28 avril 2010 à 15h00
Débat sur l'évolution de l'emploi industriel

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Bocquet :

Monsieur le président, monsieur le ministre chargé de l'industrie, mes chers collègues, si le groupe des députés communistes et du parti de gauche a demandé que soit organisé un débat sur l'évolution de l'emploi industriel, c'est parce qu'il y a urgence : notre industrie est dans l'oeil du cyclone. MEDEF et Gouvernement feignent de s'interroger sur l'avenir d'une France sans industrie. Où sont les responsables politiques et patronaux qui prônaient l'ère postindustrielle ? Quand les députés communistes défendaient l'industrie et le « produire français », on les traitait de ringards, mais, en huit ans, notre part dans la production industrielle européenne a baissé de 25 % et notre industrie ne représente plus que 3,8 % de l'exportation mondiale. Or, pour un pays, l'industrie, c'est la vie.

Il ne suffit pas d'avoir tenu des états généraux de l'industrie pour croire que tout va changer comme par enchantement. Toute votre politique va à l'encontre des intentions affichées et la dure réalité s'impose, avec les questions majeures que sont le redressement de l'économie, le chômage et la précarité que subissent 5 millions de Français en âge de travailler.

Un chômeur sur quatre de la zone euro vit en France. Au moment de l'élection de Nicolas Sarkozy, le taux de chômage était de 7,8 %. Il est désormais de 10 %, et la crise ne fait que s'aggraver, la situation en Grèce est là pour nous le rappeler. Le bilan de l'Europe du capitalisme ultralibéral, que vous avez construite à marche forcée du traité de Maastricht au traité de Lisbonne, est désastreux.

En vérité, l'industrie est parasitée par la finance. C'est l'argent qui passe avant la production. Ainsi, avec leurs filiales de crédit, Renault et Peugeot gagnent plus d'argent en vendant de l'argent qu'en vendant des voitures. Tout est là. L'un des ressorts de la crise de système actuelle est le pillage des ressources du travail par les actionnaires, les fonds de pension et autres, avec leurs exigences de rendement à deux chiffres. Le seul enseignement que les plus fortunés de ce monde ont tiré de la crise, c'est : « Pourquoi changer ? Continuons comme avant, et en pire ! » Et votre gouvernement, hélas ! va au devant de leurs désirs. Tout l'effort de l'État depuis l'automne a visé à rétablir, à coups de centaines de milliards, leur rentabilité.

Du côté des donneurs d'ordres, la priorité est au cash, pas à l'investissement productif et salarial. L'étranglement des sous-traitants demeure plus que jamais la règle. Mais la France peut-elle sortir de la crise en abandonnant des pans entiers de son industrie et ses PME ? Son industrie peut-elle être facteur de croissance sans investissement dans l'emploi, les salaires et la formation ? C'est dans cette direction que l'argent devrait être réorienté en priorité. Mais le chef de l'État et la majorité ont procédé à un allégement sans précédent de la taxe professionnelle, au détriment des citoyens et des collectivités.

Vous persistez dans des solutions conformes à l'intérêt du CAC 40, mais contraires à celui du pays. Vous laissez Total fermer à Dunkerque et préparer le démantèlement du raffinage français. Vous laissez Renault, dont l'État est actionnaire, produire quatre voitures sur cinq à l'étranger, et Peugeot deux sur trois pendant que, en France, on liquide l'intérim et développe le chômage partiel. Ces deux grands groupes automobiles ont bénéficié de 6 milliards d'euros de l'État, et qu'en ont-ils fait ? Ils ont supprimé des emplois et délocalisé à l'étranger en dépit des engagements qu'ils avaient pris.

Vous laissez les constructeurs du ferroviaire, titulaires de commandes publiques, expatrier les trois quarts de la sous-traitance, tandis que nos PME restent sur le carreau, comme c'est le cas dans ma ville de Saint-Amand-les-Eaux, chez Delos où cinquante emplois viennent d'être supprimés, ou à Douai, chez AFR, où l'on envisage d'en supprimer 250, alors que vous prétendez relancer le fret ferroviaire.

Vous laissez ArcelorMittal agir au détriment de nos sites du Nord, de Lorraine et de Fos, alors que la production mondiale d'acier progresse de 24 %.

