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Intervention de André Chassaigne

Réunion du 30 mars 2010 à 21h30
Ouverture à la concurrence des jeux d'argent en ligne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

La protection de l'ordre social et celle de la santé publique étant des arguments fallacieux, les textes européens ménageant d'ores et déjà la possibilité pour un État membre de déroger au principe général de concurrence libre et non faussée, quelles sont donc les raisons profondes qui subsistent et vous poussent à manoeuvrer frénétiquement en faveur de l'ouverture à la concurrence ?

Permettez-moi de vous conter la petite histoire d'un entrepreneur bien en vue, qui fait l'admiration des milieux affairistes et jouit d'appuis et d'amitiés dans les plus hautes sphères de l'État. Tout le monde, sur ces bancs – sauf M. Copé –, connaît M. Courbit, qui acquît ses lettres de noblesse capitaliste avec le succès et la revente d'Endemol. En 2007, en dépit des pressions de Bruxelles, la France interdisait toute brèche dans le monopole de la Française des jeux et du PMU, et rien ne permettait à l'époque de penser que le Gouvernement lâcherait la proie pour l'ombre. Pourtant, dès l'été 2007, soit quelques semaines à peine après l'élection de M. Sarkozy et le dîner au Fouquet's auquel il était convié, M. Courbit envisageait d'investir dans le secteur des jeux en ligne. Bien inspiré, il rachète, en octobre 2007, 75 % du capital de Betclic, dont la taille triple en une année. Depuis lors, M. Courbit a beaucoup misé sur ce secteur, en y investissant plusieurs centaines de millions d'euros avec l'appui de prestigieux partenaires, dont M. Bernard Arnault.

La Financière Lov, holding patrimoniale de M. Courbit, a ainsi fondé le fonds Mangas Gaming, dédiée à l'investissement dans le secteur des jeux en ligne, dont le capital est pour moitié détenu par la Société des Bains de Mers appartenant à l'État de Monaco. Depuis, ce fonds a racheté la société Expekt, un opérateur de paris sportifs présent en Scandinavie et en Europe du Nord – et également présent sur le marché du poker en ligne – et a pris une participation décisive au capital de Bet-at-home, opérateur de jeux d'argent allemand très présent en Europe centrale et de l'est. Fin 2009, Mangas Gaming annonçait le rachat de 60 % du capital d'Everest Poker, l'une des plus importantes plates-formes de poker dans le monde. Tout cela donne le tournis.

Toujours est-il que Mangas Gaming figure d'ores et déjà parmi les trois leaders européens du secteur, avec 200 millions d'euros de produit brut des jeux, et dispose d'une longueur d'avance sur le marché français dont le produit brut de jeu, estimé à 400 millions d'euros, pourrait doubler ou tripler d'ici à 2012.

M. Courbit était au Fouquet's.

Audace clairvoyante d'un entrepreneur ou collusion qui expliquerait l'empressement du Gouvernement à faire passer ce texte sous couvert de fallacieux prétextes ?

Nous en sommes désormais convaincus, la santé publique, la protection des joueurs, l'éthique sportive, la lutte contre la fraude ou l'offre illégale ne sont que les excipients de la pilule de la libéralisation que vous souhaitez faire passer comme un jeton dans un bandit manchot. Seuls les intérêts économiques et financiers privés de quelques gros opérateurs – que vous ne connaissez pas, nous a dit tout à l'heure M. Copé – ont présidé à l'élaboration de cette réforme, car la croissance des profits du secteur, exprimés en milliards, pèse à vos yeux beaucoup plus que les risques qu'elle comporte pour les citoyens.

Dès lors, l'ouverture à la concurrence risque de ne se traduire que par une simple redistribution des cartes entre les opérateurs historiques et les prédateurs, pour le moment illégaux mais hégémoniques, qui captent d'ores et déjà un volume important de paris et de mises. Cette recomposition du secteur se fera sans nul doute au détriment de l'équilibre général du secteur et des activités qu'il recouvre.

L'ouverture à la concurrence ressemble donc à un immense bluff capitaliste : les jeux sont déjà faits, les dés sont pipés, les joueurs dupés !

Enfin, avec une telle législation, le risque est grand d'assister, parallèlement à la dématérialisation des transactions, à celle des emplois et des activités liés à l'existence des systèmes de droits exclusifs, notamment l'ensemble de la filière hippique et le CNDS. Pour amortir les effets de l'ouverture à la concurrence et compenser la perte de financements de missions d'intérêt général – je pense au financement de la filière hippique et du CNDS en particulier –, vous comptez sur l'élargissement de l'offre de paris et de jeux. Un pari pour le moins hasardeux dans le contexte économique actuel et au regard des dispositions de votre texte.

Une fois encore, le Gouvernement, par opportunisme économique et par vénération du lucre, a cédé aux trompettes libérales et s'apprête à faire tomber les remparts d'un monopole qui aura pourtant fait la preuve de son utilité, tant sur le plan de l'ordre social que de la santé publique.

Les députés du groupe GDR dénoncent avec force cette logique et voteront résolument contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

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