Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Rachida Dati

Réunion du 8 janvier 2008 à 15h00
Rétention de sûreté et déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental

Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, la justice doit se tenir à l'écart des tumultes et des émotions passagères. Elle doit s'exercer dans la sérénité et l'impartialité pour préserver son indépendance et sa légitimité. Pour autant, la justice n'est pas une abstraction. C'est une réalité, une réalité qui se nourrit de nos vies quotidiennes. La justice est au coeur de la cité. Elle tranche les conflits et répare les préjudices. Elle entend ceux qu'elle protège et doit répondre à leurs inquiétudes. C'est aussi comme cela qu'elle est légitime.

Une justice aveugle et sourde serait dépourvue de sens, et ne pourrait inspirer le respect. La justice doit être proche des Français, car elle est humaine. Elle doit être concrète : c'est comme cela qu'elle est efficace.

Votre commission des lois l'a très bien compris. Son président, Jean-Claude Warsmann, à l'origine de la loi sur la simplification du droit, sait que la justice doit être proche des Français. Votre rapporteur, Georges Fenech, ancien magistrat, réfléchit depuis longtemps au sujet qui nous préoccupe aujourd'hui.

Depuis plusieurs années, les Français se sont émus de crimes odieux, commis par des personnes déjà condamnées et toujours considérées comme dangereuses. À chaque nouveau meurtre, à chaque nouveau drame, ils nous ont posé cette question : pourquoi un individu condamné pour des faits particulièrement graves et dont la dangerosité était manifeste a-t-il été laissé en liberté ? Les criminels, comme les prédateurs sexuels, ne présentant pas de pathologie psychiatrique, ils ne relèvent pas d'une prise en charge psychiatrique. Il n'existe donc aujourd'hui aucun dispositif pour les maîtriser, ni aucune structure pour les resocialiser de façon adaptée, de sorte qu'il faut attendre un nouveau passage à l'acte pour les enfermer et canaliser leur dangerosité.

La peine ne sert alors plus seulement à sanctionner un crime ou un délit ; elle est destinée à maintenir à l'écart un individu jugé dangereux. Il s'agit là en fait d'une mesure de sûreté pour la société. Vous le savez très bien, mesdames et messieurs les députés, ce système n'est pas satisfaisant. La sanction est détournée de son objectif initial. C'est là que se trouve la véritable atteinte à la liberté et à la finalité de la peine.

Les Français se sont également émus de la situation des irresponsables pénaux. Il s'agit des personnes que leurs troubles mentaux ne permettent pas de juger. L'affaire s'achève par un non-lieu, sans qu'il y ait d'audience, ni de débat. Le dossier est clos par un simple courrier.

Ces deux questions sont fondamentalement différentes. Dans le premier cas, le criminel est responsable de ses actes. Son discernement n'étant pas aboli, il peut être jugé et condamné. Dans le second, le discernement de l'auteur des faits est aboli. Il est alors reconnu comme pénalement irresponsable et peut relever de l'hospitalisation d'office en hôpital psychiatrique. Mais ces deux questions ont aussi des traits communs : elles reflètent deux préoccupations exprimées par les Français depuis longtemps ; elles montrent aussi que le droit actuel est inadapté.

Des réflexions très approfondies ont été conduites sur la question du traitement des criminels dangereux. Depuis 2005, trois rapports ont été rendus : celui d'une commission santé-justice présidée par Jean-François Burgelin ; deux rapports parlementaires, l'un de votre collègue Jean-Paul Garraud, l'autre des sénateurs Philippe Goujon et Charles Gautier. Mais ces deux questions sont toujours restées sans suite concrète. Les victimes comme leurs familles sont restées seules. Elles attendaient des mesures concrètes parce qu'elles voulaient que leur drame soit le dernier. Elles n'ont obtenu que de la compassion.

Le silence de la loi n'est plus acceptable. Les Français ne le comprennent pas. Ils ont le sentiment que la justice refuse de regarder les choses en face et que ceux qui les gouvernent sont indifférents. Ils ont la conviction que chaque drame aurait pu être évité, que chaque vie aurait pu être sauvée. J'entends leurs demandes. Doit-on encore attendre de nouveaux crimes pour agir ? Doit-on accepter que des prédateurs que l'on sait dangereux continuent à sévir ? Peut-on laisser un homme comme Francis Évrard commettre de nouveaux crimes ? Doit-on attendre que d'autres jeunes femmes soient, comme Anne-Lorraine Schmitt, violées et tuées ? C'est un débat de fond qui renvoie chacun de nous à ses propres responsabilités.

C'est à nous, Gouvernement et parlementaires, qu'il appartient de répondre aux questions des Français. C'est notre devoir. Il nous revient de trouver un équilibre entre la sécurité et la liberté de chacun, et d'agir. « Qui n'empêche le mal, le favorise », disait Cicéron.