Notre industrie ne représente plus que 13,2 % de l'emploi et 16,4 % de la valeur ajoutée. Entre 2000 et 2008, elle a perdu 500 000 emplois et 180 000 de plus avec la crise en 2009.

Vous dites que, mondialisation oblige, c'est une fatalité. Mais l'exemple allemand prouve le contraire. La part de l'industrie dans notre PIB est de 12,2 % contre 17,7 % il y a dix ans. Elle est du double en Allemagne et en Italie. Mais, depuis dix ans, rappellent Les Échos, l'Allemagne développe « le maintien sur place des laboratoires et des usines », et elle redresse ses effectifs industriels salariés quand ceux de la France continuent de chuter. Or, dans une balance commerciale dangereusement déficitaire, c'est encore l'industrie qui représente 80 % des exportations françaises.

Vous évoquez volontiers la compétitivité et le coût du travail en France. Ce sont, là encore, des mensonges. Il suffit de lire la récente interview de Mme Mathilde Lemoine, directrice des études économiques de la banque HSBC France, qui n'a pas une sympathie particulière pour le parti communiste : « En réalité, dit-elle, le coût du travail français reste inférieur à celui du travail allemand. […] Au total, le coût d'une heure de travail est donc plus bas en France qu'en Allemagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et bien entendu au Danemark, en Suède ou au Luxembourg. » On ne saurait mieux dire.

Votre politique industrielle laisse le champ libre aux exportateurs de capitaux : 140 milliards d'investissements directs à l'étranger en 2009 comme en 2008. Vous négligez l'effort qu'exige la recherche, inférieure, en pourcentage du PIB, à son niveau de 2002. Vous démantelez l'éducation nationale quand le renouvellement des technologies appelle celui des savoirs. Vous ne mettez en place aucun dispositif pour remplacer sans rupture les 40 % de salariés qui, d'ici à cinq ans, vont partir en retraite, puisque la part du PIB allant à la formation professionnelle régresse depuis dix ans.

Enfin, vous avalisez les délocalisations, car il y a encore à ce titre 430 fermetures de sites industriels, pour 215 projets d'usines nouvelles. Et, en pleine crise, vous laissez le CAC 40 affecter 73 % de ses profits de 2009 en dividendes, soit 36 milliards pour les actionnaires.

Accumulation de cadeaux fiscaux et d'exonérations sociales – 80 milliards par an –, octroi de prêts et de fonds publics sans contrôle ni contrepartie, casse du droit du travail : voilà le fond de vos choix.

Sauver l'industrie exige de rompre avec l'exploitation du travail et la course aux profits. Et les moyens existent. Vous pourriez, par exemple, instaurer un crédit bancaire favorable à l'emploi et à la formation. Qu'attendez-vous pour engager cette démarche et l'adosser à la création d'un pôle financier public autour de la Caisse des dépôts ?

Il faut réorienter la Banque centrale européenne, l'utiliser pour protéger l'économie réelle des marchés financiers et promouvoir un droit d'accès aux marchés de l'Union européenne qui pénalise le dumping social et fiscal de certains États.

Il faut créer un fonds national pour l'emploi qui serait décliné au niveau régional et donner aux comités d'entreprise un pouvoir suspensif sur les licenciements économiques.

De même, l'usage des fonds publics octroyés pour l'emploi doit être contrôlé par l'institution qui a apporté les financements, la direction de l'entreprise, le comité d'entreprise et les élus locaux.

Il est nécessaire de soumettre les appels d'offres publics français à des règles qui permettent aux sous-traitants proches des donneurs d'ordre d'en bénéficier réellement. Je pourrais citer quelques exemples scandaleux dans le Valenciennois, notamment pour les sous-traitants ferroviaires : Alstom, maître d'oeuvre, transfère en Tchéquie ou en Pologne le travail qu'il devrait leur confier, alors qu'il s'agit de commandes publiques faites par la région, la RATP et la SNCF.

Il faut, par ailleurs, relever les salaires et relancer les services publics indispensables à l'essor de la société française.

Une industrie française moderne, présente sur le terrain de l'innovation, du « produire autrement » et capable de répondre aux besoins sociaux, voilà l'enjeu. Les Français sont très attentifs aux réponses qui seront apportées pour assurer le plus imprescriptible des droits : le droit au travail. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

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