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Intervention de Bernard Kouchner

Réunion du 25 mars 2010 à 15h00
Situation de m. ibni oumar mahamat saleh ressortissant tchadien disparu — Discussion d'une proposition de résolution

Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes :

J'ai écouté avec attention, monsieur le député, ce que vous avez dit avec gravité sur la nécessité – au-delà du cas particulier que vous avez évoqué – de faire respecter les droits de l'homme et de défendre les libertés. Je vous remercie de cette occasion qui m'est donnée, à travers cette proposition de résolution, de réaffirmer de manière solennelle que nous croyons – comme vous – au principe de responsabilité dans l'action extérieure de la France. Ce principe guide notre action de manière constante, en particulier dans le domaine des droits de l'homme. Il l'a donc guidée tout au long de l'affaire qui nous rassemble aujourd'hui : le drame de la disparition, à ce jour non élucidée, de l'opposant tchadien Ibni Oumar Mahamat Saleh. Je souhaite revenir, après vos interventions et afin de répondre aux interrogations qu'elles contiennent, sur les aspects principaux de cette affaire. Ces éléments permettront, je l'espère, d'éclairer votre vote.

Mais auparavant, laissez-moi replacer le débat dans son contexte, qui est celui de l'action continue de la France dans la lutte contre les disparitions forcées et l'impunité. Car c'est la France qui, avec l'Argentine, porte depuis vingt ans le combat sur la scène multilatérale pour que les disparitions forcées – on en dénombre 43 000 à ma connaissance – fassent enfin l'objet de poursuites. C'est à l'action de notre diplomatie que l'on doit l'adoption d'une convention internationale qui marque un tournant dans la répression de ces crimes particulièrement odieux.

Partout, au Tchad comme ailleurs, les défenseurs des droits de l'homme connaissent le prix de nos efforts. Mais il ne suffit pas de faire adopter des textes – comme vous l'avez dit – pour changer les réalités. C'est pourquoi la lutte contre l'impunité est au coeur de notre action extérieure. La France a porté depuis l'origine l'idée d'une cour pénale internationale ; elle en finance le fonctionnement et en soutient les procédures. Que ce soit au plan local ou au plan international, la France soutiendra sans faillir l'action de ceux qui se battent pour la manifestation de la vérité et la sanction des auteurs de ces crimes.

Que cela soit bien clair : la France entretient avec la plupart des États une longue relation. Elle a parfois des amitiés anciennes. Mais nous plaçons les droits de l'homme au-dessus de toute autre considération. Lorsqu'il est question de crimes, la France ne couvre ni ne couvrira personne. Ce n'est pas l'intérêt des droits de l'homme, ce n'est pas son intérêt.

Revenons maintenant sur la disparition ignoble de M. Ibni Oumar Mahamat Saleh. Je suis d'accord avec vous : cette affaire est grave, insupportable. Pourtant je veux, devant vous, réaffirmer de manière très claire que la France peut s'enorgueillir de son action. Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour faire déclencher une enquête, pour qu'elle aboutisse, et donc pour obtenir l'application effective des recommandations émises dans le rapport de la commission d'enquête tchadienne concernant les événements de février 2008. Nous n'avons pas agi seuls, et j'ajouterai même que nous avons toujours été en première ligne de l'action internationale. À ce jour, la lumière n'a toujours pas été faite sur la disparition de M. Saleh. Nous ne nous en satisfaisons pas. Nous n'aurons de cesse d'agir pour que le mystère de cette disparition soit élucidé, ne serait-ce que pour permettre à sa famille, avec qui nous sommes en lien constant, de faire – éventuellement – son deuil et d'obtenir – en tout cas – des explications.

Vous connaissez le contexte particulier de ces événements. Le 28 janvier 2008, une colonne de près de 300 véhicules des forces rebelles a lancé une incursion en territoire tchadien à partir du Soudan. Les 2 et 3 février, les rebelles ont livré bataille au coeur de N'Djamena, sans parvenir à s'emparer de la présidence de la République tchadienne. La coalition rebelle a entamé son repli à partir du 4 février, vers les zones frontalières de l'est du pays. C'est donc dans un contexte particulièrement troublé – un contexte de guerre – qu'est intervenue cette disparition. L'ambassade de France était sous le feu ; notre souci prioritaire était d'assurer la protection, la sécurité et l'évacuation de nos compatriotes et des autres ressortissants étrangers. Les troupes françaises présentes à N'Djamena se sont concentrées sur cette mission et ont mené à bien l'évacuation de 1 600 ressortissants français et étrangers – autrichiens, saoudiens, etc. Les forces spéciales autrichiennes ont été évacuées de l'hôtel Kempinski par les forces françaises. Notre attaché de défense et son équipe n'ont pas quitté l'ambassadeur, qu'ils ont aidé dans cette tâche. Je rappelle que l'ambassade était « bunkérisée » et que les communications étaient coupées. Nos forces n'ont ouvert le feu que pendant une très courte période, en évacuant les ressortissants étrangers – autour, il est vrai, de la présidence.

Dès que nous avons appris sur place, par un appel du fils de M. Lol Mahamat Choua, la disparition de trois opposants politiques dont ce dernier, et conformément aux principes qui guident notre action, nous avons immédiatement réagi. Qu'a fait la France depuis lors ? Son action peut se décrire en quatre phases, dont la dernière se poursuit encore aujourd'hui.

Durant la première phase, au cours du mois de février 2008, nous n'avons eu de cesse de nous inquiéter auprès des dirigeants tchadiens du sort des disparus. Nous avons appris le 3 février au soir, comme je l'ai dit, la disparition d'un opposant, M. Lol Mahamat Choua. Des rumeurs ont circulé – dans une ville qui bruissait de rumeurs, et où plus aucun réseau de téléphonie ne fonctionnait – sur la disparition d'autres opposants. La France est alors immédiatement intervenue au plus haut niveau auprès des autorités tchadiennes. J'ai moi-même appelé en ce sens le président Déby en présence de mon homologue, M. Allam-Mi, dès le 5 février. Nos multiples efforts de sensibilisation ont permis de retrouver deux des opposants disparus, M. Lol Mahamat Choua et M. Ngarjely Yorongar. M. Saleh est resté introuvable. Je le sais parce que j'étais sur place et que je suis aller chercher moi-même M. Yorongar.

La deuxième phase de notre action a alors consisté à appuyer la commission d'enquête tchadienne, dont le travail est aujourd'hui salué par tous. Ce sont d'ailleurs sur ses recommandations que se fonde votre proposition de résolution. Cette commission, c'est bien la France, accompagnée par l'Union européenne et l'Organisation internationale de la francophonie, qui en a obtenu la création : le président Sarkozy, présent à N'Djamena dès le 27 février, a demandé au président tchadien Idriss Déby la création d'une commission d'enquête chargée de faire la lumière sur la disparition d'Ibni Oumar Mahamat Saleh et sur l'ensemble des événements de février. Il l'a obtenue et, vous le savez, les conclusions de la commission sont rudes. Nous avons également insisté pour que la composition de cette commission soit équilibrée. Nous avons ensuite participé à toutes ses réunions, en tant qu'observateurs, et appuyé son action à travers la mise à disposition d'un expert. Cette commission a rendu son rapport au chef de l'État tchadien le 5 août 2008. De l'avis de tous, ce rapport est d'une qualité rare pour le Tchad et les pays environnants.

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