La question de la dangerosité d'un criminel, c'est l'affaire de la justice, tout autant que l'acte commis qu'elle doit juger. La justice ne peut en aucune manière se désintéresser de l' « après-condamnation ». Toute la philosophie de l'individualisation de la peine repose sur cette évidence.

Le projet de loi n'a pas la prétention illusoire de faire disparaître le risque de récidive, mais il permettra de la réduire, conformément à ce que souhaitent les Français.

Le projet de loi comporte trois volets : premièrement, des mesures de sûreté pour les auteurs des crimes contre les mineurs ; deuxièmement, de nouvelles dispositions pour le traitement judiciaire des personnes déclarées irresponsables pénalement ; troisièmement, des mesures pour améliorer la prise en charge des détenus nécessitant des soins.

La première partie du projet de loi propose des mesures de sûreté pour les auteurs des crimes contre les mineurs.

Depuis 1998, les gouvernements successifs ont cherché à améliorer la lutte contre les délinquants sexuels dangereux, avec pour objectif de réduire autant que possible la dangerosité des criminels et le risque d'un nouveau passage à l'acte. Des solutions nouvelles ont été mises en place, comme le suivi socio-judiciaire et le fichier national des empreintes génétiques instaurés par Élisabeth Guigou en 1998. Ce dernier a été étendu en 2003 avec la loi sur la sécurité intérieure portée par Nicolas Sarkozy. Le fichier national des agresseurs sexuels a été créé en 2004, puis le bracelet électronique mobile en 2005, lequel peut désormais être généralisé depuis le 1er août 2007. Ont également été mis en oeuvre les traitements anti-hormonaux, dits aussi castration chimique, sur la base du consentement, depuis 2005. Enfin, j'ai souhaité renforcer l'injonction de soins grâce à la loi du 10 août 2007.

Les rapports Burgelin, Garraud, Goujon-Gautier ont conclu à la nécessité de mettre en place un dispositif permettant d'écarter de la société les délinquants les plus dangereux. Ils préconisent soit des centres fermés de protection sociale, soit des unités hospitalières de long séjour, spécialement aménagées. Le constat a été fait de longue date. Le projet de loi propose la création de centres socio-médico-judiciaires, où ces criminels seront pris en charge.

D'autres grandes démocraties ont fait le même constat. Leurs gouvernements ont abouti à des solutions analogues. Je suis allée aux Pays-Bas avec vos collègues Philippe Goujon et Jean-Paul Garraud, et nous avons visité un hôpital fermé pour délinquants dangereux. Tout y est fait pour faciliter la réinsertion et l'accompagnement de la personne retenue. Après une année de soins en hôpital fermé, le taux de récidive passe de 43 % à 13 %. Ces chiffres montrent l'efficacité du dispositif hollandais.

En Allemagne, l'idée de créer des structures fermées a émergé à la fin du XIXe siècle, fondée sur une logique de réinsertion sociale des individus dangereux. Je rappelle que c'est un gouvernement de coalition conduit par les socio-démocrates qui a durci la législation en la matière en 2004.

Au Canada, le parti libéral a créé le statut de délinquant dangereux en 1947, qui est assorti d'une durée d'enfermement indéterminée. En Belgique, un gouvernement de coalition chrétienne et socialiste a mis en place une procédure d'internement des condamnés toujours dangereux en fin de peine. Vous pouvez constater que nous sommes au-delà des clivages politiques et idéologiques.

Le Gouvernement souhaite s'appuyer sur l'expérience de nos partenaires européens. Le dispositif de rétention de sûreté constitue une innovation sans équivalent dans notre droit. Seront concernées les personnes condamnées à au moins quinze ans de réclusion pour des crimes commis sur des mineurs.

Selon le dispositif prévu, deux ans avant la fin de la peine, le juge de l'application des peines effectue un bilan personnalisé du suivi médical du détenu. C'est une mesure nouvelle qui va au-delà du simple suivi des mesures de soins actuellement en place. Un an avant la fin de peine, la situation du condamné est examinée par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté. Elle dispose de tous les éléments utiles pour se prononcer sur la dangerosité et le risque de récidive, mais également sur la nécessité d'un placement en rétention de sûreté.

La commission pluridisciplinaire a été créée par la loi sur la récidive du 12 décembre 2005. Elle est composée d'un magistrat, d'un préfet, de deux experts – un psychiatre et un psychologue –, d'un directeur des services pénitentiaires, d'un avocat et d'un représentant d'une association nationale d'aide aux victimes.

