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Intervention de Aurélie Filippetti

Réunion du 30 mars 2010 à 21h30
Ouverture à la concurrence des jeux d'argent en ligne — Reprise de la discussion

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurélie Filippetti :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous considérons que ce texte représente, non pas une opportunité, comme l'a affirmé notre collègue Perruchot, mais plutôt un danger, puisqu'il ne vise pas à apporter un encadrement, mais une dérégulation, à laquelle nous nous opposons. Ce n'est pas une entreprise comme les autres que celle consistant à ouvrir des paris sur Internet. Cet aspect est d'ailleurs expressément souligné à l'article 1er A, où il est indiqué que « les jeux d'argent et de hasard ne sont ni un commerce ordinaire, ni un service ordinaire ».

Alors que nous touchons à la fin de cette procédure législative, il convient de rappeler à quel point le fait de modifier cette législation séculaire, correspondant à une tradition française, alors que le contexte politique et juridique à l'échelle européenne est en pleine mutation, est une erreur.

Nous savons, monsieur le ministre, que votre majorité a, en commission, rejeté tous les amendements au texte du Sénat pour une seule raison : la nécessité d'obtenir un vote conforme afin d'aller vite, très vite, trop vite, afin que les agréments puissent être donnés avant l'ouverture de la Coupe du monde de football de juin prochain. Je me suis laissé dire que vous aimiez le football, monsieur le ministre. Vous devriez donc vous désoler de voir cette compétition ainsi minée, avant même d'avoir commencé, par une spéculation qui n'a rien à voir avec l'éthique du sport.

Il n'est pas non plus normal de forcer la main du législateur en l'obligeant de manière aussi brutale, à la hussarde, à remettre en cause les principes qui guident les jeux en France depuis plus d'un siècle : la prohibition, l'exception et l'exclusivité. Une telle manière de procéder ne relève pas d'impératifs d'intérêt général, mais bien d'intérêts privés – je ne m'étendrai pas sur cet aspect, que nous avons déjà largement évoqué et que nous aurons l'occasion d'évoquer encore ce soir.

Contrairement à ce qu'a affirmé M. Copé tout à l'heure, rien ne nous oblige à légiférer aujourd'hui – certainement pas, en tout cas, de prétendus desiderata de l'Union européenne. La Cour de Justice des Communautés européennes a en effet rappelé, dans l'arrêt Santa Casa, que la légalité des monopoles d'État était pleine et entière, dès lors que ces États mettaient en place des politiques de prévention de l'addiction afin de protéger l'ordre public. Depuis cet arrêt, l'inflexion du discours de la Commission elle-même est très nette.

Michel Barnier, nouveau commissaire européen au marché intérieur et aux services, a précisé en février dernier : « Il faut que nous traitions des aspects sociétaux, notamment des problèmes d'addiction liés au jeu, et des problèmes de cybercriminalité transfrontalière. » Depuis qu'ils ont choisi de retirer les jeux d'argent du champ d'application de la directive « Services » en 2006, les États membres n'ont pas été consultés par la Commission sur une initiative européenne ; c'est ce que propose de faire Michel Barnier aujourd'hui, avec la rédaction d'un livre vert sur le sujet.

Lors du débat du 11 février dernier au Parlement européen, les députés européens ont d'ailleurs appelé à une meilleure régulation du secteur, allant au-delà de la résolution adoptée en 2009. Il serait donc totalement absurde d'ouvrir aujourd'hui le marché des jeux en ligne, au mépris de la protection de l'ordre public et de la santé publique, au moment même où, partout en Europe, s'ouvre une nouvelle réflexion sur ces problématiques.

Grâce à la législation traditionnelle, les Français ne sont pas de gros consommateurs de paris – en tout état de cause, ils parient beaucoup moins que d'autres citoyens membres de l'Union européenne, en particulier les Britanniques. Or nous savons que l'addiction peut s'installer d'autant plus rapidement que la sollicitation du joueur est constante. C'est un problème de santé publique, mais aussi un problème social. L'INSERM a montré que les populations les plus pauvres étaient plus sensibles aux dépenses ludiques : le pourcentage des dépenses ludiques est plus important au sein de ces populations, même si les sommes consacrées au jeu sont plus réduites. Face à cela, la première et la seule des préventions est bien la limitation de l'offre.

L'ouverture à de nouveaux opérateurs et la lutte contre la dépendance sont donc des objectifs contradictoires. Vous l'avez vous-même reconnu dans votre propos introductif, monsieur le ministre, quand vous avez indiqué que vous alliez compenser, sur le plan fiscal, la baisse des taux par une augmentation de l'assiette – c'est-à-dire une augmentation de la consommation.

Enfin, il faut faire un sort à l'argument qui nous est souvent opposé, selon lequel nous allons légaliser ce qui illégal. Cet argument est fallacieux. En réalité, c'est tout le contraire qui se produira : la prolifération de l'offre légale n'asséchera pas l'offre illégale, mais démultipliera les tentations pour les joueurs et produira, notamment sur les jeunes, une sollicitation constante. L'application générale du principe auquel vous vous référez pour les paris devrait nous conduire, dans un autre domaine, à légaliser la consommation de cannabis en France : puisqu'il existe un marché illégal, autant faire en sorte de légaliser afin que l'État puisse en profiter et réduire ainsi le déficit des finances publiques !

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