Dans le cas de Francis Évrard, nous aurions eu les moyens d'agir avant le drame. Il avait été condamné à vingt-sept ans de prison, et il est sorti au bout de dix-huit ans. Dans le système que nous proposons, il aurait été placé sous bracelet électronique mobile dès sa sortie de prison, aurait été suivi attentivement et n'aurait pu changer de région. En cas de non-respect de ses obligations, il aurait été placé en rétention de sûreté.

Prenons un autre cas, celui de Martial Leconte : sorti de prison le 24 septembre 2007, il a été placé sous bracelet électronique mobile dans le cadre d'une surveillance judiciaire. Très rapidement, il n'a pas respecté les obligations qui lui étaient imposées ; il est donc retourné en détention. C'est le type même d'individu présentant encore une grande dangerosité.

La décision de rétention sera prise si le risque de récidive est particulièrement élevé : la commission pluridisciplinaire proposera au procureur général de saisir une commission régionale composée de magistrats de la cour d'appel, laquelle rendra, après un débat contradictoire, une décision motivée, valable un an et renouvelable.

La rétention est une mesure de sûreté de dernier recours, qui a vocation à s'appliquer de façon exceptionnelle ; elle est subsidiaire à toute autre mesure de contrôle, de suivi ou d'encadrement. C'est pourquoi il est indispensable d'étendre les possibilités de surveillance judiciaire et de suivi socio-judiciaire, afin que ces dispositifs représentent de réelles alternatives. La surveillance judiciaire, actuellement limitée à la durée des réductions de peine, pourra ainsi être prolongée d'un an renouvelable. Comme vous le voyez, ce projet de loi n'est pas à sens unique.

La décision de rétention prise, la personne sera placée dans un centre socio-médico-judiciaire, sous la tutelle des ministères de la justice et de la santé, et sous la surveillance de l'administration pénitentiaire. Elle bénéficiera d'une prise en charge médicale et sociale permanente, et sa situation sera réexaminée chaque année. Le cadre sécurisé permettra d'éviter son enfermement durant la journée : elle pourra se déplacer sur le site, s'y promener ou pratiquer un sport en plein air ; elle pourra également obtenir des permissions de sortie sous escorte.

Le premier centre sera créé au sein de l'hôpital de Fresnes – hôpital, et non prison – dès septembre 2008. Cette structure expérimentale, que nous mettons en place avec Roselyne Bachelot, aura une capacité d'accueil de trente personnes, qui pourra être augmentée suivant les besoins.

À la fin de la rétention, la personne pourra être soumise à certaines obligations, comme le placement sous surveillance électronique mobile ou une injonction de soins. En cas de manquement, elle pourra faire l'objet d'une nouvelle mesure de rétention, toujours sur décision de la commission régionale.

Les futurs condamnés seront avertis par le juge le jour de leur condamnation : ils pourront être placés dans une structure fermée à la fin de leur peine s'ils présentent encore une grande dangerosité.

Pour ce qui est des criminels actuellement incarcérés, le Conseil d'État a proposé un dispositif d'application immédiate, conforme à la Convention européenne des droits de l'homme. Il s'agit d'une surveillance judiciaire étendue : à sa sortie de prison, le condamné sera placé sous surveillance judiciaire par le juge d'application des peines dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui et pour le temps des réductions de peine. Au-delà de cette durée, la décision de prolongation relèvera de la commission régionale.

Le condamné soumis à une injonction de soins ou au port d'un bracelet électronique et qui viole ces obligations pourra, si ces manquements traduisent un risque particulièrement élevé de récidive, être placé en rétention de sûreté ; cette décision appartient à la commission régionale.

Votre rapporteur, Georges Fenech, a suggéré d'aller beaucoup plus loin et d'appliquer la rétention de sûreté aux tueurs et violeurs en série déjà condamnés. Nous y avons réfléchi, et les discussions préparatoires nous ont fait juger souhaitable une telle extension du dispositif. Le Gouvernement a donc déposé un amendement visant à étendre la rétention de sûreté aux personnes condamnées pour plusieurs crimes. C'est une question de bon sens et de cohérence : la rétention étant une mesure préventive, elle doit s'appliquer aux criminels les plus dangereux ; d'ailleurs, si tel n'était le cas, l'opinion publique ne l'accepterait pas.

Je pense à cet homme condamné en 2000 à vingt ans de réclusion pour neufs viols et deux tentatives, commis avec usage d'une arme, la nuit, au domicile de ses victimes – des actes extrêmement graves. Cet individu, qui doit sortir de prison en 2010, a d'ores et déjà fait savoir qu'il comptait recommencer. Avons-nous le droit de fermer les yeux ? Devons-nous attendre qu'il mette sa menace à exécution ? Ne rien faire serait inacceptable !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion